Et si on s'extrayait quelques minutes du bruyant débat public autour du chômage, de la croissance, de la consommation et du pouvoir d'achat ? Sa force est en effet de focaliser notre attention -dans un consensus politique général- sur l'emploi. Et si on amorçait plutôt une réflexion sur le travail ?
Et sinon, vous faites quoi dans la vie ?
« Je collectionne les timbres. » ; « Je joue aux jeux vidéo. » ; « Je lis de la philosophie. » ; « Je fais des tutos make-up sur YouTube » ne sont pas des réponses pertinentes. Il fallait comprendre : Quel emploi occupez-vous ? Quelle activité rémunérée exercez-vous ? Et si vous n'occupez aucun poste rémunéré, la mention de vos hobbys et passions est insuffisante, seule la réponse « je suis au chômage » permet de se libérer de la question.
Il est indéniable que le travail définit pour beaucoup notre identité sociale, et peut-être aussi notre identité subjective. Pas étonnant, dans la mesure où une grande partie de notre vie et de nombreuses dimensions de celle-ci s'organisent autour de notre profession (nos études passées, bien souvent ; les personnes que l'on rencontre ; le lieu où l'on habite ; ce que l'on possède, à proportion de notre revenu ; nos manières d’être, de parler ; nos loisirs, même). La sociologie établit des corrélations entre la profession exercée et les autres dimensions de l'existence et cherche à penser des causalités à partir de ces corrélations. Il est incontestable que notre identité se forge en rapport avec notre métier ou notre profession : notre emploi nous fait appartenir à une classe, une catégorie socioprofessionnelle, dont les codes vont nourrir notre identité individuelle.
Allô !? Nan mais allô quoi ! T'es en socio t'as pas lu Bourdieu !?
C'est la raison pour laquelle il est pertinent d'évoquer son travail pour répondre à notre question initiale : sa simple mention est en fait grosse de renseignements sur celui qui l'exerce. C'est donc une manière économe d'en dire beaucoup sur soi en un minimum de mots ou de se faire une idée rapide sur l'autre. Outre l'information sur le capital économique, c'est aussi un indéniable outil de distinction et de domination symbolique : l'imaginaire social s'est construit une échelle de valeur où les différentes professions prennent place. Un prestige est associé à des professions « qui en jettent ».
Ne pas répondre, ou donner une réponse inadéquate, c'est donc interdire à l'autre de vous étiqueter (« Genre lui, j'arrive trop pas à l'calculer ») et de vous classer (à l'aide d'une saine opposition loser/winner par exemple). Et ça, ça fait paniquer l'autre, car le schéma conversationnel traditionnel (« Vous faites quoi dans la vie ? – caissier chez Carrefour – ah... ») s'en trouve bouleversé (« Vous faites quoi dans la vie ? – j'aime regarder les nuages et imaginer à quoi leurs formes ressemblent – nan mais je veux dire : on vous paye pour quoi ?) : il va falloir poser d'autres questions !
Effectuons un pas de côté
Bousculer une habitude, susciter l'étonnement, surprendre un confort mental, perturber une vison du monde ronronnante, c'est le début de la réflexion philosophique (Aristote, Métaphysique, A, 2). Oui, il se trouve des gens pour considérer que leur profession n'est pas essentielle, c'est-à-dire constitutive de leur être (même si, sans s'en apercevoir, elle en détermine une grande partie). Ceux-là pensent qu'ils se présenteraient bien mieux en décrivant une autre dimension de leur vie.
P. chômeur militant. Extrait de Attention Danger Travail, de Carles, Coello et Goxe (2003)
Nous laisserons-nous enfermer dans une identité largement définie par notre travail ? Alors même que beaucoup disent que leur travail est secondaire (passons sur ceux qui disent aimer leur travail, et qui de bon cœur lui consacrent beaucoup), que leur temps libre importe davantage, et que ce sont leurs loisirs qui font d'eux ce qu'ils sont. Alors même que beaucoup vont au travail à reculons, en souffrent, en ont honte, etc. Pourquoi laisserons-nous notre personne être ainsi réduite à cette chose que l'on n'aime pas, ou peu, qu'on aimerait bien voir réduite, qui nous fait souffrir, perdre notre temps, ou qui nous rend malade ?
« Bon d'accord, je vous concède l'absurde centralité du travail dans la définition de nos identités sociales. Mais beaucoup regrettent avec vous une telle réduction, il n'y a rien de nouveau dans ce que vous dites. Le problème n'est pas tant de s'apercevoir de cela, que de pouvoir faire autrement, car les gens sont obligés de travailler : il faut bien vivre. » Celui qui rétorquera cela ne s'aperçoit pas que le travail joue un rôle tellement central dans la vie qu'il empêche de penser qu'il pourrait en aller autrement. Le travail est à ce point envahissant qu'il nous maintient dans nos fers en nous interdisant d'envisager d'autres possibles.
Pourquoi travaillons-nous ?
Pour couvrir nos besoins élémentaires ? Certes, mais une quantité minime de notre travail suffit à cela. Alors pourquoi travaillons-nous plus que ce strict nécessaire ?
Pour être heureux au travail ? C'est le cas de peu de gens.
Travaillerions-nous pour avoir les moyens d’être heureux ailleurs (dans notre temps libre) ?
La microéconomie prend en charge cette question : comment arbitrons-nous entre le coût du travail et les avantages que procure son revenu ? Il s'agit de comprendre comment l'individu maximise sa satisfaction sous la contrainte de la désutilité du travail (considéré par la science économique comme un effort, un sacrifice de temps et de plaisir que le salaire se charge de compenser).
