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09 avril 2012

Se préparer à l’effondrement social

Bonsoir Mesdames, Messieurs. Merci d’être venus. Il est sans aucun doute agréable de traverser tout le continent nord-américain et d’avoir quelques personnes pour venir vous voir, même si l’occasion n’est pas heureuse. Vous êtes ici pour m’écouter parler d’effondrement social et des façons variées dont nous pourrions éviter de foirer cela, ainsi que toutes les autres choses qui sont mal parties. Je sais que c’est beaucoup vous demander, car pourquoi ne voudriez-vous pas à la place aller manger, boire, et être gai ? Bon, peut-être qu’il restera du temps pour cela après mon exposé.

Je voudrais remercier la Fondation du long maintenant1 de m’avoir invité, et je me sens très honoré de passer dans le même lieu que de nombreux professionnels sérieux tels que Michael Pollan2, qui sera ici en mai, ou certains des orateurs précédents, tels que Nassim Taleb3, ou Brian Eno4 — quelques-unes de mes personnes préférées, vraiment. Je suis juste un touriste. J’ai pris l’avion jusqu’ici pour donner cette conférence et visiter les sites touristiques, ensuite je rentrerai à Boston et je retournerai à mon gagne-pain. Et puis, je suis aussi blogueur. Et j’ai aussi écrit un livre. Mais bon, tout le monde a un livre, à ce qu’il semble.
Vous pourriez vous demander, alors : Pourquoi bon sang a-t-il été invité à parler ici ce soir ? Il semble que je profite de mon moment sous les projecteurs, parce que je suis l’une des très rares personnes qui ont prédit sans équivoque il y a plusieurs années la fin des États-Unis en tant que superpuissance globale. L’idée que les États-Unis suivraient le chemin de l’Union soviétique semblait absurde à l’époque. Elle ne semble plus si absurde. Je présume que certains d’entre vous réservent leurs paris. Comment vont les réserves de fonds5, à propos ?
Je pense que je préfère rester un simple touriste, parce que j’ai appris par l’expérience — heureusement, l’expérience d’autres gens — qu’être prévisionniste en effondrement de superpuissance n’est pas un bon choix de carrière. J’ai appris cela en observant ce qui est arrivé aux gens qui ont réussi à prévoir l’effondrement de l’Union soviétique. Savez-vous qui est Andreï Amalrik6 ? Vous voyez, c’est exactement ce que je veux dire. Il a prédit avec succès l’effondrement de l’Union soviétique. Il ne s’était trompé que d’une demi-décennie. Cela a été une autre leçon précieuse pour moi, c’est pourquoi je ne donnerai pas la date exacte à laquelle les États-Unis deviendront les ex-États-Unis. Mais même si quelqu’un pouvait chorégraphier l’ensemble de l’événement, cela ne produirait guère de carrière, parce qu’une fois que tout commence à tomber en morceaux, les gens ont des choses bien plus importantes à s’occuper que de s’émerveiller des formidables capacités prédictives d’une quelconque Cassandre.
J’espère avoir fait comprendre que je ne suis aucunement ici en qualité de professionnel. Je considère ce que je fais comme une sorte de bénévolat. Alors, si vous n’aimez pas mon exposé, ne vous inquiétez pas pour moi, il y a beaucoup d’autres choses que je peux faire. Mais j’aimerais que mes idées puissent servir durant ces temps difficiles et confus, pour des raisons altruistes principalement, mais pas seulement. Cela parce que, lorsque les temps deviennent vraiment durs, comme ils l’ont été quand l’Union soviétique s’est effondrée, beaucoup de gens perdent complètement pied. Les hommes, particulièrement. Les hommes d’âge mûr, prospères, chefs de familles, les piliers de la société, s’avèrent particulièrement vulnérables. Et lorsqu’ils perdent complètement pied, ils deviennent une très ennuyeuse compagnie. Mon espoir est qu’une certaine quantité de préparation, psychologique et autrement, puisse les rendre beaucoup moins fragiles, et un peu plus utiles, et qu’ils soient généralement de moindres fardeaux.
Les femmes semblent bien plus capables de faire face. Peut-être est-ce parce qu’elles ont une moindre part de leur ego investie dans toute la douteuse entreprise, ou peut-être que leur sens de la responsabilité personnelle est lié à ceux qui les entourent et non à une nébuleuse et grandiose entreprise. En tout cas, les femmes semblent toujours bien plus capables de simplement mettre leurs gants de jardinage et d’aller faire quelque chose d’utile, tandis que les hommes ont tendance à s’asseoir et à geindre sur l’empire, la république, ou quoi que ce soit qu’ils aient perdu. Et lorsqu’ils font cela, ils deviennent une très ennuyeuse compagnie. Aussi, sans un peu de préparation mentale, les hommes sont tous susceptibles de finir solitaires et très saouls. Donc, c’est ma petite intervention.

La théorie comparative des effondrements de superpuissances

Dmitry Orlov
S’il y a une chose que j’aimerais revendiquer comme mienne, ce serait la théorie comparative des effondrements de superpuissances. Pour l’instant, cela reste une simple théorie, bien qu’elle soit en train d’être très minutieusement testée. La théorie affirme que les États-Unis et l’Union soviétique se seront effondrés pour les mêmes raisons, à savoir : un déficit sévère et chronique de la production de pétrole brut (cet élixir magique, générateur de dépendance, des économies industrielles), un déficit du commerce extérieur sévère et empirant, un budget militaire incontrôlable, et une dette extérieure se boursouflant. J’appelle cette liste d’ingrédients particulière : la soupe d’effondrement de superpuissance. D’autres facteurs, tels que l’incapacité à fournir une qualité de vie acceptable à ses citoyens, ou un système politique systématiquement corrompu, incapable de réforme, n’aident certainement pas, mais ils ne mènent pas automatiquement à l’effondrement, car ils ne mettent pas le pays sur une trajectoire de collision avec la réalité. Ne soyez pas trop préoccupés, cependant, car, comme je l’ai mentionné, ce n’est qu’une théorie. Ma théorie.
Je travaille sur cette théorie depuis environ 1995, quand il m’est apparu que les États-Unis retraçaient la même trajectoire que l’Union soviétique. Comme c’est si souvent le cas, avoir cette réalisation était grandement dû au fait de se trouver au bon endroit au bon moment. Les deux plus importantes méthodes pour résoudre des problèmes sont : 1) en connaissant la solution d’avance, et 2) en la devinant correctement. J’ai appris cela en école d’ingénieur — d’un certain professeur. Je ne suis pas très bon aux devinettes, mais je connais parfois la réponse en avance.
J’étais très bien placé pour avoir cette réalisation parce que j’ai grandi à cheval sur les deux mondes — l’Union soviétique et les États-Unis. J’ai grandi en Russie, et j’ai déménagé aux États-Unis quand j’avais douze ans, et donc je parle couramment le russe, et je comprends l’histoire russe et la culture russe comme seul un Russe peut les comprendre. Mais je suis passé par le lycée et l’université aux États-Unis. J’ai fait carrière dans de nombreuses industries ici, j’ai largement voyagé à travers le pays, et donc j’ai aussi une très bonne compréhension des États-Unis avec toutes leurs bizarreries et leurs idiosyncrasies. Je suis retourné en Russie en 1989, quand les choses là-bas semblaient plus ou moins alignées sur la norme soviétique, et à nouveau en 1990, quand l’économie était à un point mort, et que de grands changements étaient clairement en route. J’y suis retourné encore trois fois au cours des années 1990, et j’ai observé les divers stades de l’effondrement soviétique aux premières loges.
Au milieu des années 1990, j’ai commencé à voir la superpuissance soviétique ou américaine comme une sorte de maladie qui recherche la domination mondiale mais en réalité éviscère son pays hôte, laissant finalement derrière elle une coquille vide : une population appauvrie, une économie en ruine, un legs de difficultés sociales, et un énorme fardeau de dettes. Les symétries entre les deux superpuissances globales étaient alors trop nombreuses pour être mentionnées, et elles sont devenues toujours plus évidentes depuis.
Les symétries des superpuissances peuvent intéresser les cuistres politiques, les mordus d’histoire et divers sceptiques, mais elles ne nous disent rien qui serait utile dans notre vie quotidienne. Ce sont les asymétries, les différences entre les deux superpuissances, que je crois les plus instructives. Quand le système soviétique s’en est allé, beaucoup de gens ont perdu leur boulot, tout le monde a perdu ses économies, les salaires et les pensions ont été retenus pendant des mois, leur valeur a été effacée par l’hyperinflation, il y a eu des pénuries de nourriture, d’essence, de médicaments, de biens de consommation, il y a eu une grande augmentation du crime et de la violence, et pourtant la société russe ne s’est pas effondrée. D’une façon ou d’une autre, les Russes ont trouvé des façons de se débrouiller. Comment cela a-t-il été possible ? Il se trouve que de nombreux aspects du système soviétique étaient paradoxalement résiliants face à un effondrement de l’ensemble du système, beaucoup d’institutions ont continué de fonctionner, et le mode de vie était tel que les gens n’ont pas perdu l’accès à la nourriture, au logement ou au transport, et ont pu survivre même sans revenu. Le système économique soviétique a échoué à prospérer, et l’expérience communiste de construire un paradis ouvrier sur terre fut, finalement, un échec. Mais par un effet secondaire il est parvenu par inadvertance à un haut niveau de préparation à l’effondrement. En comparaison, le système américain a pu produire des résultats significativement meilleurs, pendant un temps, mais au prix de la création et de la perpétuation d’un mode de vie qui est très fragile, et pas du tout capable de résister au choc inévitable. Même après que l’économie soviétique s’est évaporée et que le gouvernement s’est largement arrêté, les Russes avaient encore tout ce qu’il fallait pour travailler. Et donc il y a une profusion d’informations utiles et d’idées que nous pouvons extraire de l’expérience russe, que nous pouvons alors retourner et mettre à bon usage pour nous aider à improviser un nouveau mode de vie ici, aux États-Unis — un mode de vie qui soit plus susceptible de survivre.
Le milieu des années 1990 ne me semblait pas le bon moment pour exprimer de telles idées. Les États-Unis célébraient leur prétendue victoire dans la guerre froide, se remettaient de leur syndrome vietnamien en ramenant l’Irak à l’âge de pierre à coup de bombardement, et les cuistres de la politique étrangère inventaient le terme hyper-puissance et divaguaient sur la domination à tous les niveaux7. Toute sorte de chose idiote se produisait. Le professeur Fukuyama nous disait que l’histoire était terminée, et donc nous étions en train de construire le meilleur des mondes où les Chinois feraient des trucs en plastique pour nous, les Indiens fourniraient le service après-vente quand ces trucs fabriqués en Chine tomberaient en panne, et nous paierions pour tout cela juste en revendant des maisons, en prétendant qu’elles valaient beaucoup d’argent alors qu’elles n’étaient vraiment que des bouts de camelote inutiles. Alan Greenspan8 nous réprimandait sur l’exubérance irrationnelle tout en dépréciant constamment les taux d’intérêt. C’était l’économie de Boucle d’or9 — ni trop chaude, ni trop froide. Vous vous en souvenez ? Et maintenant il s’avère que c’était en fait plutôt une économie de fée Clochette, parce que les cinq dernières années environ de croissance économique ont été plus ou moins une hallucination, basée sur diverses pyramides d’endettement, tout le château de carte comme l’a désigné un jour le président Bush durant l’un de ses moments de lucidité. Et maintenant nous pouvons jeter un regard sur cela avec un drôle de sentiment nauséeux, ou nous pouvons regarder en avant et ne rien ressentir d’autre que le vertige.

