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04 avril 2023

La dédollarisation s’accélère

Lénine avait coutume de dire que parfois, il se passait plus de choses en quelques semaines que pendant toutes les décennies précédentes.

Il semble que nous soyons en train de rentrer dans l’une de ces périodes.

En effet, il apparaît que la dédollarisation, dont je parle depuis plusieurs années dans ces billets, est réellement en train de s’accélérer. Cette accélération a commencé il y a un peu plus d’un an avec la guerre Russie Ukraine. Cette guerre déclencha immédiatement une série de représailles américaines et européennes contre la Russie

  • La première mesure prise fut d’empêcher la Russie de se servir du système de paiements Swift pour ses transactions internationales. Cela ne gêna pas beaucoup la Russie qui avait vu le coup arriver et avait préparé un système de paiements alternatif, mais cela fit comprendre au monde entier que quiconque avait un problème avec les USA pouvait se voir étranglé en cinq minutes si les USA lui coupait l’accès à Swift.
  • La deuxième mesure fût de geler les réserves de change que la Russie avait accumulé depuis le début du siècle non seulement aux USA mais aussi en Europe, car les états européens suivirent avec enthousiasme cette deuxième mesure de rétorsion, ce qui fit comprendre au monde entier que l’Europe était devenue serve des USA et n’offrait aucune protection monétaire particulière.
  • La troisième mesure fut de « confisquer » sans autre forme de procès tous les actifs que des citoyens Russes pouvaient avoir acquis tout à fait légalement aussi bien aux USA qu’en Europe, ce qui fit comprendre au monde entier que notre fameux « état de Droit », censé protéger les individus contre la rapacité de l’état n’était qu’une vaste plaisanterie.

Et tout cela fit comprendre à chaque pays que les USA pouvaient leur couper comme bon leur semblerait

  1. 1 L’accès au dollar, c’est-à-dire à l’énergie nécessaire à la bonne marche de toute économie.
  2. L’accès au système de paiements international, sans lequel aucun pays ne peut survivre.
  3. Et tout cela sans aucune garantie juridique ni contrepartie ni possibilité d’appel.

En termes simples, cela voulait dire que chaque pays avait complètement perdu ses souverainetés au profit des USA, ou plus exactement, que les USA avaient capturé les souverainetés de chaque pays en se servant du fameux « privilège impérial ».

Le choix était donc soit de se soumettre, soit d’abandonner le dollar.

Les Européens, sous la conduite de Bruxelles et de McKinsey se précipitèrent pour savoir celui qui serait le meilleur cireur de bottes, la palme revenant sans doute à la Grande Bretagne.

En ce qui concerne les autres pays,  qui eux étaient gérés par des hommes des arbres (appelés populistes par notre presse tels la Chine, l’Inde, la Turquie) plutôt que par des hommes des bateaux (les mondialistes en Europe), ils se virent obligés de prendre les mesures qui s’imposent pour retrouver leurs souverainetés.

Ce qui est un désastre diplomatique sans précédent pour les USA.

Et les conséquences pour les USA de ce désastre commencent à devenir visibles, très visibles.

Commençons par le plus important, le monopole qu’avait le dollar américain pour toute transaction sur les hydrocarbures.  Ce monopole était vraiment le fondement sur lequel reposait la puissance américaine. Pas de dollar, pas d’énergie, telle était la dure réalité de 1946 à février 2022.

 En un an, ce monopole a disparu.

  • La Russie vend son pétrole et son gaz en Roupie à l’Inde, en Yuan à la Chine. Je rappelle que tout achat d’hydrocarbures sur le marché à terme du pétrole de Shanghai peut être soldé en yuan, ou… en or. Ce qui veut dire que les Chinois sont en train de ramener en douce l’or dans le système des paiements internationaux. Le plus rigolo est que la Russie vend son carburant diesel à… l’Arabie Saoudite avec une forte décote, à cause des sanctions européennes. Et l’Arabie Saoudite se sert du diesel Russe pour sa consommation intérieure, tandis qu’elle exporte en Europe son diesel à prix fort. Gageons que les profits de cet arbitrage payé par les européens seront partagés équitablement entre Moscou et Riyad.
  • L’Arabie Saoudite semble être en négociations bien avancées pour vendre son pétrole à la Chine en Yuan. Il semble se dire que les Emirats Arabes Unis envisagent de vendre leurs hydrocarbures en autre chose que le dollar. Les immenses champs gaziers de l’est de l’Iran vont être développés par des consortiums représentant la Turquie, la Russie et la Chine et je serai surpris si les ventes de gaz qui suivront étaient en dollars ou en euros.

Mais l’abandon du dollar ne concerne pas que les hydrocarbures.

Le Brésil et la Chine, qui commercent beaucoup entre eux, réglaient leurs soldes en dollars US. A partir de maintenant , ils règleront ces achats et ces ventes dans leurs monnaies nationales.

Et à mon avis, et j’ai beaucoup écrit sur le sujet, la Chine va, à partir de maintenant, demander à tous les pays avec qui elle commerce, c’est-à-dire tous les autres pays du moyen orient et surtout tous les autres pays asiatiques de suivre le même protocole. ‘’ Vous me payez dans votre monnaie, je vous paie dans la mienne, à la fin de l’année on solde la différence soit par de l’or soit par des obligations locales qui dans le cas de la Chine seraient convertibles en or » soit par de l’argent que vous prête la Chine.

Qu’est que cela veut dire en termes économiques ?

Le lecteur a déjà compris.

La demande de dollars va s’écrouler.

Prenons l’exemple du pétrole.

Le monde consomme environ 100 millions de barils par jour.

