L'ivresse de la guerre, nourrie à l'euphorie nationaliste qui s'était emparée du pays au lendemain des attentats du 11-Septembre, s'est aujourd'hui dissipée aux Etats-Unis. La rhétorique ronflante du patriotisme et de la destinée nationale, claironnant notre devoir de refaçonner le monde par la violence, de libérer les opprimés et d'implanter la démocratie au Moyen-Orient, est enfin mise à nu dans toute sa vacuité et son absurdité.
La machine de guerre a épuisé tous ses stratagèmes éculés. Elle a diffusé en boucle ses habituelles images d'horreurs ; elle a péroré sur le risque, si jamais nous n'allions pas bombarder, de voir l'affreux dictateur tourner ses armes de destruction massive contre nous ; elle a invoqué le noble sacrifice de la nation durant la seconde guerre mondiale, le ministre des affaires étrangères John Kerry assimilant même la situation à un "Munich contemporain". Rien n'y a fait.
C'est une remarque désinvolte de John Kerry qui a ouvert la porte à une initiative russe, fournissant du même coup au gouvernement Obama une échappatoire commode à son bellicisme aveugle et à ce qui aurait été une humiliante défaite sur la scène intérieure.
PILLAGE DES FINANCES PUBLIQUES
Après douze longues et vaines années de guerre en Afghanistan et dix autres en Irak, l'opinion est lasse des mensonges de sa classe politique, écœurée par l'infinie violence de l'empire et opposée à ce qu'on continue à injecter des milliards de milliards de dollars dans une machine de guerre qui dégage des bénéfices colossaux pour une petite coterie d'entreprises du secteur militaro-industriel et de fabricants d'armes, dont Raytheon et Halliburton, pendant que nous sommes économiquement et politiquement phagocytés de l'intérieur. La fête est finie.
Comme chaque génération le redécouvre devant les corps sans vie de sa jeunesse et le pillage de ses finances publiques par les profiteurs de guerre, le mythe de la guerre est un mensonge. La guerre ne parvient plus à détourner les Américains d'un déclin qui est train de transformer leur pays en une oligarchie des entreprises, en une nation où le "consentement des gouvernés" n'est plus qu'une farce cruelle. La guerre ne peut occulter ce que nous sommes devenus.
La guerre a fait de nous un pays qui, ouvertement, torture et enferme indéfiniment des êtres humains dans toute une constellation de colonies pénitentiaires d'outre-mer. La guerre dépêche des escadrons de la mort chargés d'assassiner nos ennemis partout sur la planète, y compris des citoyens américains. La guerre nous voit terroriser des populations entières, y compris des populations contre lesquelles nous ne sommes pas officiellement en conflit, par le truchement de drones armés qui survolent nuit et jour de modestes villages du Pakistan, du Yémen, de la Somalie, de l'Irak et de l'Afghanistan.
La guerre, au nom de la sécurité nationale, a mis en lambeaux nos libertés civiques les plus fondamentales. La guerre a fait de nous le peuple le plus espionné, le plus surveillé, le plus écouté et le plus photographié de l'histoire de l'humanité.
La guerre a réduit nos plus courageux dissidents et lanceurs d'alerte – ceux-là même qui nous ont dévoilé les crimes de la guerre et de l'empire, de Chelsea (anciennement Bradley) Manning à Edward Snowden – au rang de prisonniers politiques persécutés ou d'êtres traqués. La guerre a constitué quelques immenses fortunes, comme toujours, pendant que nos écoles, nos bibliothèques et nos casernes de pompiers sont fermées au nom de l'austérité budgétaire, pendant que disparaissent nos programmes d'aide sociale pour les enfants et les seniors, que des villes comme Detroit se déclarent en faillite et que le sous-emploi et le chômage, désormais chroniques, flirtent avec les 15 %, voire les 20 %.
RÉALITÉ DOULOUREUSE ET AVEUGLANTE
Plus personne ne connaît la vérité de l'Amérique. Ce vaste village Potemkine que nous sommes devenus, ce mensonge monstrueux que sont les Etats-Unis, passe, de Wall Street à Washington, par la manipulation délibérée des chiffres de la finance et des statistiques officielles.
Après des années passées dans les vapeurs de l'ivresse, voilà que sonne l'heure du réveil à une réalité douloureuse et aveuglante. Nous voilà confrontés à de sinistres vérités, sur nous-mêmes et sur cette machine de guerre. Nous avons compris que nous ne pouvons pas transposer nos "vertus"par la violence, que parler de droits de l'homme, dès lors que l'on emploie l'arsenal d'armes industrielles de la guerre moderne, est une pure absurdité.
Nous percevons tout ce qu'ont d'orwellien les déclarations de Barack Obama et de John Kerry assurant à la communauté internationale que les Etats-Unis ne prévoient rien qu'une action "incroyablement petite, limitée" en Syrie, et pas une guerre. Nous savons que les projets du Pentagone pour anéantir les bunkers de commandement, les terrains d'aviation, les batteries d'artillerie ou les lance-missiles utilisés pour des attaques chimiques constituent bien ce que les dirigeants réfutent : une guerre.
Nous savons que le lancement de plusieurs centaines de missiles Tomahawk par des destroyers et des sous-marins basés en Méditerranée sur des installations militaires et de commandement de l'Etat syrien sera perçu par les Syriens comme un acte de guerre – nous penserions la même chose si ces missiles étaient lancés contre nous.
"DES DOMMAGES COLLATÉRAUX SONT PROBABLES"
Un Tomahawk transporte une charge de 450 kg, ou 166 sous-munitions. La puissance destructrice d'un seul Tomahawk est terrifiante ; des centaines de Tomahawks, c'est la mort qui frappe aveuglément depuis le ciel.
Nous avons entendu cette rhétorique calibrée qui, si jamais la boîte de Pandore de la guerre se trouvait grande ouverte et laissait le chaos s'abattre sur la Syrie, n'exclut pas le déploiement de troupes au sol. Nous avons écouté le général Martin Dempsey, le chef d'état-major des armées, reconnaître que "des dommages collatéraux sont probables" ; nous savons que cela veut dire que des civils seront tués pour empêcher le régime de Bachar Al-Assad de tuer des civils.
Seule la logique captieuse de la guerre peut donner une apparence rationnelle à un tel énoncé. Cette logique captieuse ne peut plus se cacher derrière le paravent des drapeaux qu'on brandit, de la "gloire" et de l'"honneur" grandiloquents, des discours politiques hypocrites et de l'exaltation qui accompagne la maladie nationaliste : s'il déclenche une nouvelle guerre, Barack Obama et la machine de guerre qu'il sert doivent s'attendre au tollé général d'une opinion révulsée.
Traduit de l'anglais par Julie Marcot
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