C’est une bombe à retardement dont le détonateur tarde à être lancé. Une promesse de campagne d’Emmanuel Macron qui pourrait se transformer en véritable lance-flamme, alors que la mobilisation contre la réforme des retraites, début mars, s’annonce déjà massive et que l’engagement des jeunes est guetté avec la plus grande méfiance.
D’après nos informations, l’exécutif préférerait généraliser le service national universel (SNU) avec une obligation en temps scolaire pour tous les jeunes en classe de seconde et en première CAP. Pour ce faire, le gouvernement devra modifier la loi et donc passer par le Parlement.
Contactée, la secrétaire d’État chargée du SNU, Sarah El Haïry, confirme que la généralisation fait partie des options sur lesquelles elle travaille et qu’elle a sa préférence. « Si le SNU devenait obligatoire, il pourrait alors s’inscrire sur le temps scolaire », ajoute la secrétaire d’État. Elle précise que l’autre option serait un SNU accompagné de mesures incitatives. « Nous attendons les arbitrages du président », rappelle-t-elle, alors que le ministère utilise tous les canaux possibles pour faire la promotion du dispositif.
Par exemple, toute la semaine dernière, sur Skyrock PLM (la webradio de la station historique qui a pour partenaire le ministère des Armées), une chronique quotidienne lui était dédiée. La secrétaire d’État a eu tout le loisir d’expliquer à quel point le SNU permettait de « participer à la résilience, à la force morale de notre pays ». Les voix discordantes n’ont pas eu droit au chapitre.
La communication est donc sous contrôle. Personne ne souhaite un dérapage dans un contexte social aussi tendu. En témoigne les reports répétés des annonces du chef de l’État sur le SNU. Elles devaient d’abord avoir lieu quelques semaines après les vœux du président, le 31 décembre. Puis en février. Désormais en mars. Voire « entre mars et juin », indiquait Sarah El Haïry à l’un de ses interlocuteurs, en début de mois.
La peur de la « coagulation des colères »
Contacté, l’Elysée n’a pas répondu à nos sollicitations à la date de publication. « Il y a la peur d’une coagulation des colères », glisse un proche de Pap N’Diaye, ministre de l’Education Nationale. « Décrire le nouveau SNU pourrait précipiter la jeunesse dans la rue », confirme une source rue de Grenelle. Et l’on comprend pourquoi.
Décrire le nouveau SNU pourrait précipiter la jeunesse dans la rue.
Si le contenu de la généralisation du SNU resterait à affiner, selon la secrétaire d’État, un document interne au Ministère de l’Éducation nationale que Politis a pu consulter, révèle les détails d’un tel programme s’il était finalement choisi. Au ministère, on considère qu’il s’agit d’« un document de travail qui n’avait pas vocation à être publié ».
Intitulé « Foire aux questions ‘Post annonce SNU obligatoire’ », la note, destinée au personnel de la Jeunesse et des Sports, indique que le SNU « se compose d’un séjour de cohésion obligatoire de 12 jours qui s’effectue en-dehors de son département/de sa région de résidence » (sic). Une information confirmée par plusieurs organisations reçues au cabinet de Sarah El Haïry.
Cette généralisation à marche forcée est estimée à 2 milliards d’euros annuels. Si cette option est confirmée, le SNU nouvelle version pourrait débuter dans six départements pilotes (le Cher, les Hautes-Alpes, les Vosges, le Finistère, la Dordogne et le Var, selon le SNES-FSU) avant un élargissement progressif à l’ensemble du territoire jusqu’en 2026. La SNES-FSU, reçue par la Secrétaire d’État, précise que ce déploiement interviendrait plutôt en janvier 2024, contrairement au document interne qui le fait démarrer dès septembre :
La militarisation, quoiqu’il en coûte ?
Le séjour de cohésion obligerait les jeunes à passer 12 jours selon un rythme équivalent au dispositif existant, à savoir un lever à 6 h 30 et un coucher à 22 h 30, malgré les divers incidents liés à un volume horaire trop important. Le 18 juin 2019, par exemple, une vingtaine de jeunes avaient fait un malaise après être restés au garde-à-vous, en plein soleil, lors de l’inauguration d’une statue du général de Gaulle.
L’uniforme, la levée du drapeau le matin et le chant de la marseillaise sont maintenus. Le tout sans téléphone portable, sauf pendant « un temps prévu en fin de journée », précise le document. Ce retrait du smartphone se poursuivra, d’après l’entourage de Sarah El Haïry. Les premiers jours seraient consacrés au passage de la journée d’appel, dont le format actuel disparaîtrait, ainsi qu’à un bilan de santé et un test de lecture.
