Dans un discours solennel pour la 21ème Conférence sur la Sécurité de Moscou accompagnant le salon annuel de présentations des armements, le ministre russe de la défense Choïgou a commenté un événement fondamental : la fin d’une hégémonie. Il n’est pas indifférent que l’article général de RT.com sur cette intervention (il y en a plusieurs) commence non pas par une célébration de l’armement russe et de l’efficacité de son armée dans le conflit ukrainien, mais par un constat des effets de ses évènements techniques et militaires sur la situation politique et diplomatique, voire culturelle du monde. Il s’agit de saluer une sorte de néo-anticolonialisme qui s’est levé, grâce à l’acte rupturiel de la Russie
Comme on le lit à la fin de l’extrait ci-dessous, Choïgou va si loin dans l’analyse technico-géopolitique qu’il met en garde certains pays de la sphère non-occidental, surtout de l’Asie-Pacifique, contre le maintien de leur engagement vassalisé avec les USA, – sorte de “Il faut savoir prendre le train quand il passe devant vous” :
« Le ministre a affirmé que l'opération militaire russe en Ukraine avait “mis fin à la domination de l'Occident collectif dans la sphère militaire” et soutenu les mouvements anticoloniaux dans le monde entier.
» “Tout comme la défaite du fascisme par l'Armée rouge en Europe au siècle dernier a donné un puissant élan aux mouvements anticoloniaux dans le monde entier, la défaite des néofascistes ukrainiens soutenus par l'Occident servira de facteur pour contrer le néocolonialisme moderne”, a déclaré Choïgou.
» Notant que la Russie combat actuellement “non seulement les forces armées de l'Ukraine, mais aussi tout l'Occident collectif”, Choïgou a pris acte de l'arrivée de plusieurs États de la région Asie-Pacifique dans les rangs du bloc antirusse. »
Dans la même veine d’une analyse politique structurelle plus large que la simple question des armements, et tout en insistant constamment que c’est contre l’OTAN et non contre l’Ukraine que la Russie se bat, Choïgou a également insisté sur la dépendance ukrainienne de l’aide américaniste-occidentaliste (bloc-BAO), et donc par conséquent sur le fait que ce qui est en jeu est bien la puissance américaniste-occidentaliste en tant que telle.
Il s’agit d’un propos qui dépasse largement le cadre militaire et technique et montre bien qu’en Russie, la puissance militaire a un incontestable poids politique, et une logique politique dans son évolution et son application. Parlant comme il le fait, Choïgou disperse tous les doutes nés à son propos durant l’épisode Prigojine/Wagner et renforce le rôle du ministre de la défense au sein de la direction russe. D’une certaine façon et sur ce plan dans tous les cas, Choïgou acquiert un poids aussi important que celui de certains secrétaires à la défense US dans le passé (certainement pas l’inconsistant Austin aujourd’hui, mais certainement un ministre de la trempe d’un Rumsfeld) :
« Comme preuve de l'incapacité de l'Occident à garantir le succès de la contre-offensive tant vantée de Kiev, Choïgou a souligné l’importance des pertes ukrainiennes au cours des derniers mois. “Malgré l’aide globale de l'Occident, les forces armées ukrainiennes ne parviennent pas à obtenir de résultats”, a-t-il déclaré, soulignant que “les résultats préliminaires des hostilités montrent que les ressources militaires de l'Ukraine sont presque épuisées”.
» Selon les estimations du ministère russe de la défense, les forces de Kiev ont perdu 43.000 soldats depuis le début de leur contre-offensive début juin. Elles auraient également perdu quelque 5.000 pièces d'équipement lourd.
