19 août 2023

L’union politique de l’Europe fut imaginée à Washington, par Washington et pour le plus grand bénéfice de Washington

"La grande révolution européenne de notre époque, la révolution qui vise à remplacer les rivalités nationales par une union de peuples dans la liberté et la diversité, la révolution qui veut permettre un nouvel épanouissement de notre civilisation, et une nouvelle renaissance, cette révolution a commencé avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier".

Ainsi parla, non pas Zarathoustra, mais Jean Monnet.

Encore qu’à y regarder de plus près, il n’existe désormais plus guère de différence entre les deux personnages. En premier lieu parce que chacun d’entre eux est entouré de légendes et, ainsi, de la même manière qu’on ne peut écrire une biographie de Zarathoustra sans employer le subjonctif, car on ne sait pas grand-chose de sa vie, celle de Jean Monnet est devenue, au fil des décennies, un mythe : celui, immortel et irréfragable, du Père de l’Europe. Par ailleurs, si Zarathoustra fut le prophète du dieu Ahura Mazda, qui apporta une nouvelle religion, le zoroastrisme, à la Perse, Jean Monnet, bien plus ambitieux, fut quant à lui son propre prophète, le surhomme providentiel qui apporta la lumière à l’Europe plongée dans les ténèbres de la guerre, et cette lumière avait pour nom : l’Union.

Les mythes fondateurs : Jean Monnet, la rivalité franco-allemande et le paradigme de la haine

Les thuriféraires de Jean Monnet, et plus largement tous ceux que mes anciens maîtres et camarades souverainistes nommaient "européistes", apprécient tout particulièrement les mythes. Ainsi ne veulent-ils voir en Jean Monnet rien de moins que l’un des "Pères de l’Europe", si ce n’est LA figure emblématique, loin devant un Alcide de Gasperi ou même un Robert Schuman, de cette construction communautaire censée apporter bonheur et paix universels à un continent jusque là torturé par les odieux égoïsmes nationaux, et ravagé par les guerres qui ne sont, de leur point de vue, que la conséquence de ces mêmes égoïsmes.

Il était donc logique, de ce point de vue là, que la mythification de la construction communautaire, ce grand rêve humaniste, commence par la mythification de l’existence de son géniteur lui-même. De fait, aujourd’hui, qui connaît Jean Monnet autrement que drapé des atours immaculés du Père de l’Europe, l’inventeur génial d’un système institutionnel qui assura, c’est du moins ce qu’on nous explique à longueur de livres ou d’émissions télévisées, paix et prospérité à l’Europe occidentale après la Seconde Guerre Mondiale ? Qui ose encore contester cette vision ?

On a ainsi oublier que Jean Monnet fut avant tout un homme d’affaires et un lobbyiste émérite : issu d’une famille de négociants en Cognac, très proches des Anglo-saxons et surtout des Américains, il saura tirer parti de son réseau de relations pour assurer le développement de l’entreprise familiale, y compris, semble-t-il, en mordillant la barrière de la légalité : pendant quelques années, installé à Saint-Pierre-et-Miquelon, il représente les intérêts des fabricants d’alcool français qui écoulent leur marchandise, via le Canada, dans l’Amérique de la Prohibition.

L’homme d’affaires disparaît donc au profit du seul Père de l’Europe, l’inspirateur et l’instigateur d’une oeuvre civilisatrice à l’échelle d’un continent. Pourtant la réalité est moins tranchée : Monnet fut, à bien des égards, davantage un exécutant qu’un inspirateur : très lié à Franklin Roosevelt, il fit rapidement siennes les conceptions du président américain quant au chemin que le Vieux Continent devrait prendre une fois la guerre terminée : la guerre n’était que la conséquence des antagonismes nationaux et des politiques de puissance qu’ils inspirent. Donc, pour assurer la paix en Europe, les nations qui la composent ne doivent pas être en mesure de se relever, en tant que puissances, des décombres du nazisme et de la Seconde Guerre Mondial. La Grande-Bretagne ne pose pas de difficultés : sa vassalisation à Washington est déjà en marche. Le cas de la France est, en revanche, plus problématique : comment a-t-on pu oublier la hargne de Roosevelt et, subséquemment, de Monnet lui-même, à évincer le général de Gaulle, quitte à fricoter avec le régime de Vichy ? Ce même Jean Monnet qui refusa de s’associer à la création de la France Libre, ferma consciencieusement les yeux sur le projet rooseveltien de démantèlement du territoire français, ultime lubie du président américain mourant pour se débarrasser de la plus encombrante des nations européennes, celle qui portait, dans son coeur même, l’aspiration à l’indépendance, à la puissance et à l’universalité.

