"Au
lieu de vacciner de force les honnêtes gens par millions avec un
produit douteux qui les rend fous et malades, on ferait mieux de
s'occuper des 73.000 détenus en les obligeant à prendre de la DMT
pendant dix minutes. Vision métaphysique assurée, immanence d'un
autre monde bouleversant et quand ils redescendent ils deviennent
incapables de faire du mal à quiconque et se mettent à la peinture sur soie. C'est mieux qu'un bracelet."
- Christian Combaz (Campagnol) sur X.
"La
DMT est une tryptamine substituée présente dans de nombreuses plantes
et animaux, y compris chez l'homme, et qui est à la fois un dérivé et un
analogue structurel de la tryptamine. La DMT est utilisée comme drogue
psychédélique et préparée par diverses cultures à des fins rituelles en
tant qu'enthéogène." - Anne Catala.
Une plante psychoactive employée dans un but initiatique
Le
chamanisme fait souvent penser aux hauts plateaux d'Asie et aux
étendues septentrionales d'Amérique. Mais il s'est également
développé en Afrique, notamment en Afrique Équatoriale, au sein de
l'aire Bantoue. Il s'est transmis et développé ensuite plus
particulièrement au Gabon, chez les Mitsogho (ou Tsogho).
Les
Mitsogho ont en effet un rite chamanique, le bwiti. Il fait appel à
l'iboga, une plante psychoactive employée dans un but initiatique
(localement appelée « eboga »). Le rite bwiti est tant lié à
cette plante qu'on parle parfois de religion Eboga, ce qui est un peu
réducteur. Le rite bwiti est également passé chez certains groupes
Fang (au Cameroun, mais aussi au Gabon), chez lesquels il remplace un
autre rite, celui du byeri. Le byeri fait appel à une autre plante
psychoactive, l'alan (Alchornea floribunda), aux effets
réputés moins puissants, raison qui ont conduits certains Fang à
adopter le bwiti. Au Congo-Kinshasa, le bwiti a donné naissance au
rite Zebola chez les Mongo, une forme de psychothérapie
traditionnelle.
Le
rite bwiti
Il
s'agit d'une cérémonie secrète de passage d'un néophyte — un
jeune homme — vers la vie adulte. Schématiquement, celui-ci est
d'abord invité à retrouver symboliquement l'état d'avant la
naissance. Puis on lui fait mastiquer de la racine d'iboga, sous la
surveillance d'un aîné initié qui lui sert de « mère symbolique
» durant le rite. La mastication d'iboga entraîne tout d'abord
l'apparition de violents et incontrôlables vomissements. Le néophyte
se vide symboliquement. « y compris du lait de sa mère ». Ensuite
surviennent les hallucinations, sous forme d'images se succédant
rapidement. Durant cette phase, le néophyte reste en contact avec sa
« mère » et les autres hommes participant au rite, qui peuvent
l'interroger sur ses sensations. Ils disposent en effet d'un antidote
à l'iboga, si les choses venaient à se compliquer. Le néophyte
doit passer par quatre stades successifs, dont le dernier consiste à
ressentir l'état de « mort initiatique ». consistant à entrer en
contact avec les fondateurs de la cosmogonie Mitsogho, Nzamba-Kana et
Disumba. Ce n'est qu'a ce prix que le néophyte sera considéré
comme ayant l'instruction suffisante pour gagner la qualité
d'initié. Il devient un nganga, c'est-à-dire un guérisseur (en
langage politiquement correct, on parlera de « tradipraticien »).
Les stades successifs correspondent en réalité à une intoxication
graduelle par l'iboga, effectuée sous contrôle.
Comme
de très nombreux rites tribaux à travers le monde, le bwiti connaît
des variantes locales, avec par exemple une forme destinée aux
femmes.
Du
bwiti à la médecine...
En
1962-1963, Howard Lotsof, un jeune américain en proie à l'héroïne,
expérimenta l'iboga et découvrit une propriété intéressante de
la plante : dans des conditions bien particulières, elle supprime
l'addiction physique aux drogues opiacées. Lotsof étudia d'abord
sur lui, puis sur d'autres, la propriété qu'a l'iboga de jouer le
rôle d'un « interrupteur de la dépendance chimique ». Lotsof
deviendra chercheur, déposera 20 ans plus tard deux brevets à
propos de la « procédure Lotsof », au moment où d'autres études
arrivaient aux mêmes conclusions. Lotsof développa une méthode de
sevrage direct des personnes sous l'emprise de l'héroïne. Mais
parallèlement, dès 1967, l'iboga fut aussi employé aux États-Unis
pour un usage récréatif, en substitut du LSD.
Et
de la médecine au bwiti
Le
militantisme de Lotsof fera des émules, durant les années 90,
lorsque la consommation d'héroïne battait son plein en France.
Quelques personnes iront en Afrique accomplir le rite bwiti et à
leur tour organiser en France des stages de désintoxication, en
associant. l'aspect spirituel du chamanisme (un « nouveau départ
»), un passage au vert, pendant. quelque temps, et un aspect plus
médical (la possibilité de décrocher). Le moins que l'on puisse
dire, c'est que l'époque ne voyait pas d'un œil favorable les
consommateurs d'héroïne. Ces stages se déroulaient sans que
quiconque s'en soucie ou s'y intéresse : après tout, tout cela
n'était que des histoires de junkies !
En
dehors d'un cadre médical, l'usage de l'iboga présente pourtant des
risques, notamment de convulsions. Mais pas seulement.
Paradoxalement, le danger d'une overdose de drogue opiacée est
augmenté par la prise d'iboga. Lotsof avait noté qu'un cinquième
environ des sujets traités à l'iboga reprenait leur consommation de
stupéfiants comme avant. Or l'iboga supprimant l'accoutumance à
l'héroïne et à la méthadone (accoutumance qui a progressivement
amené le drogué à augmenter ses doses), le sujet se retrouve comme
vierge vis-à-vis de ces drogues. S'il reprend de l'héroïne (ou de la
méthadone) aux même doses qu'auparavant, il s'expose alors à
l'overdose.
Au
début des années 2000, l'iboga commença à se trouver dans la
ligne de mire des pouvoirs publics. Deux drames vont accélérer le
mouvement. En juillet 2006, un toxicomane décède au cours d'un
stage de désintoxication organisée par une association, en Ardèche,
en lien avec une « Association africaine d'aide humanitaire à
l'occident ». En décembre 2006, un ressortissant français meurt
dans des conditions similaires, au Gabon. Le 28 janvier 2007, un
tribunal condamne l'association ardéchoise pour sa responsabilité
dans le drame survenu en Ardèche. Huit jours plus tard, un arrêté
d'interdiction de l'iboga est soumis à la signature du Directeur
général de la santé. L'iboga est dorénavant interdit dans
plusieurs pays européens, notamment en Belgique.
Cette
histoire laisse une impression d'inachevé. Dans la logique du Vieux
Monde, les plantes politiquement incorrectes ont presque toujours
connu le même trajet : ignorées, suspectées, surveillées,
dénoncées, interdites avant d'être réhabilitées. Or l'iboga, ou
du moins la substance active principale, l'ibogaïne, offre un espoir
particulièrement intéressant de délivrer les personnes
prisonnières de la nasse à opiacés. Si les recherches médicales
se poursuivent, l'iboga reviendra peut-être sur le devant de la
scène...
Jean-Michel
Groult, Plantes interdites.
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