10 novembre 2012

Discours de la servitude volontaire

[...] Dans son très célèbre ouvrage de philosophie politique, Discours de la servitude volontaire, Etienne de la Boétie s’interroge sur ce paradoxe : l’homme est né libre, il aime la liberté et pourtant, partout, il est dans les fers. La Boétie distingue trois causes profondes à cette servitude. Les deux premières sont l’habitude et l’abrutissement du peuple, que nous ne détaillerons pas ici. La troisième cause, en revanche, concerne directement notre sujet.

« J’en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie. Celui qui penserait que les hallebardes, les gardes et le guet garantissent les tyrans, se tromperait fort. Ils s’en servent, je crois, par forme et pour épouvantail, plus qu’ils ne s’y fient. […]

Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit la vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent tout le pays. Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux même, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient méchant envers la société, non seulement de sa propre méchanceté mais encore des leurs. Ces six en ont sous eux six cents, qu’ils corrompent autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité. Il leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. »


Résumons ce propos. Autour du tyran, il y a cinq hommes. Ces cinq hommes « en ont sous eux » six cents. Ces six cents « en tiennent six milles sous leur domination ». Ces six milles sont élevés en dignité : on leur donne le gouvernement des provinces et le maniement des deniers publics.

La Boétie nous décrit là une organisation pyramidale dans les hautes strates de nos sociétés. Il nous décrit des réseaux oligarchiques qui se structurent autour des hautes fonctions ; fonctions qui de prime abord sont réputées indépendantes les unes des autres. La Boétie nous décrit donc ce que les dissidents du XXIème siècle appellent le Système, soit les réseaux informels de l’oligarchie, dont les acteurs, réputés indépendants les uns des autres (finance, politique, médias) sont en réalité reliés entre eux par des intérêts tacites et communs. La Boétie évoque « une chaîne interrompue » d’hommes qui de la sorte sont liés au tyran.

Telle est donc la troisième source de la servitude : un groupe d’individus, que la Boétie baptise les « mange-peuples », instaure et maintient la servitude pour la défense des intérêts de « cette chaîne ininterrompue ».

Le péché commit par la dissidence, répétons-le, est d’une part d’avoir proclamé que des mange-peuples existent toujours et d’autre part, de les avoir nommé. Dire qu’il existe des classes dirigeantes défendant ses intérêts par des stratégies parfois perverses n’est donc ni du complitisme, ni du délire, ni de la paranoïa. Ou alors, il faudra affubler de ces termes élégants le meilleur ami de Montaigne. Mais là, on ne frisera plus le ridicule, on l’embrassera complétement.

Socrate conclut : Remplacer sophiste par dissident

(Pris dans le dialogue de Ménon)

Socrate

Mais, Anytos, un des sophistes t-a-t-il fait du tort ? Sinon pour quelle raison es-tu si irrité contre eux ?

Anytos

Non, par Zeus, pour ma part, je n’ai jamais fréquenté l’un de ces individus ! Et je ne le permettrais à aucun des miens non plus !

Socrate

Tu n’as donc aucune connaissance de ces hommes !

Anytos

Oui, et puissé-je n’en avoir jamais !

Socrate

Mais dans ce cas, bien heureux, comment pourrais-tu savoir ce qu’il y a de bon dans ce qu’ils font ou que c’est vain, si tu n’y connais absolument rien ?

Anytos

C’est facile. En tout cas, ces gens-là, je sais ce qu’ils sont, que je les connaisse ou pas !

Socrate

Tu es sans doute devin, Anytos ! Puisque, comment, s’en tenant à ce que tu dis toi-même, connaîtrais tu ces hommes ?


Adrien Abautiz, extraits, pour Mecanopolis

7 commentaires:

  1. Si c'est La Boétie qui décrivait déjà le "Système", ce n'est pas une nouveauté donc ! Machiavel aussi a écrit des choses à ce sujet, avant la Boétie (Le prince, "Il principe", 1513 qui peut aussi s'entendre "le principe", la méthode, la philosophie du pouvoir du prince).

    "Dans son très célèbre ouvrage de philosophie politique, Discours de la servitude volontaire, Etienne de la Boétie s’interroge sur ce paradoxe : l’homme est né libre, il aime la liberté et pourtant, partout, il est dans les fers."

    Pour que la servitude de la "masse" soit possible, son "consentement" est indispensable. La victoire du NOM ou de l'Oligarchie, c'est avant tout d'arriver à soumettre nos esprits.

    D'où l'importance de la propagande, de la désinformation, d'une éducation programmée dans le sens du Système (pas pour façonner des "honnêtes gens", mais des "zombies"), et bien entendu de tout le subliminal et le symbolique qui imprègne à notre ainsi notre subconscient (ex intéressant : Fantasia).

    La guerre à l'humanité fomentée par les Oligarques et les puissances invisibles de l'ombre, est avant tout la conquête et le soumission de nos esprits. La guerre est avant tout, spirituelle. Et la victoire, si nous l'obtenons, aussi.

    Victor Hugo l'avait dit:
    "Rien n'arrête une idée dont le temps est venu"

    le temps est-il venu ?

    L'ami Pierrot

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    1. J'anticipe le commentaire de Paulot. Cet article n'est pas démoniaque ni sataniste...je répète : pas démoniaque, sataniste, ni même "F-M". (Du temps de La Boétie...)
      Néanmoins, il m'a conduit à m'intéresser au Machiavélisme.

      L'ami Pierrot

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    2. "La guerre est avant tout, spirituelle" dis-tu Ami Pierrot. D'accord avec toi.

      "La misère est avant tout, spirituelle" a dit (à peu près) la fameuse Mère Théresa en parlant des pauvres en Inde et de leur capacité illimitée à vivre dans l'asservissement le plus complet et ce, depuis des siècles. D'accord avec elle aussi.

      Et bien sûr que la Liberté (et non pas la victoire) viendra de l'Esprit...que nous sommes.

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    3. Hé oui,javais pas fait attention ! Paul se moque de l'ami Pierrot sur tous ses posts et comme par hasard ,comme la remarqué demelgueil "Pourtant pourquoi 6 et 600 et 6000 ? 666, si c'est pas satanique je ne m'y connais pas, et je ne m'y connais pas d'ailleurs."

      Paul s'est bien amusé aujourd'hui

      Mathieu

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  2. Pourtant pourquoi 6 et 600 et 6000 ? 666, si c'est pas satanique je ne m'y connais pas, et je ne m'y connais pas d'ailleurs.
    demelgueil

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  3. A mon avis, dès notre naissance nous ne sommes pas libres : nous sommes prisonniers de notre condition physique, dépendants déjà de nos parents en ce qui concerne la nourriture. Et nous sommes déjà emprisonnés par le milieu social dans lequel nous naissons.
    La liberté est donc un principe bien arbitraire.

    Elle se situe bien uniquement au niveau de l'esprit. Je suis totalement d'accord.

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  4. Bonjour,

    Je cite : "La liberté ne se réclame pas, la liberté se vit ! La liberté profonde demande un changement de l'individu, un changement de son état de conscience, un changement de sa façon de penser et d'agir."

    Si nous nous vivons avec des chaînes, nous resterons des esclaves.

    L'image qui illustre ce sujet est très parlante. Ni l'une ni l'autre ne sont libres. La pléthorique l'est encore moins, elle vit dans l'illusion.

    Edouard

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