Loin d’être le grand architecte du renouveau civilisationnel européen, Jean Monnet fut avant tout un vecteur, une courroie de transmission, celui qui apporta d’outre-Atlantique les visées américaines : l’union politique de l’Europe fut imaginée à Washington, par Washington et pour le plus grand bénéfice de Washington. Monnet l’Européen, voilà le premier de nos mythes communautaires fondateurs.

Le second mythe exigeait une réécriture complète de l’histoire, afin que la bisbille franco-allemande, qui n’avait en fin de compte duré que soixante-quinze ans, de 1870 à 1945, c’est-à-dire moins qu’une vie d’homme, ne devienne la terrible rivalité pluriséculaire qu’on présente désormais dans les manuels scolaires. Comment justifier autrement l’importance exagérée accordée, bizarrement aujourd’hui plus qu’hier, à la "Réconciliation" ? La complexité de l’histoire croisée de ces deux nations, comme d’ailleurs celle de toutes les nations européennes, peut alors être évacuée au profit du concept de l’unification latente. Ainsi toute l’histoire de l’Europe coulerait naturellement vers l’unité, et les européistes, jamais à court d’idées et notamment lorsqu’il s’agit des plus grotesques, invoquent à l’envie des figures supposées emblématiques de cette ardente aspiration à l’unité : Charlemagne et Charles Quint.

À l’instar de Jean Monnet, ces deux personnages occupent une place particulière dans le panthéon européiste et, comme dans le cas du Père de l’Europe, la réalité de leurs existences et de leurs réalisations fut grandement malmenée pour les impératifs de la propagande communautaire. Charlemagne ? Le premier à avoir tenté d’unifier un continent en proie aux flammes de l’anarchie héritée de la désagrégation de l’Empire romain d’Occident. Charles Quint ? Le sauveur de l’Europe face à la menace turque, lui qui se dressa constamment face aux Ottomans tandis que François Ier, ce traître à la Chrétienté, pactisait avec Soliman le Magnifique.

Comment ne pas s’extasier devant cette réhabilitation incroyable des deux échecs les plus retentissants de l’impérialisme pan-européen ? D’abord celui de Karl der Grosse, cet analphabète dont le prétendu empire explosa parce que, loin de remettre au coeur de l’Europe le fondement civilisateur et centralisateur romain, il plongeait un peu plus le continent dans sa barbarie germanique qui confondait l’État et son représentant. Ensuite celui de Charles de Habsbourg, qui se révéla incapable de structurer son empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais, qui un temps durant fut plus obsédé par les vitupérations de Luther que par les armées de Soliman, et qui ne dut son salut, au regard de l’histoire, qu’au courage des généraux et des soldats qui, à Vienne, soutinrent le siège des armées du Grand Turc jusqu’à ce que l’hiver oblige ce dernier à rentrer à Constantinople.

Mais la réalité historique importe peu. Car l’histoire de l’Europe avant Monnet, avant la construction communautaire, c’est l’Europe avant l’Europe, une proto-Europe informe et inutile, autant dire que ce n’est pas l’Europe. Avant les Pères Fondateurs, tout n’est que ténèbres, guerres et autres fléaux uniquement imputables à la soif de sang des nationalismes triomphants du passé. Ces derniers, par deux fois au cours du XXème siècle honnis, auront conduit à une sanglante "guerre civile européenne". La formule prêterait à rire si elle ne figurait pas dans les manuels scolaires, pré-mâchée et pré-digérée, pour être finalement régurgitée par une jeune génération de petits porteurs du crétinisme euro-béat. "Le nationalisme c’est la guerre" affirmait l’inénarrable François Mitterrand, l’aspirant pape qui souilla notre Panthéon national avec les cendres de celui qui haïssait les nations, à commencer par la sienne ; postulat qui affirmait sans détours ce "paradigme de la haine" propre à l’Europe des Nations, et dont la formulation satisfaisait aux canons de la pensée européiste : court, en apparence irréfutable, et surtout simple.

Car les européistes aiment aussi la simplicité, quand ce n’est pas le simplisme le plus élémentaire. La complexification de la pensée amène à la réflexion, et la réflexion balaye les mythes. La volonté d’enseigner dans les écoles, collèges et lycées une "histoire européenne" répond à cet impératif lénifiant d’éviter les questions, la critique, la mise en perspective historique. Les nouveaux manuels scolaires assènent leurs vérités, qui ne souffrent nulle contestation. D’ailleurs la construction européenne y est présentée comme un phénomène quasi-naturel, et les rares oppositions ne sauraient être autre chose que des manifestations tardives et obsolètes de nationalisme, voire tout bonnement de fascisme : superbe retournement de la réalité historique, l’union politique de l’Europe ayant précisément été une obsession du national-socialisme.