Garder la théorie pour soi, observer l’effondrement pétrolier

Dmitry Orlov
Pendant que toutes ces choses idiotes se déroulaient, j’ai pensé qu’il valait mieux garder ma théorie comparative de l’effondrement des superpuissances pour moi. Pendant ce temps, je surveillais les actions de l’industrie pétrolière, car j’avais compris que les importations de pétrole sont le talon d’Achille de l’économie américaine. Au milieu des années 1990 le pic absolu de la production mondiale de pétrole était prévu pour le tournant du siècle. Mais alors beaucoup de choses se sont produites qui l’ont retardé d’au moins une demi décennie. Peut-être que vous l’avez remarqué aussi, il y a une sorte de refrain ici : les gens qui essayent de prédire de grands changements historiques s’avèrent toujours s’être trompés d’environ une demi décennie. Les prédictions ratées, d’un autre côté, sont toujours exactes en terme de minutage : le monde tel que nous le connaissons a échoué à se finir précisément à minuit le 1er janvier 2000. Peut-être y a-t-il un principe physique impliqué : l’information se répand à la vitesse de la lumière, tandis que l’ignorance est instantanée en tout point de l’univers connu. Aussi veuillez prendre note mentalement : chaque fois qu’il vous semble que je suis en train de faire une prédiction spécifique quant au moment où je pense que quelque chose va probablement se produire, ajoutez silencieusement plus ou moins une demi décennie.
En tout cas, il y a environ une demi-décennie, j’ai finalement pensé que le moment était venu, et, comme cela s’est avéré, je n’étais pas très loin. En juin 2005 j’ai publié un article sur ce sujet, intitulé Leçons post-soviétiques pour un siècle post-américain, qui a été très populaire, même au point que j’ai été payé pour cela. Il est disponible à divers endroits sur l’internet. Un peu plus tard j’ai quelque peu formalisé ma pensée par le concept du retard d’effondrement, que j’ai présenté lors d’une conférence à Manhattan en avril 2006. Les diapositives de cette présentation, intitulée Combler le retard d’effondrement, ont été publiées sur l’internet et téléchargées quelques millions de fois depuis. Ensuite, en janvier 2008, quand il est devenu apparent pour moi que l’effondrement financier était bien parti, et que d’autres stades d’effondrement allaient suivre, j’ai publié un cours article intitulé Les cinq stades de l’effondrement, que j’ai ensuite développé en un exposé que j’ai donné à une conférence dans le Michigan en octobre 2008. Finalement, à la fin de 2008, j’ai annoncé sur mon blog que je me retirais des affaires de pronostic. J’avais fait suffisamment de prédictions, elles semblent toutes en très bonne voie (ajoutez ou retirez une demi décennie, n’oubliez pas cela), l’effondrement est bien en route, et maintenant je suis juste un observateur.

Les meilleures pratiques de l’effondrement social

Dmitry Orlov
Mais cette conférence traite d’autre chose, quelque chose d’autre que de faire de terribles prédictions puis de crâner lorsqu’elles se réalisent. Voyez-vous, il n’y a rien de plus inutile que les prédictions, une fois qu’elles se sont réalisées. C’est comme regarder les choix d’actions en bourse formidablement réussis de l’année dernière : qu’allez-vous en faire cette année ? Ce dont nous avons besoin ce sont des exemples de choses dont il a été démontré qu’elles fonctionnent dans l’environnement étrange et inconnu de l’après-effondrement auquel nous devrons probablement nous confronter. Stewart Brand10 a proposé comme titre de la conférence : Les meilleures pratiques de l’effondrement social, et j’ai pensé que c’était une excellente idée. Bien que le terme les meilleures pratiques se soit dilué avec le temps pour ne signifier parfois guère plus que de bonnes idées, initialement il représentait le processus consistant à abstraire des techniques utiles à partir d’exemples de ce qui avait fonctionné par le passé et à les appliquer à des situations nouvelles, de façon à contrôler le risque et à accroître les chances d’obtenir un résultat positif. C’est une façon d’éviter beaucoup d’essais et d’erreurs, de délibérations et d’expérimentations, et de suivre simplement ce qui marche.
Dans une organisation, particulièrement une grande organisation, les meilleures pratiquesoffrent aussi une bonne façon d’éviter de douloureux épisodes où l’on voit des collègues essayer de penser hors des cadres à chaque fois qu’ils sont confrontés à un problème nouveau. Si vos collègues étaient doués pour penser en dehors des cadres, ils ne se sentiraient pas à ce point obligés de passer toute leur vie professionnelle assis dans une boîte à tenir chaud à un fauteuil de bureau. S’ils étaient doués pour penser en dehors des cadres, ils auraient déjà trouvé un moyen de s’échapper de ce cadre. Alors peut-être que ce qui les rendrait à nouveau heureux et productifs est que quelqu’un vienne et leur donne un cadre différent à l’intérieur duquel penser — un cadre mieux adapté à l’environnement post-effondrement.
Voici l’idée clef : vous pourriez penser que lorsque l’effondrement se produit, rien ne marche. Ce n’est tout simplement pas le cas. Les anciennes manières de faire ne marchent plus, les anciennes hypothèses sont toutes invalidées, les buts conventionnels et la mesure du succès deviennent sans pertinence. Mais un autre type de but, de technique, et de mesure du succès peut être mis en œuvre immédiatement, et le plus tôt est le mieux. Mais assez de généralités, passons en revue certaines spécificités. Nous allons commencer avec quelques généralités, et, comme vous le verrez, tout cela va devenir très, très spécifique plutôt rapidement.
Voici une autre idée clef : il y a très peu de choses qui soient positives ou négatives en soi. Presque tout est une question de contexte. Maintenant, il se trouve que la plupart des choses qui sont positives avant l’effondrement s’avèrent négatives une fois que l’effondrement se produit, et vice versa. Par exemple, avant l’effondrement, avoir beaucoup d’inventaire dans une société est mauvais, parce que les sociétés doivent l’entreposer et le financer, donc elles essayent d’avoir un inventaire juste-à-temps. Après l’effondrement, un grand inventaire s’avère très utile, parce qu’elles peuvent le troquer contre les choses dont elles ont besoin, et qu’elles ne peuvent facilement en obtenir davantage parce qu’elles n’ont pas le moindre crédit. Avant l’effondrement, il est bon pour une société d’avoir la juste quantité de personnel et une organisation efficace. Après l’effondrement, ce que l’on veut est une gigantesque et indolente bureaucratie qui ne puisse exécuter les opérations ou virer les gens assez vite grâce à un pur traînage de savate bureaucratique. Avant l’effondrement, ce que l’on veut est un secteur de la distribution efficace et un bon service client. Après l’effondrement, on regrette de ne pas avoir eu un secteur de la distribution peu fiable, avec des pénuries et des files d’attentes, parce que les gens auraient été forcés d’apprendre à bouger pour eux-mêmes au lieu de rester à attendre que quelqu’un vienne les nourrir.