Si le pétrole est à $ 80 dollars le baril et que les stocks de pétrole brut représentent environ 100 jours de consommation, alors la contre valeur de ces stocks en dollar en 2022 étaient de 100 millions * 70 *100 jours ou 700 milliards de dollars.

Doublons ce montant pour avoir la contre valeur des produits raffinés et je découvre que $ 1.4 trillion sont immobilisés physiquement dans les stocks de produits pétroliers à tout moment.

Allons plus loin et imaginons que chaque pays veuille avoir assez de dollars pour couvrir ses dépenses pétrolières pour au moins un an. Comme nous en consommons 100 millions de barils par jour, un tel stock de dollars de précaution correspond à $ 2.8 trillion, somme que je peux doubler à nouveau pour y inclure les produits raffinés.

J’arrive donc à la conclusion que $ 1.4 trillions sont immobilisés en contrepartie de stocks physiques chez les sociétés pétrolières et $ 5.6 trillions en stocks de dollars de précaution, chez les banques centrales.

Je vous fais un prix d’ami à $ 7 trillion pour les dollars immobilisés dans le système, dont 20% représente la demande en provenance des USA, qui restera en dollars US.

Cela veut dire tout simplement que si tout le monde se met à acheter et à vendre son pétrole dans les monnaies nationales de chacun, on va voir $ 5.6 trillion US apparaître dans les marchés monétaires et des changes dont plus personne n’aura besoin

Et le seul endroit où ces dollars auront cours légal ce seront les États-Unis…

Envisager que le dollar baisse fortement et que l’inflation soit robuste outre atlantique ne me paraît donc pas être complètement irrationnel.

Quant à nous en Europe, le dollar sera certes bas, mais il nous faudra d’abord les acquérir dans le commerce international, où nous n’avons plus grand-chose à vendre.

Il nous faudra donc vendre nos actifs de prestige aux asiatiques (Air Liquide et les grands vins de Bordeaux, ainsi que l’or en dépôt à  la banque de France ?), en espérant que certains d’entre eux voudront bien venir prendre leurs vacances chez nous.

Venise est le futur économique de l’Europe.

Venons-en à la situation géopolitique.

Il ne faut pas être très malin pour réaliser que tout cela ne va pas plaire aux USA qui ont pris la fâcheuse habitude d’attaquer les pays qui contestent le monopole du dollar.

Abandonner le dollar sans prendre les précautions militaires qui s’imposent a coûté suffisamment cher à quelques précurseurs du type Saddam Hussein pour que la leçon ait été retenue. On va donc voir se monter des alliances militaires, « défensives », bien sûr, contre les USA.

La Chine a pris les devants (Groupe de Shangaï), et l’Arabie Saoudite vient de rejoindre ce groupe en tant qu’observateur, ce qui est stupéfiant. Je n’aurai jamais imaginé que l’Arabie Saoudite rejoigne une alliance militaire visant à les protéger contre une attaque…américaine.

A mon avis, je verrai assez bien émerger une première alliance qui engloberait la Russie, la Turquie, l’Iran et la Syrie et une seconde alliance avec la Russie à nouveau, les «  ….Stan (Ouzbékistan etc… », et bien sûr la Chine.

Et toutes ces alliances se passeraient entre pays contigus géographiquement, sans avoir à passer par la mer pour aider. Ce qui rend le contrôle de la mer par la marine US quelque peu inutile.

Conclusion financière.

Il me reste à signaler un dernier point qui me gêne beaucoup.

Si nous avons deux systèmes de paiement internationaux, la qualité des informations économiques sur le commerce international va beaucoup baisser.

Je ne vois pas pourquoi la Chine informerait les USA sur les volumes de pétrole qu’ils achètent à la Russie. Et donc, savoir ce qui se passe réellement dans les marchés internationaux des matières premières va devenir beaucoup , beaucoup plus difficile. Ce qui ne va pas me faciliter la tâche d’analyste.

Plus généralement.

A l’évidence le monde est en train de se scinder en deux groupes.

Un premier groupe qui disposera d’une énergie abondante et de clients pour cette énergie à l’intérieur de cette zone et ce groupe comprendra la Russie et la Chine. Les transactions seront soldées en or pour les pays déficitaires en énergie, en énergie pour les pays excédentaires ou en obligations locales en monnaies locales, ce qui implique un développement considérable des marchés obligataires locaux.

Sur les tendances politiques actuelles le Brésil et le Mexique devraient faire partie de cette zone ce qui serait un coup terrible pour les USA.

C’est dans cette zone qu’il faut avoir tous ses placements obligataires,

Cette zone devrait connaître une croissance Ricardienne phénoménale dans les années qui viennent.

Acheter la consommation et l’immobilier dans cette zone me paraît être une bonne idée.

Le deuxième groupe sera centré sur l’Amérique du Nord (Canada USA) qui resteront autosuffisants énergétiquement mais avec un biais inflationniste très fort.

Comme je ne cesse de l’écrire, en ce qui concerne l’Europe, les situations budgétaires, les carcans de Bruxelles , l’existence d’une fausse monnaie commune l’euro,  sont tels  et la situation démographique tellement inquiétante que je vois mal comment cette partie du monde pourrait s’en sortir.

Il faut donc éviter tous les contrats (obligations) dans cette sous zone ainsi que l’immobilier et les remplacer par de l’or, et ne détenir dans le domaine des actions que les actions des sociétés multinationales locales, vendant partout et produisant partout.

Et finalement, il faut se souvenir de la plaisanterie de Kissinger : "Historiquement, il a été beaucoup moins dangereux d’avoir été l’ennemi des USA que d’avoir compté parmi ses alliés."

Je plains l’Europe.

Charles Gave

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