Là encore, seul importe les mythes bâtis autour du projet d’union. Ils constituent même un des fondements de l’Union européenne, à tel point que les européistes leur ont même bâti un temple. Tous les étudiants en droit et en sciences politiques connaissent cette image simplifié d’un temple, grec de surcroît, comme pour rattacher la construction communautaire à quelque chose d’ancien et d’indubitablement glorieux : le frontispice, symbolisant l’UE elle-même, soutenu par trois piliers, représentant respectivement les Communautés européennes, la Politique Étrangère et de Sécurité Commune et la Coopération Policière et Judiciaire en matière pénale.

Un dogme, un temple, des prêtres et des fidèles : Jean Monnet fut avant tout le père d’une religion.

La désacralisation de l’Union en marche

Quelles sont donc ses croyances ? Il n’existe pas de livre sacré à disposition de celui qui voudrait les étudier, car le culte européiste repose sur une tradition orale étrange et singulière, que le général de Gaulle avait déjà identifiée en son temps : une imprécation imbécile, un rabâchage ininterrompu des postulats de base :

"L’Europe c’est le progrès.

L’Europe c’est la prospérité.

L’Europe c’est la paix.

L’Europe.

L’Europe, l’Europe, l’Europe..."

Mensonge mille fois répété devient-il réalité ? Assurément il le devient pour celui qui écoute, passif, serein dans sa propre inaction, tant que rien ne vient l’obliger à regarder un peu plus loin que le bout de son nez. Et précisément, les contre-exemples battant vigoureusement en brèche les croyances de l’euro-béatitude commencent à apparaître au grand jour.

Ainsi l’Europe apporterait le progrès ? Difficile à croire quand on observe le déroulement des évènements en Belgique, que la crise grecque aura quelque peu fait passer au second plan ces dernières semaines. Et d’ailleurs, en dehors même de cette "diversion" hellénique, on notera avec intérêt le peu de cas que les Français, comme les autres Européens, politiques ou simples citoyens, font de la Belgique et de la crise qu’elle traverse.

De fait, peut-on parler de progrès lorsqu’une frange de la population d’un État demande son autonomie, au titre du refus de la solidarité nationale ? Refus d’autant plus abject qu’il se double d’un racisme qui, pour être économique et fiscal, n’en est pas moins ordinaire : ce que les Flamands les plus extrémistes reprochent aux Wallons, "ces fainéants qui leur coûtent si cher", les Italiens du Nord le rabâchent depuis des décennies au sujet des habitants du Sud.

Alors pourquoi cette absence de réactions ? En d’autres temps et en d’autres lieux, souvenons-nous que l’Europe, toutes institutions confondues, fut prompte à juger et condamner un pays, et même tout un peuple, sur la base d’un vote : lorsque l’Autriche se dota d’un gouvernement de coalition mêlant conservateurs et "extrémistes" du FPÖ, le parti de feu Jörg Haider, Bruxelles, Strasbourg, Paris... tout le landerneau politicard européen et moderniste hurla au retour du nazisme, alors même qu’aucune déclaration ni encore moins mesure gouvernementale ne justifiait ces assertions incendiaires.

À l’inverse, ce qui se passe en Belgique est grave : les extrémistes flamands entendent priver de leurs droits leurs concitoyens francophones installés, de leur point de vue, en "terre flamande". Et l’Europe se tait. Sa Commission reste silencieuse, son Parlement croupion et itinérant demeure égal à lui-même, inactif et inutile. Aveuglement ? Ou faut-il plutôt y voir la satisfaction tacite des héritiers de Jean Monnet, qui rêvent de voir les nations européennes englouties par les tribalismes régionaux ? Roosevelt lui-même avait planifié la disparition de la Belgique au profit d’un grand royaume néerlandais.

Néanmoins le "Plat Pays" n’intéresse pas grand-monde. Dans ce cas, faut-il se tourner vers Athènes, où la situation est encore plus problématique, et dont l’incendie pourrait bien se propager à l’Union entière ?