L’état des États-Unis : ce que suggère Washington

Dmitry Orlov
Si vous le remarquez, aucune des choses que j’ai mentionnées n’a la moindre incidence sur ce que l’on perçoit communément comme la santé économique. Avant l’effondrement, le positif macro-économique global est une économie en expansion. Après l’effondrement, la contraction économique est une donnée, et le positif macro-économique global devient quelque chose comme un impondérable, alors nous sommes forcés d’écouter beaucoup d’absurdités. La situation est soit légèrement meilleure qu’attendue soit légèrement pire. Nous sommes toujours à des mois ou à des années d’un rétablissement économique. Les affaires vont reprendre tôt ou tard, parce qu’une tête de pompon le dit à la télévision.
Mais démontons cela. En commençant par le plus général, quels sont les objectifs macro-économiques actuels, si l’on écoute l’air chaud qui vient de Washington en ce moment ? Premièrement : la croissance, bien sûr ! Faire tourner l’économie. Nous n’avons rien appris du dernier énorme pic du prix des produits de bases, alors réessayons. Cela demande une stimulation économique, c’est à dire d’imprimer de la monnaie. Voyons à quelle hauteur les prix montent cette fois. Peut-être que cette fois nous atteindrons l’hyper-inflation. Deuxièmement : stabiliser les institutions financières, obtenir des banques qu’elles prêtent — c’est important aussi. Vous voyez, nous n’avons tout simplement pas encore assez de dette, c’est notre problème. Nous avons besoin de davantage de dette, et vite ! Troisièmement : des emplois ! Nous avons besoin de créer des emplois. Des emplois à bas salaire, bien sûr, pour remplacer tous les emplois industriels à haut salaire que nous avons perdus depuis des décennies maintenant, et que nous remplaçons par des emplois de service à bas salaire, principalement des emplois sans sécurité ni avantage social. En ce moment, beaucoup de gens pourraient freiner le train auquel ils s’enfoncent dans l’endettement s’ils quittaient leur emploi. C’est à dire que leur emploi est une perte nette pour eux en tant qu’individu aussi bien que pour l’économie dans son ensemble. Mais bien sûr, nous avons besoin de davantage de cela, et vite !
C’est donc là où nous en sommes maintenant. Le navire est sur la roche, l’eau monte, et le capitaine crie : En avant à toute vapeur ! Nous voguons vers l’Afghanistan ! Restez-vous à écouter Achab11 sur la passerelle, ou désertez-vous votre poste dans la salle des machines pour aider à déployer les radeaux de survie ? Si vous pensiez que les précédents épisodes d’accroissement incontrôlé de la dette, les chaînes de Ponzi12 globalisées, et le démembrement de l’économie étaient idiots, je prédis alors que vous trouverez ce prochain épisode d’agrippement à des fétus de paille macro-économiques encore plus idiot. Sauf que ce ne sera pas drôle : ce qui est en train de s’écraser maintenant est notre système de survie, tous les systèmes et les institutions qui nous maintiennent en vie. Et donc je ne recommande pas de rester passivement à regarder le spectacle — à moins que vous éprouviez un désir de mort.

Les priorités post-effondrement : nourriture, logement, transport et sécurité

Dmitry Orlov
En ce moment l’équipe de stimulation économique de Washington est en train de passer son scaphandre et de plonger jusque dans la salle des machines pour essayer d’inventer une façon de faire marcher un moteur diesel sous la mer. Ils parlent de changement, mais en réalité ils sont terrifiés par le changement et s’accrochent de toute leur force au statu quo. Mais ce jeu sera bientôt terminé, et ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils vont faire ensuite.
Alors, que pourraient-ils faire ? Oublier la croissance, oublier les emplois, oublier la stabilité financière. Que devraient être leurs nouveaux objectifs réalistes ? Et bien les voilà : nourriture, logement, transport et sécurité. Leur tâche est de trouver une manière de fournir toutes ces commodités dans l’urgence, en absence d’une économie en fonctionnement, avec le commerce au point mort, avec peu ou pas d’accès aux importations, et de les rendre disponibles à une population largement sans le sou. S’ils réussissent, la société demeurera largement intacte, et sera capable d’entamer un lent et douloureux processus de transition culturelle, et finalement de développer une nouvelle économie, une économie se désindustrialisant graduellement, à un niveau bien plus bas de dépense des ressources, caractérisée par beaucoup d’austérité et même de pauvreté, mais dans des conditions sûres, décentes, et dignes. S’ils échouent la société va graduellement être détruite dans une série de convulsions qui laisseront un pays défunt composé de beaucoup de petits fiefs misérables. Compte-tenu de sa base de ressources grandement épuisée, de son infrastructure dysfonctionnelle en train de s’effondrer, et de son passé de conflits sociaux irrésolus, le territoire des ex-États-Unis subira une dégénérescence régulière ponctuée par des cataclysmes naturels et artificiels.
Nourriture. Logement. Transport. Sécurité. Quand il s’agit de fournir ces nécessités vitales, l’exemple soviétique offre beaucoup de précieuses leçons. Comme je l’ai déjà mentionné, lors d’un effondrement de nombreux négatifs économiques deviennent des positifs, et vice versa. Considérons chacun de ces points un par un.