Mais cette représentation économique repose sur l'idée qu'il existe une frontière claire entre le travail et le temps libre : le consommateur choisirait de consacrer tant de temps à l'effort, afin de pouvoir jouir, et opérerait ce calcul d’intérêt en toute lucidité. Comme si le travail n'était qu'une insatisfaction passagère, qui cessait une fois franchie la porte de l'usine ou du bureau. On peut s'appuyer sur la philosophie et la sociologie pour montrer que le problème ne se pose pas en ces termes. Ce que l'économie peine à comprendre, c'est la manière dont le travail affecte l'individu au-delà du seul temps travaillé - d'où son caractère central et envahissant. On peut donner l'intuition de cette idée par de multiples voies :
en montrant par exemple que le travail affecte la qualité du loisir. Paul Ariès évoque souvent les jouissances faibles que le capitalisme procure à l'individu ; Bertrand Russell parle de loisirs passifs. Après le boulot, je cherche juste à m'abrutir, et à consommer passivement ce que l'industrie du divertissement me vend, pour parler comme l’École de Francfort. L'exploitation capitaliste et l'hyperconsommation auraient pour conséquence d'affadir le loisir.
en remarquant que le travail n'est pas qu'un moyen neutre de gagner un revenu pour remplir son temps libre. Il est fondamentalement une activité qui charrie avec elle un système de désirs, de besoins, de nécessités, de représentations, qui débordent largement sur le temps non travaillé et le modèlent. Avoir un travail, c'est aussi adopter une certain un genre de vie.
en observant à quel point le temps non travaillé finit par n’apparaître que comme un temps de récupération. Le temps libre devenant ainsi un moment du travail, le moment où l'on « recharge les batteries », où l'on reprend des forces.
en mettant en évidence la manière dont les loisirs et la consommation sont pensés sur le même mode que le travail et la production, à savoir sous le rapport de « l'impossibilité de perdre son temps », selon une rationalisation capitaliste qui fait du « temps libre » tout sauf un temps sans contrainte (cf. Baudrillard, La société de consommation, Le drame des loisirs ou l'impossibilité de perdre son temps).
Y. ancien chef d'entreprise et chômeur épanoui. Extrait de Attention Danger Travail, de Carles, Coello et Goxe (2003)
Forçons le trait, pour conclure. Ce n'est plus le revenu du travail qui nous permet d'organiser notre loisir comme nous l'entendons, c'est notre temps libre qui se trouve malgré lui, malgré nous, organisé par notre travail. De sorte que l'on saisit la ruse ultime du travail : de moyen il devient fin, dans une sorte de renversement dialectique. On ne travaille plus pour vivre, mais on finit par vivre pour travailler.
Parachrématistique
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Parachrématistique
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Hé oui les p'tits gars réflexion intéressante, le faites de courir comme des cons au boulot, d'amasser de l'oseille qui part dans des conneries superflus est-il indispensable ??? les gens ont tout claqués dans noêl et le nouvel an, tout va encore augmenter comme d'hab', nous sommes également responsables de ce système, nous continuons à l'alimenter, combien d'entre nous aurons le courage de quitter une vie qui leur déplait? La trouille fait que nous continuons malgré l'ennui, la déprime, l'alcool, les médocs, les factures, le regard des autres et j'en passe...prisonniers, une vie c'est si rapide, après quoi courons-nous? Pilotés en plus par des politiques qui n'ont aucun remèdes à part le pouvoir, la domination, le mensonge, nous sommes dominés par des des criminels, quels cadeaux la politique a-t-elle donnés au monde? Gengis Khan? Tamerlan? Nadir Shah? Alexandre? Napoléon? Ivan le Terrible? Joseph Staline? Adolf Hitler? Benito Mussolini? Mao Tsé Toung? Ronald Regan? Georges Bush? Obama? Sarkozy? Hollande?
RépondreSupprimerLa politique veut la totalité du monopole de l'asservissement de l'humanité, de la destruction de sa liberté, destruction de sa conscience, nous transformer en robots !!!
Il nous conduisent vers un suicide global.
pour aller plus loin sur le sujet: http://www.dailymotion.com/video/xd6jm7_metiers-anciens-et-industrie-modern_webcam?search_algo=2
RépondreSupprimerJeunes de tous horizons, apprenez à faire quelque chose qui vous plaît avec vos mains... sans négliger votre cerveau également.
RépondreSupprimerC'est important pour votre avenir, à la vitesse où vont les choses.
Dans notre culture, souvent la première question que l'on pose lors d'une rencontre est de savoir ce que fait l'autre personne, c'est-à-dire son occupation professionnelle, de laquelle nous en déduisons son statut social et une image de sa vie. Triste constat que de diminuer notre vision à ces critères. Et n'oublions non plus pas que cette question que nous posons à l'autre est celle que nous nous posons, inconsciemment ou pas, à nous-même. Dans les précédentes générations, plus précisément dans le monde ouvrier, le travail ou la profession était aussi un ferment familial et social, souvent pour toute une vie et même transmis aux membres de la famille. Mais actuellement, sommes-nous réduits à une simple fonctionnalité dans notre société ? De la réponse que l'on donne à notre interlocuteur va dépendre la perception de notre positionnement dans le système, notre valeur et la place que nous y occupons, mais certainement pas de notre personnalité et des qualités personnelles qui y sont attachées... Triste constat. En réponse à la question de savoir ce que je fais, je suis sans emploi (déterminé), pas chômeur ni assisté socialement, mais ayant décidé de quitter le système et d'assumer moi-même mon choix. Pour cela, je me suis "exilé" à l'étranger où les regards sont différents et, bien sûr, la structure économique me le permet. Avec également une autre vision du système, à l'abri autant que possible, des pressions et contraintes de la société consumériste. Ceci n'est pas une critique, car j'ai fait partie de cette société pendant tant d'années...
RépondreSupprimerT'est ou 402 ???
SupprimerL'ours