Car voici déjà quelques mois, la foule courroucée brûlait, dans les rues de la capitale grecque, le drapeau européen. Signe du destin ? En tous cas cette image, que nombre de souverainistes -ou assimilés, dont je fais partie- désespérait de contempler de leur vivant, symbolisait l’amorce d’une inversion dans la perception même de l’Union par les peuples qui la composent : aujourd’hui moins qu’hier, et encore moins demain, elle ne pourra plus être considérée comme la matrice du progrès économique et social, ce pays de cocagne qu’elle n’est encore que pour ceux qui vivent en dehors de ses frontières. La réalité est celle d’un système oligarchique et technocratique, qui est peu ou prou au libéralisme économique le plus échevelé ce que l’Union soviétique fut au communisme. Un temple, une fois encore, avec ses gardiens, son dogme, et même sa police politique : un goulag de l’esprit, qui met à l’index les questions sensibles et ridiculise ses opposants en les taxant de passéistes ou de fascistes.

Chômage endémique, dette galopante, corruption... le système européen n’aura pas permis de se prémunir contre ces fléaux. Et c’est en vain qu’on accusera les Grecs eux-mêmes : l’Espagne, pourtant considérée par beaucoup comme un exemple d’orthodoxie maastrichtienne, se retrouve désormais en pôle position, avec le Portugal, sur la liste des victimes plus que potentielles de cette crise. La rumeur courait d’ailleurs que Madrid entendait demander une aide de 280 milliards d’euros au Fonds Monétaire International.

L’intervention de ce dernier dans le cadre de la crise financière grecque constitue la preuve la plus flagrante de l’échec de l’européisme : comment expliquer qu’un pays, membre d’une organisation supposée apporter bonheur et progrès à ses populations, et dont on nous rabâche à l’envie qu’elle est la première puissance économique mondiale, comment se peut-il qu’un tel pays se retrouve sous la coupe du FMI, le gendarme de l’orthodoxie financière mondiale, et ainsi ravalé au rang de nation "pauvre", pour ne pas dire du Tiers-Monde ?

La réponse est, ma foi, fort simple : le système institutionnel européen, loin d’être infaillible, présente de sérieuses lacunes. Ainsi, la crise grecque, qui est une crise du financement de l’État, est survenue en dépit des dispositifs du Traité de Maastricht sensés prévenir ce genre de difficultés. Outre que le système s’est révélé incapable d’empêcher la crise, il ne prévoyait rien en cas de survenance de cette dernière : logique, puisqu’il se conçoit lui-même comme infaillible. D’où les lenteurs, les hésitations et le ballet politicien abscons auxquels nous avons assisté ces derniers mois, qui au final nous coûteront très cher... et pas seulement au niveau financier.

Car n’oublions pas que "l’Europe, c’est la paix". Enfin, le mensonge fondamental, le plus grossier de l’européisme est sur le point de passer à la trappe. Car, outre que seul un élève de primaire pouvait gober tout cru la fable de la construction communautaire garantissant que les peuples d’Europe ne retombent pas dans leurs travers guerriers congénitaux, seul un imbécile pouvait croire qu’un système résolument néo-libéral, tourné vers la satisfaction d’intérêts catégoriels étroits, favorisant les particularismes ethniques et les régionalismes via, notamment, une politique de décentralisation soigneusement planifiée, pouvait aboutir à autre chose qu’à l’appauvrissement, l’égoïsme et, au final, la guerre.

Oui, à n’en pas douter, la guerre est l’avenir de l’Europe. Le sang aurait-il déjà commencé à couler ? Ces trois employés de banque grecs morts dans un incendie ce mercredi ne sont-ils que les victimes de débordements des manifestations athéniennes ? Ou deviendront-ils les premiers martyrs de la démystification européenne et des conflits qu’elle ne manquera pas de provoquer ? Nul système institutionnel au monde ne peut empêcher les manifestations d’une violence dont il est, paradoxalement, lui-même la source. De ce point de vue l’Europe communautaire ressemble moins à l’Union soviétique qu’à la Yougoslavie.