Le système agro-alimentaire : tirer les leçons de l’exemple soviétique

Dmitry Orlov
L’agriculture soviétique était rongée par une sous-performance constante. Sous de nombreux aspects, c’était le legs de l’expérience de collectivisation désastreuse accomplie dans les années 1930, qui avait détruit nombre des foyers de cultivateurs les plus prospères et parqué les gens dans des fermes collectives. La collectivisation a miné les traditions agricoles basées sur le village qui avaient fait de la Russie pré-révolutionnaire un pays bien nourri qui était aussi le grenier de l’Europe occidentale. Une grande quantité de dommages supplémentaires ont été causés par l’introduction de l’agriculture industrielle. La lourde machinerie agricole a alternativement compacté et lacéré la terre végétale tout en lui administrant des produits chimiques, en l’épuisant et en tuant le biote13. Finalement, le gouvernement soviétique dû se tourner vers l’importation de céréales provenant de pays hostiles à ses intérêts — les États-Unis et le Canada — et étendre finalement cela à d’autres denrées alimentaires. L’Union soviétique a connu une pénurie permanente de viande et d’autres aliments riches en protéines, et une grande part des céréales importées a été utilisée pour élever du bétail pour essayer de résoudre ce problème.
Bien qu’il ait été généralement possible de survivre avec la nourriture disponible dans les magasins du gouvernement, le régime résultant aurait été plutôt pauvre, et donc les gens essayaient de le compléter avec la nourriture qu’ils ramassaient, élevaient, ou attrapaient, ou achetaient sur les marchés des fermiers. Les jardins potagers ont toujours été courants, et, une fois que l’économie s’est effondrée, de nombreuses familles se sont mises à faire pousser de la nourriture sérieusement. Les jardins potagers, par eux-mêmes, n’ont jamais été suffisants, mais ils ont fait une énorme différence.
L’année 1990 a été particulièrement dure quand il s’agissait de dégoter quelque chose de comestible. Je me souviens d’une plaisanterie particulière de cette période. L’humour noir a toujours été l’un des principaux mécanismes d’adaptation en Russie. Un homme entre dans un magasin d’alimentation, va au rayon viande, et voit qu’il est complètement vide. Alors il demande au boucher : Vous n’avez pas de poisson ? Et le boucher répond : Non, ici ce que nous n’avons pas c’est la viande. Le poisson c’est ce qu’ils n’ont pas au rayon poissonnerie.
Aussi pauvre qu’il ait été, le système de distribution alimentaire soviétique ne s’est jamais effondré complètement. En particulier, les livraisons de pain ont continué même durant les pires moments, en partie parce que cela a toujours été une très importante part du régime alimentaire russe, et en partie parce que l’accès au pain symbolisait le pacte entre le peuple et le gouvernement communiste, consacré par des slogans révolutionnaires réitérés. Aussi, il est important de se souvenir qu’en Russie la plupart des gens vivaient à distance de marche des boutiques d’alimentation, et utilisaient les transports publics pour quitter leurs potagers, qui étaient souvent situés dans la campagne à la périphérie immédiate de villes relativement denses et compactes. Cette combinaison de facteurs a donné des moments difficiles, mais très peu de malnutrition et pas de famine.
Aux États-Unis, le système agricole est lourdement industrialisé, et dépend d’apports tels que le diesel, les fertilisants chimiques et les pesticides, et, peut-être le plus important, le financement. Dans le climat financier actuel, l’accès des agriculteurs au financement n’est pas du tout assuré. Ce système agricole est efficace, mais seulement si vous considérez le carburant fossile comme une énergie gratuite. En fait, c’est une façon de transformer de l’énergie fossile en nourriture avec un peu d’aide solaire, au point que dix calories d’énergie fossile est incorporée dans chaque calorie consommée en tant que nourriture. Le système de distribution fait lourdement usage de camions diesels réfrigérés, transportant les aliments sur des centaines de kilomètres pour ravitailler les supermarchés. Le pipeline de nourriture est long et fin, et il ne faut qu’une paire de jours d’interruption pour que les étalages des supermarchés soient mis à nu. Beaucoup de gens vivent dans des lieux qui ne sont pas à distance de marche des magasins, pas desservis par les transports publics, et ils seront coupés des sources de nourriture une fois qu’ils ne pourront plus conduire.
En dehors des chaînes de supermarchés, une grande partie des besoins nutritifs sont satisfaits par un assortiment de gargotes de restauration rapide et de supérettes14. En fait, dans nombre des quartiers les moins à la mode des grandes et petites villes, la restauration rapide et la nourriture de supérette sont tout ce qui est disponible. Dans un avenir proche, cette tendance va probablement s’étendre aux quartiers les plus prospères des villes et des banlieues15.
Les groupes de restauration rapide tels que McDonald’s ont plus de moyens de réduire leurs coûts, et donc ils pourraient se montrer un peu plus résiliants face à l’effondrement économique que les chaînes de supermarché, mais ils ne se substitueront pas à la sécurité alimentaire, car eux aussi dépendent de l’industrie agro-alimentaire. Leurs ingrédients, tels que le sirop de maïs à haute teneur en fructose, les patates génétiquement modifiées, divers compléments à base de soja, le bœuf, le porc et le poulet élevés en usine, et ainsi de suite, sont dérivés du pétrole, dont les deux tiers sont importés, ainsi que le fertilisant fabriqué à partir du gaz naturel. Ils pourront peut-être rester en fonctionnement plus longtemps, en fournissant de la nourriture-qui-n’est-pas-vraiment-de-la-nourriture, mais finalement ils tomberont à cours d’ingrédients ainsi que le reste de la chaîne de distribution. Avant cela, il se pourrait qu’ils vendent pendant un temps des hamburgers qui ne soient pas vraiment des hamburgers, comme ce pain qui n’était pas vraiment du pain que le gouvernement soviétique distribuait à Leningrad durant le blocus nazi. C’était essentiellement de la sciure, avec un peu de farine de seigle ajoutée pour le goût.

La nourriture : comment éviter le pire

Dmitry Orlov
Pouvons-nous trouver une façon d’éviter ce lamentable scénario ? L’exemple russe peut nous donner un indice. De nombreuses familles russes pouvaient jauger à quelle vitesse l’économie était en train de s’écraser, et, en se basant sur cela, décidaient du nombre de rangs de patates à planter. Pourrions-nous peut-être faire quelque chose de similaire ? Il y a déjà un solide mouvement pour le jardinage aux États-Unis ; peut-on l’élargir ? Le truc est de rendre de petites portions de terre arable disponibles pour la mise en culture non-mécanique par des individus et des familles, en incréments aussi petits que cent mètres carrés. Les coins idéaux seraient des bouts de terre fertiles avec un accès aux rivières et aux ruisseaux pour l’irrigation. Des dispositions devraient être prises pour des campements et du transport, permettant aux gens d’entreprendre des migrations saisonnières vers la terre pour cultiver durant la saison de croissance, et de haler le produit jusqu’aux centres de population après avoir fait la récolte.
Une approche encore plus simple a été utilisée avec succès à Cuba : convertir des places de stationnement urbaines et d’autres bouts de terrain vides en plantation en jardinières. Au lieu de continuellement véhiculer les légumes et autre nourriture, il est bien plus facile d’apporter le sol, le compost, et le paillis une fois par saison. Les autoroutes surélevées peuvent être fermées à la circulation (puisqu’il est improbable qu’il y ait beaucoup de circulation en tout cas) et utilisées pour récupérer l’eau de pluie pour l’irrigation. Les toits et les balcons peuvent être utilisés pour des serres, des poulaillers, et divers autres usages agricoles.
À quel point cela serait-il difficile à organiser ? Et bien, les Cubains ont en fait été aidés par leur gouvernement, mais les Russes sont parvenus à le faire plus ou moins malgré les bureaucrates soviétiques, et donc nous pourrions être capables de le faire malgré les bureaucrates américains. Le gouvernement pourrait théoriquement prendre la tête d’un tel effort, hypothétiquement parlant bien sûr, parce que je ne vois aucune preuve qu’un tel effort soit en train d’être envisagé. Pour nos intrépides dirigeants nationaux, de telles initiatives sont de trop bas niveau : s’ils stimulent l’économie et obtiennent que les banques prêtent à nouveau, les patates vont simplement pousser toutes seules. Tout ce qu’ils doivent faire est d’imprimer un peu plus d’argent, n’est-ce pas ?