» Lors de son discours de mardi, Choïgou a laissé entendre que le conflit en Ukraine remplissait activement les poches de l'industrie de défense américaine qui, sous couvert de soutenir Kiev, vide les arsenaux militaires de ses partenaires en Europe afin de leur vendre de nouveaux produits. “Les partenaires devront payer beaucoup d'argent aux États-Unis pour de nouvelles armes et accepter de limiter leur souveraineté dans le domaine de la sécurité”, a déclaré Choïgou. “L’Europe est un bon exemple d’une politique de défense complètement subordonnée aux intérêts de Washington”. »
L’Ukraine comme terrain d’entraînement
Bien entendu, Choïgou a signalé, d’une façon générale, ce qui caractérise la campagne en Ukraine principalement, par rapport aux réputations établies : les incontestables qualités de l’armement russe, à partir d’une base industrielle capable de fournir un équipement massif pour les forces armées. C’est aussi un test de comparaison en valeurs, fonctionnement et opérationnalités réels, puisque les Ukrainiens ont, dès le début des hostilités, reçu une masse grandissante d’équipements militaires occidentaux, incluant très rapidement les systèmes les plus avancés, ou dans tous les cas en service dans les forces armées des pays donateurs. Le verdict a pu en général être observé, d’une capacité le plus souvent supérieure chez les Russes, parfois dans un rapport impressionnant. Ainsi les capacités de guerre électronique de la Russie, domaine très important pour la maîtrise de la bataille qui était dans les années 1970-1990 la prédilection des forces américanistes et otaniennes, sont aujourd’hui considérablement supérieures à celles de l’OTAN.
Tout cela déjà été largement documenté. On y ajoutera cette précision, qui est un comble d’humiliation pour l’Ouest-hubrysif. Choïgou a précisé qu’on avait pu constater la valeur supérieure d’anciens équipements du temps de l’URSS, par rapport aux équipements militaires modernes des pays de l’OTAN :
« Choïgou a affirmé que le conflit ukrainien avait montré que les armes russes n'avaient “rien d'unique ou d'invulnérable” et que même certaines armes de l’ère soviétique s'étaient révélées supérieures à leurs équivalents occidentaux modernes au cours des combats. »
Bien plus important que les armes elles-mêmes et leurs performances, Choïgou met en question, comme victime essentielle de ce conflit, l’ensemble des structures et des conceptions d’entraînement et de tactique des forces de l’OTAN, sous très forte influence américaniste. Il est évident que les plus de vingt ans de “Grande Guerre contre la Terreur” (GWOT) ont complètement modifié les perceptions militaires du côté américaniste-occidentaliste, donc les entraînements et les tactiques, en même temps qu’était privilégié le développement de matériels adéquat pour ce genre d’activités de “guerre” de guérilla de basse intensité. L’ensemble, devant la guerre moderne conventionnelle de haut niveau qui a parallèlement très fortement évolué, est catastrophique !
Le paradoxe, ou plutôt la contradiction de la sorte qui est courante dans une civilisation dégénérée, est d’avoir complètement laissé de côté cette guerre de très-haute intensité en même temps qu’on se libérait, dans le même camp, du tabou nucléaire qui interdisait tout affrontement. Cette évolution par légèreté et inconscience libérait ainsi, hors-tabou nucléaire et au contraire, le champ pour ce type d’affrontement de haut-niveau entre les grandes puissances. Ainsi l’Ouest-addictif (addiction aux guerres de basse-intensité) s’est-il complètement désarmé face à la Russie dans un type de conflit que l’évolution des têtes de moineau ne jugeait plus impossible ni impensable.
« La Russie a toutefois dissipé de nombreux mythes concernant la supériorité des normes militaires occidentales dans ses confrontations avec les forces de Kiev, qui ont reçu des milliards de dollars d'armement étranger, a affirmé Choïgou. Il est devenu évident que l'utilisation d'armes occidentales et de tactiques et d'entraînements prétendument avancés de l'OTAN “ne peut pas garantir la supériorité sur le champ de bataille”, a-t-il ajouté.
» Le ministre a également affirmé que les conseillers étrangers de Kiev utilisent essentiellement le conflit ukrainien comme un terrain d'essai pour diverses stratégies militaires impliquant des armes occidentales, tandis que le président Vladimir Zelenski fournit la main-d'œuvre nécessaire à ces expériences. Choïgou a déclaré que les pertes subies par le personnel militaire ukrainien étaient ignorées par les bailleurs de fonds occidentaux de l'Ukraine. »
“L’Ukraine comme terrain d’entraînement” ? c’est un peu cela sauf qu’il semble bien que l’entraînement ne serve à rien, sauf à répéter avec régularité les mêmes erreurs puisque chacun, dans le même camp, se défausse sur d’autres de ses responsabilités.