Ces deux systèmes -l’UE et la RSFY- ont un commun une volonté de broyer les identités primaires, nationales, qui les composent. Toutefois, là où la Yougoslavie se proposait de créer autre chose, un nouvel État et une nouvelle nation, en remplacement des repères qu’elle entendait progressivement étouffer, l’Europe communautaire, qui rejette les concepts mêmes d’État et de Nation, n’a rien à proposer hormis ces idéaux fumeux de "liberté" et de "concurrence". L’UE ne sait que détruire, elle est intrinsèquement incapable de créer quoi que ce soit. Ajoutons à cela que la Yougoslavie fédérale fut bâtie par et autour d’une personnalité politique forte, celle du Maréchal Tito -figure de proue à laquelle elle ne survivra d’ailleurs pas longtemps- tandis que l’Union européenne n’offre rien d’autre que le spectacle pathétique de ses élites mollassonnes, sans saveur ni éclat, dépourvues d’ambition à part pour leur porte-monnaie. Ce ne sont pas le charisme de beignet de José Manuel Barroso, l’allure paysanne de Mme Merkel, ni même et surtout pas le bling-bling pétaradant, croisé avec une gestuelle digne d’un Louis de Funès en pleine folie des grandeurs, de Nicolas Sarkozy, qui me contrediront.

Nous aurions dû tirer bien plus tôt tous les enseignements de la dislocation de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie. Las, nous, et par ce nous j’entends les Européens, nous n’aurons été capables que d’aggraver les évènements : d’abord en voulant à tous prix la sauvegarder alors qu’il était clair que ses peuples ne désiraient qu’accéder à l’indépendance ; ensuite, en imposant aux États issus de la dislocation, et tournés, la langue pendante, vers Bruxelles, le modèle germano-compatible de ce qu’il convient d’appeler le "droit des minorités ethniques à disposer des peuples". L’indépendance du Kosovo, hérésie au regard du droit international, ne fut que la conséquence prévisible de cette politique de déstructuration des États. D’autres sont à prévoir, y compris sur le territoire même de l’Union : le précédent existe, irréfutable, et tôt ou tard les tribalismes régionaux réclameront leur dû, en Flandre, en Corse, en Bretagne, au Pays-Basque, en Catalogne, en Italie du Nord et Dieu sait où encore.

Ainsi le modèle communautaire creuse-t-il sa propre tombe, car, comme je l’ai écrit plus haut, il est structurellement incapable de créer quoi que ce soit en remplacement de ce qu’il détruit. Tout au plus se maintiendra-t-il sous forme de simili-empire, à la carolingienne, avec pour seule cohérence l’ensemble germanophone (Allemagne, Autriche, Luxembourg, voire à terme Suisse alémanique ?) et n’exerçant qu’une mince autorité sur les potentats périphériques nés du démantèlement des États.

La logique du système est implacable : détruire la nation suppose, au regard du modèle européen de l’État-Nation, de détricoter le modèle étatique et, donc, ses acquis. Ceci constaté, se met en place une politique en faveur des minorités ethniques, linguistiques, religieuses, qui se double, en matière économique, d’un renforcement des inégalités - pas seulement entre les territoires, mais entre les personnes. Retour, de fait, à l’état de nature, gouverné par le principe du "chacun contre chacun" : le patron contre l’employé, le rentier contre le travailleur, le riche contre le pauvre, le bourgeois du Nord contre le péquenaud du Sud. On comprend facilement qu’il n’existe aucune place, dans pareil modèle, pour une quelconque civilité ou concorde, ni pour un quelconque gouvernement.

En effet, de la même manière que les mécanismes communautaires n’ont pas pu empêcher la survenance de la crise grecque, aucun procédé institutionnel ne permettra d’éviter le pire : lorsqu’une poignée d’extrémistes flamands décidera d’en venir aux mains avec les Wallons, qui les en empêchera ? Le Président du Conseil européen, Herman von Rompuy ? Ou M. Barroso ? À moins qu’on en rajoute en matière d’humiliation en dépêchant les Casques bleus à Bruxelles.

Et de ce point de vue, si la situation grecque venait à empirer, si la révolte populaire s’amplifiait au point qu’on en viendrait à parler de guerre civile, alors on ne pourra plus parler d’anarchie, mais d’achèvement logique du processus de construction communautaire : l’individu, libéré de tout contrat social, retrouve le droit absolu de lutter pour sa survie, jusqu’à ce qu’un nouveau contrat social soit mis en place.

Là réside peut-être le seul espoir de l’Europe et de ses peuples : à l’instant même où les murs du temple communautaire se fissurent, alors que ses piliers se craquèlent et que toute la bâtisse menace de s’effondrer, n’avons-nous pas l’ardente obligation de réfléchir à l’avenir, de le repenser en dehors de toute contrainte intellectuelle héritée de la prétendue démocratie libérale dont on sait aujourd’hui qu’elle n’est qu’un leurre ? Car la véritable "guerre civile européenne" est peut-être sur le point de commencer. En ce cas, souhaitons qu’elle emporte avec les illusions délétères des européistes, pour le plus grand bénéfice de tous.

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