Le logement : l’état actuel et l’avenir proche

Dmitry Orlov
Passons au logement. À nouveau, regardons comment les Russes sont parvenus à se débrouiller. En Union soviétique, les gens ne possédaient pas leur lieu de résidence. Tout le monde se voyait assigné à un lieu pour vivre, lequel était enregistré dans le passeport intérieur de la personne. Les gens ne pouvaient être délogés de leur lieu de résidence aussi longtemps qu’ils respiraient. Comme la plupart des gens en Russie vivaient dans des grandes villes, le lieu de résidence était habituellement un appartement, ou une pièce dans un appartement communal, avec salle de bain et cuisine partagées. Il y avait une pénurie permanente de logement, et donc les gens cologeaient souvent, avec trois générations vivant ensemble. Les appartements étaient souvent bondés, parfois à la limite du sordide. Si les gens voulaient déménager, ils devaient trouver quelqu’un d’autre voulant déménager, qui voudrait échanger leur pièce ou leur appartement avec eux. Il y a toujours eu de longues listes d’attente pour les appartements, et souvent les enfants grandissaient, se mariaient, et avaient des enfants avant de recevoir un lieu à eux.
Cela semble être entièrement négatif, mais considérons le revers de tout cela : la densité de population élevée a rendu ce mode de vie très abordable. Avec plusieurs générations vivant ensemble, les membres des familles étaient disponibles pour s’aider les uns les autres. Les grands-parents fournissaient la crèche, libérant le temps de leurs enfants pour qu’ils fassent autre chose. Les immeubles d’appartements étaient toujours construits près des transports publics, donc on n’avait pas à dépendre des voitures particulières pour se déplacer. Les immeubles d’appartements sont relativement économiques à chauffer, et les services municipaux sont faciles à fournir et à entretenir grâce aux courtes longueurs de tuyauterie et de câble. Peut-être plus important, après que l’économie s’est effondrée, les gens ont perdu leurs économies, beaucoup de gens ont perdu leur emploi, même ceux qui avaient encore un emploi n’étaient souvent pas payés pendant des mois, et quand ils l’étaient la valeur de leur salaire était détruite par l’hyper-inflation, mais il n’y a pas eu de saisie, pas d’expulsion, les services municipaux tels que le chauffage, l’eau, et quelque fois même l’eau chaude ont continué à être fournis, et chacun avait sa famille auprès de soi. Aussi, parce qu’il était si difficile de déménager, les gens restaient généralement au même endroit pendant des générations, et donc ils tendaient à connaître tout le monde autour d’eux. Après l’effondrement économique, il y a eu un grand pic du taux de criminalité, ce qui a rendu très utile d’être entouré de gens qui n’étaient pas des étrangers, qui pouvaient garder un œil sur les choses. Enfin, dans un retournement intéressant, le mode de logement soviétique a offert une formidable aubaine finale : dans les années 1990 tous ces appartements ont été privatisés, et les gens qui y vivaient sont soudainement devenu propriétaires d’un bien immobilier de grande valeur, clairement et nettement.
En revenant à la situation aux États-Unis : ces derniers mois, beaucoup de gens se sont réconciliés avec l’idée que leur maison n’est pas un distributeur d’argent, ni un bas de laine. Ils savent déjà qu’ils ne pourront pas prendre leur retraite confortablement en la vendant, ou s’enrichir en la rénovant et en la revendant, et un bon nombre de gens ont acquiescé au fait que les prix de l’immobilier vont continuer de descendre. La question est : à descendre de combien ? Beaucoup de gens pensent encore qu’il doit y avoir une limite inférieure, un prixréaliste. Cette pensée est liée à l’idée que le logement est une nécessité. Après tout, tout le monde a besoin d’un endroit pour vivre.
Et bien, il est certainement vrai qu’une sorte d’abris est une nécessité, que ce soit un appartement, un dortoir, une couchette dans une caserne, un bateau, un camping-car, ou une tente, un tipi, un wigwam,16, un conteneur… La liste est virtuellement infinie. Mais il n’y a aucune raison de penser qu’un pavillon mono-familial de banlieue soit en n’importe quel sens une nécessité. Ce n’est guère plus qu’une préférence culturelle, et de plus à courte vue. La plupart des maisons de banlieue sont chères à chauffer et à refroidir, inaccessibles par les transports publics, chères à relier aux réseaux publics à cause des longueurs de tuyauterie et de câble, et demandent une grande quantité de dépenses publiques supplémentaires pour l’entretien des routes, ponts et autoroutes, les bus scolaires, la régulation de la circulation et d’autres absurdités. Elles occupent souvent ce qui était autrefois de la terre agricole valable. Elles promeuvent une culture centrée sur l’automobile qui détruit les environnements urbains, engendrant une prolifération de centre-villes morts17. Beaucoup de familles qui vivent dans des maisons de banlieue ne peuvent plus se le permettre, et attendent que les autres viennent les secourir.
À mesure que ce mode de vie deviendra inabordable pour tous ceux concernés, il deviendra aussi invivable. Les municipalités et les services publics n’auront pas de fonds à déverser sur les égouts, l’eau, l’électricité, la réparation des routes et des ponts, et la police. Sans essence, gaz naturel et fuel domestique abondant et peu cher, de nombreuses habitations de banlieue deviendront à la fois inaccessibles et invivables. Le résultat inévitable sera une migration massive de réfugiés banlieusards vers les centre-villes plus vivables, plus densément peuplés des grandes et petites villes. Les plus chanceux trouveront des amis ou de la famille avec qui rester ; pour les autres, il sera vraiment utile d’improviser une solution.

Le logement : que peut-on faire ?

Dmitry Orlov
Une réponse évidente serait de réaffecter les immeubles de bureau toujours abondamment vacants à un usage résidentiel. Convertir les bureaux en dortoirs est très simple. Nombre d’entre eux ont déjà des cuisines et des salles de bain, quantité de cloisons et autres meubles, et tout ce qui leur manque vraiment ce sont des lits. Y mettre des lits n’est pas si difficile. La nouvelle économie de subsistance ne générera probablement pas les grands surplus qui sont nécessaires pour maintenir la grande population actuelle de plancton de bureau. Les entreprises qui occupaient ces bureaux ne reviendront pas, donc nous ferions aussi bien de leur trouver de meilleurs usages.
Une autre catégorie de biens immobiliers qui vont probablement rester inutilisés et qui peuvent être réaffectés à de nouvelles communautés est les campus universitaires18. Le premier cycle d’enseignement supérieur américain est une institution d’un mérite douteux. Elle existe parce que les écoles publiques américaines échouent à enseigner en douze ans ce que les écoles publiques russes enseignent en huit. Comme de moins en moins de gens se trouveront capables de payer les études, ce qui va probablement arriver, parce que leurs maigres perspectives de carrière après le diplôme les rendront risqués pour les prêts étudiants, peut-être que cela donnera l’impulsion de faire quelque chose pour le système d’éducation publique. Une idée serait de le démolir, puis de commencer petit, mais finalement de construire quelque chose d’un peu plus au niveau des standards mondiaux.
Les campus universitaires font de parfaits centres communautaires : il y a des dortoirs pour les nouveaux venus, des clubs d’étudiants et d’étudiantes pour les résidents plus installés, et beaucoup de grand bâtiments publics qui peuvent être employés à divers usages. Un campus universitaire comporte normalement l’habituelle désolation de pelouse tondue qui peut être réaffectée à la production de nourriture, ou, au strict minimum, de foin, et pour faire paître le bétail. Peut-être que des administrateurs, des mandataires et des membres de faculté éclairés tomberont sur cette idée une fois qu’ils auront vu les inscriptions à plat et les donations chuter à zéro, sans avoir besoin de l’implication du gouvernement. Nous avons donc ici une lueur d’espoir, n’est-ce pas ?

Le transport : des prédictions sinistres

Dmitry Orlov
Passons au transport. Ici, nous avons besoin de nous assurer que les gens ne se trouvent pas isolés dans des endroits où l’on ne peut survivre. Ensuite nous devons nous préparer aux migrations saisonnières vers les lieux où les gens peuvent cultiver, attraper, ou ramasser leur propre nourriture, puis revenir aux lieux où ils peuvent survivre en hiver sans geler à mort ou être rendus fous par l’enfermement. Enfin, une certaine quantité de marchandises devront être déplacées, pour transporter la nourriture jusqu’aux centres de population, ainsi que suffisamment de charbon et de bois de chauffage pour préserver la tuyauterie du gel dans les logis habitables restants.
Tout cela va être un peu un défi, parce que cela repose entièrement sur la disponibilité des carburants de transport, et il semble très probable que les carburants de transport soient à la fois trop chers et disponibles seulement en petites quantités avant longtemps. Depuis environ 2005 et jusqu’à la mi-2008 le pétrole mondial s’est maintenu constant, incapable de croître matériellement au delà d’un niveau qui a été caractérisé comme un plateau bosselé. Un record absolu a été établi en 2005, et ensuite, après une période de records de prix du pétrole, à nouveau seulement en 2008. Puis, comme l’effondrement financier prenait de la vitesse, le prix du pétrole et d’autres produits de base s’est effondré, ainsi que la production de pétrole. Plus récemment, les marchés pétroliers sont venus reposer sur un plateau bosselé tout à fait différent : les prix du pétrole cahotent à environ quarante dollars le baril et ne semblent pas pouvoir aller plus bas. Il apparaîtrait que les coûts de production du pétrole se sont élevés jusqu’au point où cela n’a pas de sens économique de vendre du pétrole sous ce prix.
Maintenant, quarante dollars le baril est un bon prix pour les consommateurs américains en ce moment, mais il y a l’hyper-inflation à l’horizon, grâce à la grande fantasmagorie de l’impression de monnaie en cours à Washington, et quarante dollars pourraient facilement devenir quatre-cent, puis quatre-mille dollars le baril, excluant promptement les consommateurs américains du marché pétrolier international. Par dessus cela, les pays exportateurs rechigneraient à l’idée d’échanger leur pétrole contre une monnaie de plus en plus dépourvue de valeur, et commenceraient à exiger un paiement en nature — sous la forme d’un produit d’exportation tangible, ce que les États-Unis, dans leur état économique actuel, auraient du mal à fournir en quantité importante. La production pétrolière intérieure est en déclin permanent, et ne peut fournir qu’environ un tiers des besoins actuels. Cela fait encore beaucoup de pétrole, mais il sera très difficile d’éviter les répercussions des pénuries de pétrole généralisées. Il y aura un accaparement généralisé, beaucoup d’essence va simplement s’évaporer dans l’atmosphère, exhalée de divers jerricans et conteneurs de stockage improvisés, le reste disparaîtra dans le marché noir, et beaucoup de carburant sera gaspillé à tourner en rond en cherchant quelqu’un désireux de se séparer d’un peu de l’essence requise pour une petite mais critique mission.
Je suis tout à fait familier de ce scénario, parce que je me trouvais en Russie durant une période de pénuries d’essence. À une occasion, j’ai appris par le bouche-à-oreille qu’une certaine pompe à essence était ouverte et distribuait dix litres par personne. J’ai emmené la femme de mon oncle, laquelle était à l’époque enceinte de huit mois, et nous avons essayé d’utiliser son gros ventre pour convaincre l’employé de la pompe à essence de nous donner dix litres de plus avec lesquels nous pourrions la conduire à l’hôpital quand le moment viendrait. Des clous. La réponse désinvolte fut : Tout le monde est enceinte de huit mois ! Comment voulez-vous argumenter contre cette logique ? Alors ça a été dix litres pour nous aussi, ventre ou pas ventre.