Le Pentagone et les rats de Hamelin
On peut toujours contester les remarques du ministre russe de la défense et poursuivre la narrative si rassurante de la supériorité, – au moins morale, ça c’est sûr ! – de l’Occident-superlatif. Pour ce faire, notre participation éditoriale est évidemment inutile, et elle serait médiocre par rapport aux virtuoses qui hantent les plateau-TV et les salles de rédaction de la presseSystème. Nous nous occuperons donc que des tendances générales indiquées par Choïgou, qui sont autant de vérités-de-situation dont la responsabilité échoit à notre triste civilisation.
La responsabilité d’une communauté de pays soumises au Système et à sa courroie de transmission américaniste, de s’attacher à une pseudo-menace terroriste globale et écrasante, née moitié de l’effet de nos actions d’agression, moitié de produit de confection (du sur-mesure) de nos divers services de renseignement, – cette responsabilité est totale et suicidaire. Elle nous laisse le champ libre pour changer de fond en comble la nature de l’être humain et les modalités de ce changement, en proclamant qu’on va l’imposer à la Russie après avoir découpé le gâteau en 5 ou 6 morceaux.
Autant les USA que ses vassaux européens se sont plongés dans cette déferlante de dégénérescence dont l’issue de plus en plus probable est du type suicidaire par autodestruction. L’Ukraine n’est donc pas seulement une guerre ; c’est aussi un événement transformationnel, — disons un “événement-trans”, cela sera mieux vu, – qui nous donne l’occasion extraordinaire de contempler ce même processus de dégénérescence par pourrissement de la nature des choses dans le domaine où nous devrions être les plus forts, le fer et le feu des armements de la guerre. Qu’une puissance si arrogante, si affirmée et confirmée dans la justesse de son simulacre de l’emploi du Mal au nom du Bien, sous la forme d’armes de destruction massive contre des populations évidemment hors de cause, se retrouve quasiment désarmée et impuissante sur le champ de la guerre finale, du plus-haut niveau, cela constitue une extraordinaire ironie de l’histoire, – c’est-à-dire de la métahistoire. L’ironie de l’histoire serait alors qu’elle inscrit tous nos actes et nos bassesses dans sa métaphysique.
Il faut avoir à l’esprit que le budget annuel du Pentagone, officiellement proche du $trillion (1.000 $milliards) et certes officieusement dévorant plus de 1.500 $milliards, ne sert à rien sinon à réduire les restes de puissance US en fabriquant des systèmes hyper-compliqués, inutiles et qui ne marchent pas, et en augmentant prodigieusement l’environnement corrupteur de l’industrie du complexe militaro-industriel, avec ses innombrables parasites de la communication et du crime-organisé. A côté de cela, ce même-Pentagone accélère bien entendu, avec sa prodigieuse imbécillité de mastodonte ébahi, les tendances nihilistes d’anéantissement, wokenisme en tête, des restes de notre civilisation. Par contre, certes, la narrative tient bon tant qu’on a la presseSystème, en se poursuivant par nourriture contrainte de survie artificielle, de réflexions faussaires et absurdes à partir du constat des catastrophes ukrainiennes.
Tout cela organise une mise en charpie de l’activité (production d’armements inutiles, guerre par réflexe, réflexions théoriques, experts, think tanks, filouterie des exportations et orgies de sanctions, films hollywoodiens) qui a permis aux USA de faire perdurer une hégémonie qui est d’abord un simulacre aux dimensions globales et aux ambitions globalisantes. C’est en bonne partie sur les armes (à acheter) et nullement par les armes (à utiliser) que les USA ont dominé leurs vassaux depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la communication sous toutes ses formes se chargeant d’en faire la promotion. C’est dans les salles de cinéma que les généraux européens, en civil et avec leurs petites familles, se sont convaincus de la puissance et de l’efficacité des USA.
Aujourd’hui, les puissances européennes, protégées depuis des décennie par la fameuse puissance américaniste, sont entrainées dans son effondrement. Très fidèlement, comme un chien affectueux ou comme les rats de Hamelin entrainés par Der Rattenfänger von Hameln, elles suivent en chantant pour pouvoir mieux choir en groupe, à la façon des moutons. L’Europe moderniste aura exploré tout le règne animal pour mieux pouvoir suivre le suicide de leur modèle préféré et accomplir leur destin d’asservissement sophistiqué.
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