Le transport : ce que nous pouvons faire

Dmitry Orlov
Alors, que pouvons-nous faire pour accomplir nos petites missions critiques malgré des pénuries de carburant chroniques ? L’idée la plus évidente, bien sûr, est de n’utiliser aucun carburant. Les bicyclettes, et les vélo-cargos en particulier, sont une excellente adaptation. Les bateaux à voile sont une bonne idée aussi : non seulement ils contiennent une grande quantité de cargaison, mais ils peuvent couvrir d’énormes distances, tout cela sans utilisation de carburant fossile. Bien sûr, ils sont restreints aux côtes et aux voies navigables. Ils seront entravés par le manque de dragage dû aux inévitables déficits budgétaires, et par des ponts qui refusent de s’ouvrir, encore une fois en raison du manque de fonds pour l’entretien, mais ici les anciennes techniques maritimes et l’improvisation peuvent être mises en œuvre pour résoudre de telles difficultés, tout cela en basse technologie et à un prix raisonnable.
Bien sûr, les voitures et les camions ne vont pas disparaître entièrement. Ici, à nouveau, des adaptations raisonnables peuvent être mises en œuvre. Dans mon livre, j’ai plaidé pour l’interdiction des ventes de voitures neuves, comme il a été fait aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale. Les bénéfices sont nombreux. Premièrement, les voitures usagées sont globalement plus efficaces énergétiquement que les voitures neuves, parce que la quantité massive d’énergie qui est passée dans leur fabrication est plus hautement amortie. Deuxièmement, de grandes économies d’énergie sont cumulées en arrêtant une industrie entière dévouée à la conception, à la construction, à la commercialisation, et au financement de nouvelles voitures. Troisièmement, les voitures usagées demandent plus d’entretien, revigorant l’économie locale au détriment principalement des fabricants de voitures étrangères, et aidant à réduire le déficit commercial. Quatrièmement, cela créera une pénurie de voitures, se traduisant automatiquement en trajets automobiles moins nombreux et plus courts, un taux d’occupation par des passagers plus élevé par trajet, et une plus grande utilisation de la bicyclette et des transports publics, économisant encore plus d’énergie. Enfin, cela permettrait à l’automobile d’être rendue obsolète à peu près dans la même échelle de temps que l’industrie pétrolière qui l’a rendue possible. Nous tomberons à cours de voitures juste quand nous tomberons à cours d’essence.
Nous y voilà, seulement un an après ou presque, et je suis extrêmement réjoui de voir que l’industrie automobile américaine a suivi mon conseil et qu’elle est en train de s’arrêter. D’un autre côté, les actions du gouvernement continuent de décevoir. Au lieu d’essayer de résoudre les problèmes, ils préfèrent continuer de créer des scoubidous. Le dernier en date est l’idée de subventionner les ventes de voitures neuves. L’idée de rendre la voiture plus efficace en faisant des voitures plus efficaces est une pure folie. Je peux prendre n’importe quelle camionnette et accroître son efficacité énergétique de un à deux mille pour cent juste en enfreignant quelques lois. Premièrement, vous entassez une douzaine de gens sur le plateau, se tenant épaule contre épaule comme des sardines19. Deuxièmement, vous conduisez à quarante kilomètres par heure, sur l’autoroute, parce qu’aller plus vite gaspillerait le carburant et serait dangereux pour les gens à l’arrière. Et voilà, une efficacité énergétique par passager accrue d’un facteur vingt ou presque. Je crois que les Mexicains ont fait des recherches approfondies dans ce domaine, avec d’excellents résultats.
Une autre excellente idée défrichée à Cuba est de rendre illégal de ne pas prendre les auto-stoppeurs. Les voitures avec des sièges vacants sont arrêtées et assorties de gens qui ont besoin de faire un bout de chemin. Encore une autre idée : puisque le service de chemin de fer pour les voyageurs est dans un si triste état, et puisqu’il est improbable que l’on trouve des fonds pour l’améliorer, pourquoi ne pas restaurer la vénérable institution de lachevauchée des rails en exigeant des compagnies de fret qu’elles fournissent quelques wagons couverts vides pour les vagabonds20 ? Le coût énergétique du poids additionnel est négligeable, les vagabonds n’ont pas besoin d’arrêts car ils peuvent sauter en route, et seulement une paire de wagons par train serait nécessaire, parce que les vagabonds sont presque infiniment compressibles, et peuvent même voyager sur le toit si nécessaire. Une dernière idée de transport : commencez à élever des ânes. Les chevaux sont exigeants et chers, mais les ânes peuvent être très économiques et font de bons animaux de charge. Mon grand-père avait un âne lorsqu’il vivait à Tachkent en Asie centrale durant la Seconde Guerre mondiale. Il n’y avait presque rien à manger pour l’âne, mais, en tant que membre du Parti communiste, mon grand-père était abonné à la Pravda, le journal du Parti communiste, et donc c’est ce que l’âne mangeait. Apparemment, les ânes peuvent digérer n’importe quelle sorte de cellulose, même quand elle est chargée de propagande communiste. Si j’avais un âne, je lui donnerais le Wall Street Journal.

La sécurité

Dmitry Orlov
Et donc nous arrivons au sujet de la sécurité. La Russie post-effondrement a souffert d’une sérieuse vague de criminalité. Les mafias ethniques se répandaient, les vétérans qui avaient servi en Afghanistan se sont mis à leur compte, il y avait de nombreux contrats d’assassinat, des agressions, les meurtres restaient irrésolus à gauche et à droite, et, en général, l’endroit n’était simplement pas sûr. Les Russes qui vivaient aux États-Unis, en apprenant que je retournais là-bas pour une visite, me regardaient les yeux écarquillés : comment pouvais-je songer à faire une telle chose. J’en suis sorti indemne, de quelque façon. J’ai fait beaucoup d’observations intéressantes en chemin.
Une observation intéressante est qu’une fois que l’effondrement se produit il devient possible de louer un policier, soit pour une occasion spéciale, ou généralement juste pour suivre quelqu’un. Il est même possible d’embaucher un soldat ou deux, armés d’AK-4721, pour vous aider à faire diverses courses. Non seulement il est possible de faire de telles choses, mais c’est même souvent une très bonne idée, particulièrement si vous vous trouvez avoir quelque chose de précieux dont vous ne voulez pas vous séparer. Si vous ne pouvez vous offrir leurs services, alors vous devriez essayer d’être ami avec eux, et de les aider de diverses façons. Bien que leurs demandent puissent sembler exorbitantes parfois, c’est quand même une bonne idée de faire tout ce que vous pouvez pour les garder de votre côté. Par exemple, ils pourraient à un certain point insister pour que vous et votre famille déménagent dans le garage afin qu’ils puissent vivre dans votre maison. Cela peut-être agaçant au début, mais est-ce vraiment une si bonne idée pour vous de vivre dans une grande maison tout seuls, avec tant d’hommes armés partout ? Cela peut avoir un sens de stationner certains d’entre eux dans votre maison même, afin qu’ils aient une base d’opération à partir de laquelle maintenir une surveillance et patrouiller le voisinage.
Il y a une paire d’années, j’ai proposé en plaisantant à moitié une solution politique d’atténuation de l’effondrement, et j’ai formulé un programme pour le prétendu Parti de l’effondrement. Je l’ai publié avec la mise en garde que je ne pensais pas qu’il y avait beaucoup de chance que mes propositions intègrent l’ordre du jour national. À ma grande surprise, il s’est avéré que j’avais tort. Par exemple, j’ai proposé que nous cessions de faire de nouvelles voitures, et, ô surprise, l’industrie automobile s’arrête. J’ai aussi proposé que nous commencions à amnistier les prisonniers, parce que les États-Unis ont la plus grande population carcérale du monde, et qu’ils ne pourront se permettre de garder tant de gens sous les verrous. Il vaut mieux relâcher graduellement les prisonniers, au fil du temps, plutôt qu’en une seule grande amnistie générale, comme Saddam Hussein l’a fait juste avant l’invasion américaine. Et, ô surprise, de nombreux États commencent à réaliser ma proposition. Il semble que la Californie en particulier va être forcée de relâcher quelques soixante mille des cent-soixante-dix mille prisonniers qu’elle garde enfermés. C’est un bon début. J’ai aussi proposé que nous démantelions toutes les bases militaires à l’étranger (il y en a plus d’un millier) et que nous rapatriions les troupes. Et il semble que cela commence à se produire aussi, sauf pour la petite excursion prévue en Afghanistan. J’ai aussi proposé un jubilé biblique — l’annulation de toutes les dettes, publiques et privées. Donnons à celle-là… une demi décennie ?
Mais si nous regardons les changements qui sont déjà en train de se produire, le simple et prévisible manque de fonds, comme l’État et le gouvernement tombent tous deux à sec, va transformer la société américaine de façons plutôt prévisibles. Comme les municipalités tombent à cours d’argent, la protection de la police va s’évaporer. Mais la police a quand même besoin de manger, et trouvera des manières de mettre ses compétences à bon usage sur une base indépendante. Similairement, à mesure que les bases militaires autour du monde seront fermées, les soldats vont rentrer dans un pays qui sera incapable de les réintégrer à la vie civile. Les prisonniers libérés sur parole se retrouveront presque dans les mêmes difficultés.
Et donc nous aurons d’anciens soldats, d’anciens policiers, et d’anciens prisonniers : une grande famille heureuse, avec quelques brebis galeuses et des tendances violentes. Le résultat final sera un pays noyé sous diverses catégories d’hommes armés, la plupart d’entre eux inemployés, et beaucoup d’entre eux limite psychotiques. La police aux États-Unis est un groupe tourmenté. Nombre d’entre eux perdent tout contact avec les gens qui ne sont pasdans la force22 et la plupart d’entre eux développent une mentalité eux-contre-nous. Les soldats rentrant de leur période de service souffrent souvent de troubles de stress post-traumatique23. Les prisonniers libérés sur parole souffrent également de diverses maladies psychologiques. Tous réaliseront tôt ou tard que leurs problèmes ne sont pas médicaux mais plutôt politiques. Cela rendra impossible pour la société de continuer d’exercer un contrôle sur eux. Tous feront bon usage de leur entraînement aux armes et autres compétences professionnelles pour acquérir quoi que ce soit dont ils auront besoin pour survivre. Et le point vraiment important à se rappeler est qu’ils feront ces choses indépendamment de ce que quiconque trouve légal ce qu’ils font.
Je l’ai déjà dit et je le répéterai : très peu de choses sont bonnes ou mauvaises en soi ; tout doit être considéré dans un contexte. Et, dans le contexte post-effondrement, ne pas avoir à s’inquiéter de ce qu’une chose est légale peut être une très bonne chose. En plein effondrement, nous n’aurons pas le temps de délibérer, de légiférer, d’interpréter, d’établir des précédents et ainsi de suite. Devoir s’inquiéter de plaire à un système juridique complexe et coûteux est la dernière chose dont nous devrions nous inquiéter.
Certains obstacles juridiques sont petits et triviaux, mais ils peuvent être très ennuyeux néanmoins. Une association de propriétaires pourrait, disons, vouloir vous coller une contravention ou chercher à obtenir une ordonnance d’un tribunal contre vous pour ne pas avoir tondu votre pelouse, ou pour avoir fait de l’élevage dans votre garage, ou pour ce joli moulin que vous avez érigé sur une colline qui ne vous appartient pas, sans obtenir d’abord un permis de construire, ou bien un fouineur municipal pourrait essayer de vous faire arrêter pour avoir démoli un certain pont délabré qui interférait avec le trafic fluvial — vous savez, des petites choses comme ça. Et bien, si l’association est au courant que vous avez un grand nombre d’amis bien armés et mentalement instables, certains d’entre eux portant encore des uniformes militaires ou policiers par nostalgie du bon vieux temps, alors elle ne vous collera probablement pas cette contravention ou cette ordonnance.
Ou supposez que vous ayez une grande invention nouvelle que vous voulez fabriquer et distribuer, un nouvel instrument agricole. C’est une sorte de fléau avec des lames aiguisées. Il a mille et un usages et il est hautement rentable, raisonnablement peu dangereux pourvu que vous ne perdiez pas la tête en l’utilisant, bien que les gens se soient mis à l’appeler la guillotine volante. Vous pensez que c’est un risque acceptable, mais vous êtes préoccupé par les questions de sécurité du consommateur, la responsabilité civile et peut-être même la responsabilité pénale. Une fois de plus, il est très utile d’avoir un grand nombre d’amis influents, physiquement impressionnants, modérément psychotiques qui, à chaque fois qu’une affaire légale se présente, peuvent simplement aller voir les avocats, avoir une discussion amicale, faire la démonstration de l’usage approprié de la guillotine volante, et généralement faire quoi que ce soit qu’ils aient à faire pour régler l’affaire amicalement, sans que le moindre argent change de mains, et sans signer le moindre document légal.
Ou, disons que le gouvernement commence à faire des difficultés sur les déplacements de choses et de gens dans et en dehors du pays, ou qu’il veuille prendre une trop grande part des transactions commerciales. Ou peut-être que votre État ou votre ville décide de conduire sa propre politique étrangère, et que le gouvernement fédéral juge bon d’interférer. Alors il peut s’avérer une bonne chose que quelqu’un d’autre ait la puissance de feu pour ramener le gouvernement, ou ce qu’il en reste, à ses esprits, et le convaincre d’être raisonnable et de jouer le jeu.
Ou peut-être que vous voulez commencer une clinique communautaire, afin de pouvoir apporter un peu de soulagement à des gens qui autrement n’auraient aucun soin. Vous ne prétendez pas être docteur, parce que ces gens se méfient des docteurs, car les docteurs ont toujours essayé de leur voler les économies de toute une vie. Mais supposez que vous ayez une formation médicale obtenue, disons, à Cuba, et que vous soyez tout à fait capable d’effectuer une césarienne ou une appendicectomie, de suturer les plaies, de traiter les infections, de remettre les os et ainsi de suite. Vous voulez aussi distribuer les opiacés que vos amis en Afghanistan vous envoient périodiquement, pour atténuer la douleur de la dure vie post-effondrement. Et bien, passer par les diverses commissions d’autorisation et obtenir les certificats et les permis et l’assurance contre l’erreur médicale est complètement superflu, pourvu que vous vous entouriez de beaucoup d’amis bien armés, bien entraînés et mentalement instables.
Nourriture. Logement. Transport. Sécurité. La sécurité est très importante. Maintenir l’ordre et la sécurité publique requiert de la discipline, et maintenir la discipline, pour beaucoup de gens, requiert la menace de la force. Cela signifie que les gens doivent être prêts à venir à la défense des autres, à prendre la responsabilité des autres, et à faire ce qui est juste. Pour l’instant, la sécurité est fournie par un certain nombre d’institutions bouffies, bureaucratiques et inefficaces, qui inspirent davantage de colère et d’accablement que de discipline, et ne dispensent pas tant de violence que de mauvais traitements. C’est pourquoi nous avons la plus grande population carcérale du monde. Elles sont censées être là pour protéger les gens les uns des autres, mais en réalité leur mission n’est même pas de fournir de la sécurité ; elle est de sauvegarder la propriété, et ceux qui la possède. Une fois que ces institutions seront tombées à cours de ressources, il y aura une période d’agitation, mais à la fin les gens seront forcés d’apprendre à traiter les uns avec les autres face à face, et la justice redeviendra une fois de plus une vertu personnelle plutôt qu’une administration fédérale.

Comment se préparer ?

Dmitry Orlov
J’ai couvert ce que je pense être fondamental, en me basant sur ce que j’ai vu fonctionner et ce qui, je pense, pourrait fonctionner raisonnablement bien ici. Je présume que nombre d’entre vous pensent que tout cela est très loin dans l’avenir, si jamais en fait cela devient aussi mauvais. Vous pouvez certainement vous sentir libre de penser ainsi. Le danger ici est que vous manquerez l’opportunité de vous adapter à la nouvelle réalité avant l’heure, et ensuite vous serez piégé. Comme je le vois, il y a un choix à faire : vous pouvez accepter l’échec du système maintenant et changer de cap en conséquence, ou vous pouvez décider que vous devez essayer de maintenir le cap, et alors vous devrez probablement accepter votre propre échec individuel plus tard.
Alors, comment se prépare-t-on ? Récemment, j’ai beaucoup écouté des gens puissants et brillants parler de leurs divers associés puissants et brillants. Habituellement, l’histoire se déroule à peu près comme ceci : Mon a) conseiller financier, b) banquier d’investissement, ou c) officier de commandement a récemment a) converti son argent en or, b) acheté une cabane en rondins dans les montagnes, ou c) construit un bunker sous sa maison garni de six mois de nourriture et d’eau. Est-ce normal ? Et je leur dis, oui, bien sûr, c’est parfaitement inoffensif. Il fait juste une crise de milieu d’effondrement. Mais ce n’est pas vraiment de la préparation. C’est juste être pittoresque à contretemps, d’une manière contre-culturelle.
Alors, comment se prépare-t-on vraiment ? Passons en revue une liste de questions que les gens me posent typiquement, et je vais essayer de répondre brièvement à chacune d’entre elles.
Bon, première question : que penser de tous ces scoubidous financiers ? Que se passe-t-il bon sang ? Les gens perdent leur emploi à gauche et à droite, et si nous calculons le chômage de la même manière qu’on le faisait durant la Grande Dépression24, au lieu de regarder les chiffres truqués dont le gouvernement essaie de nous abreuver maintenant, alors nous nous dirigeons vers vingt pour cent de chômage25. Et y a-t-il la moindre raison de penser que cela va s’arrêter là ? Croyez-vous par hasard que la prospérité est au coin de la rue ? Non seulement les emplois et la valeur immobilière s’évaporent, mais les fonds de retraite aussi. Le gouvernement fédéral est fauché, les gouvernements des États sont fauchés, certains plus que d’autres, et le mieux qu’ils puissent faire est d’imprimer de l’argent, qui va rapidement perdre de la valeur. Alors, comment pouvons-nous nous procurer l’essentiel si nous n’avons pas d’argent ? Comment fait-on cela ? Bonne question.
Comme je l’ai brièvement mentionné, l’essentiel est la nourriture, le logement, le transport, et la sécurité. Le logement pose un problème particulièrement intéressant en ce moment. Il est encore beaucoup trop cher, avec beaucoup de gens payant des crédits et des loyers qu’ils ne peuvent plus se permettre tandis que de nombreuses propriétés restent vacantes. La solution, bien sûr, est d’arrêter les frais et de cesser de payer. Mais alors il se pourrait que vous deviez bientôt vous reloger. Ce n’est pas grave, car, comme je l’ai mentionné, il n’y a pas de pénurie de propriétés vacantes par ici. Trouver un bon endroit pour vivre deviendra de moins en moins une difficulté à mesure que les gens cessent de payer leur loyer et leur crédit et se trouvent saisis ou expulsés, parce que le nombre de propriétés vacantes ne fera que croître. Le meilleur plan d’action est de devenir gardien, occupant légitimement une propriété vacante sans loyer, en gardant un œil sur les choses pour le propriétaire. Que faire si vous ne pouvez pas trouver un poste de gardien ? Et bien, vous pourriez alors devenir squatteur, tenir à jour une liste d’autres propriétés vacantes où vous pouvez aller ensuite, et garder votre matériel de camping sous la main au cas où. Si vous êtes viré, il y a des chances pour que les gens qui vous ont viré pensent alors à embaucher un gardien, pour tenir éloigné les squatteurs. Et que faire si vous devenez gardien ? Et bien, vous prenez soin de la propriété, mais vous veillez aussi sur tous les squatteurs, car ils sont la raison pour laquelle vous avez un endroit légitime pour vivre. Un tiens squatteur vaut trois proprio-absent-tu-l’auras26. Le logeur absent pourrait finalement arrêter les frais et s’en aller, mais vos amis squatteurs resteront vos voisins. Avoir des voisins est tellement mieux que de vivre dans une ville fantôme.
Et si vous avez encore un emploi ? Comment se préparer alors ? La réponse évidente est : soyez prêt à démissionner ou à être licencié à n’importe quel moment. Cela n’a vraiment pas d’importance que ce soit l’un ou l’autre ; l’important est de subir zéro dommage psychologique dans le processus. Rapprochez votre rythme de dépense aussi près de zéro que vous le pouvez, en dépensant aussi peu d’argent que possible, afin que lorsque cet emploi se sera envolé, peu de choses aient à changer. Au travail, faites en le moins possible, parce que toute cette activité économique n’est qu’un fardeau terrible pour l’environnement. Laissez-vous juste porter jusqu’à un arrêt et sautez.
Si vous avez encore un emploi, ou si vous avez encore quelques économies, que faire de tout cet argent ? La réponse évidente est : accumulez de l’inventaire. L’argent ne vaudra plus rien, mais une boite de clous en bronze sera toujours une boite de clous en bronze. Achetez et entreposez des choses utiles, particulièrement des choses qui peuvent être utilisées pour créer diverses sortes de systèmes alternatifs pour produire de la nourriture, procurer du logement, et procurer du transport. Si vous ne possédez pas clairement et nettement un bout de terre où vous pouvez entreposer des choses, alors vous pouvez louer un espace de stockage, payer quelques années d’avance, et rester simplement assis dessus jusqu’à ce que la réalité reparte à nouveau et qu’il y ait quelque chose d’utile pour vous à faire avec. Certains d’entre vous sont peut-être effrayés par l’avenir que je viens de décrire, et à juste titre. Il n’y a rien qu’aucun d’entre nous puisse faire pour changer le chemin sur lequel nous sommes : c’est un énorme système avec une inertie formidable, et essayer de changer son chemin est comme essayer de changer le chemin d’un ouragan. Ce que nous pouvons faire est nous préparer nous mêmes, et les uns les autres, principalement en changeant nos attentes, nos préférences, et en diminuant nos besoins. Cela peut signifier que vous passerez à côté de quelques derniers petits plaisirs incertains. D’un autre côté, en se refaçonnant en quelqu’un qui pourrait avoir une meilleure chance de s’adapter aux nouvelles circonstances, vous serez capable de vous donner, et de donner aux autres, une grande quantité d’espoir qui autrement n’aurait pas existé.

Traduit et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur. Les notes en marge sont du traducteur.

2 commentaires:

  1. Merci Paul, c'est excellent. De l'humour Russe ! mais comme dans tout humour, il y a une (grande) part de vérité.
    La description de l'effondrement est véritablement très intéressante et pertinente, parce que c'est du "vécu" - le vécu de l'effondrement de l'Union Soviétique.

    Mais il y a toutefois une différence de taille : l'URSS s'est effondrée sur elle même sans guerre, ni civile ni extérieure, car fondamentalement l'URSS n'était pas une puissance guerrière, malgré son armée sur-dimensionnée. C'était un empire épuisé à occuper des territoires indûment annexés en 1945.

    Les Etats-Unis sont eux, un empire militaire agressif, qui a multiplié les théâtres de guerre extérieurs (Corée, Viet Nam, Afghanistan, Irak, Lybie...). Le grand risque est que l'Empire en déclin se lance dans la guerre encore et toujours, pour effacer la dette et repartir à zéro.

    Ceci dit, le pire n'est pas toujours ce qui arrive, et l'effondrement du système Américain peut se faire sur lui-même, de façon relativement peu violente, et retour d'une certaine manière au mode de vie fruste et passablement précaire, mais vivable, des pionniers de l'Ouest Américain. Le 1/3 d'obèses aux E-U va maigrir...

    Il faut croire au génie humain, dans des circonstances exceptionnelles, comme la guerre, l'occupation étrangère, ou la grande dépression économique. Ceux qui survivent sont ceux qui s'adaptent le mieux, ceux qui font très vite le deuil de passé et sont pragmatiques, comme l'auteur l'explique avec tant de verve.

    Les Soviétiques avaient une longueur d'avance, vivant dans un quasi "NWO" de fait, dirigés par une oligarchie corrompue, opaque et criminelle. Mais ils s'en sont sortis, et la Russie d'aujourd'hui a bien relevé la tête en 20 ans.

    Morale de cette histoire : le NWO n'est pas inéluctable, l'histoire a montré qu'il peut s'effondrer, et que le génie humain du peuple permet de s'en sortir, moyennant astuce, sens du concret, et entraide - familiale, du voisinage, ou mieux encore, d'avoir des amis armés, violents et psychotiques comme le dit l'auteur.

    Mais ce scénario un peu violent tout de même, n'est peut être même pas celui qui arrivera, après tout la planète et l'humanité dans son ensemble subissent tant de transformations...
    Ce scénario de survie dans une société de pénurie n'est donc que la projection de notre organisation sociale dans un contexte de ressources limitées et de manque d'argent.

    Des ressources énergétiques illimitées sont peut-être disponibles (travaux de N Tesla) qui permettraient de faire un saut de paradigme "qualitativement meilleur". Et puis, il y a l'année 2012 et peut-être un saut de conscience à l'horizon ?

    L'ami Pierrot

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  2. Vous savez, l'énergie libre c'est un peu l'Arlésienne...
    Il y a certainement des recherches à effectuer, il existe probablement des chose qui fonctionnent, mais nous verrons pas la couleur de si tôt ! Ces techniques sont chasse gardée de l'oligarchie.

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