Plusieurs modules seraient ensuite imposés sur des enjeux liés à la défense, à la sécurité intérieure, à la mémoire, à la transmission « des valeurs de la République » ainsi qu’à la biodiversité et au développement durable. L’engagement dans des métiers en uniforme, dans des associations et dans l’économie sociale et solidaire serait aussi abordé.
En revanche, le permis de conduire et le diplôme du Bafa ne seraient finalement pas proposés gratuitement au cours du séjour de cohésion, alors qu’ils auraient pu être perçus comme des produits d’appel pour des jeunes précaires, selon le compte-rendu concordant de plusieurs sources reçues par Sarah El Haïry.
Un argument qui avait été évoqué l’an dernier lors des discussions entre les organisations de jeunesse et la secrétaire d’État. Le permis de conduire et le Bafa devraient finalement figurer dans le programme des modules fonctionnant sur la base du volontariat, notamment celui qui permet l’accès à une réserve en uniforme. Une manière d’encourager les jeunes à entrer dans l’armée ?
Au niveau de l’encadrement, le SNU continuerait d’être pris en charge, en théorie, par des personnels de l’Éducation nationale en détachement, des militaires en retraite et des personnels de l’éducation populaire à parts égales. Malgré des cultures pédagogiques pourtant bien différentes. Pour convaincre les animateurs réticents, le chantage à l’emploi tourne à plein-régime. Le gouvernement promet un CDI à temps-plein, alors que le secteur peine à recruter.
Bourbier logistique
À terme, 800 000 jeunes seraient donc répartis à travers la France, chaque année. Un important changement d’envergure, alors que l’année 2021 n’avait attiré que 30 000 volontaires. L’obligation en temps scolaire fait craindre aux syndicats d’enseignants une pression sur la tenue des programmes.
D’un point de vue logistique, « une telle montée en puissance implique l’accès à des bâtiments pour colonies de vacances afin de recevoir des cohortes d’au moins 150 jeunes, sur des périodes qui se multiplient dans l’année », précise-t-il, alors que les départements n’en sont pas tous pourvus de manière égale.
Le jeune devra se rendre au point de rassemblement par ses propres moyens.
Selon les calculs du Syndicat national des personnels du ministère de la Jeunesse et des Sports CGT, 168 hébergements d’éducation populaire ont été recensés en France, offrant une capacité totale de 360 000 résidents. « Où emmener les 440.000 restants ? Faut-il prendre les classes entières ou diviser les élèves ? Sur quels critères ? », questionne Pierre Mourot, secrétaire général du syndicat.
Le document interne à l’Éducation nationale ajoute que « le jeune devra se rendre au point de rassemblement par ses propres moyens (Aller et retour) ». Si parmi les jeunes volontaires qui ont participé au SNU en 2021, 63% d’entre eux avaient « le sentiment de vivre au sein d’une famille qui est ‘plutôt à l’aise’ voire ‘très à l’aise financièrement’ », pour les familles précaires, la question du prix du transport du foyer jusqu’au point de rassemblement se posera forcément.
L’engagement selon Macron
Reçus par Sarah El Haïry, l’Unef et le Forum français de la jeunesse (FFJ), qui regroupe une vingtaine d’organisations, dénoncent la manière dont l’exécutif réduit la notion d’engagement. Pour Samuel Béguin du FFJ, c’est l’obligation qui passe mal. « Rendre obligatoire un engagement, c’est un oxymore. Ce n’est pas comme ça que fonctionne l’engagement », pointe-t-il.
Ses inquiétudes portent aussi sur la réponse apportée aux jeunes qui refuseront de réaliser leur SNU. Parmi les 30 000 volontaires en 2021, 37 % avaient un parent qui travaille ou a travaillé dans l’armée, la police, la gendarmerie ou chez les pompiers. De quoi nuancer l’enthousiasme des jeunes qui ont participé et les objectifs de mixité sociale tant vantés par le gouvernement. Mais que répondre aux potentiels dizaines de milliers de jeunes réfractaires au SNU ?
L’objection de conscience ne pourra pas être évoquée, les jeunes n’utilisant pas d’armes.
« L’objection de conscience ne pourra pas être évoquée, les jeunes n’utilisant pas d’armes », balaie Sarah El Haïry à une organisation syndicale reçue début février, assurant que les gendarmes n’iront pas toquer à la porte des parents pour venir les chercher. Toutefois, la question de la valorisation dans Parcoursup du SNU et de ses missions d’engagement facultatives n’est pas écartée.
Ephram Strzalka-Beloeil, de la Voix Lycéenne, constate que pour le gouvernement « l’engagement, c’est le SNU ou rien ». Une définition que reprennent à leur compte d’autres acteurs zélés, comme la rectrice de l’Académie de Limoges, Carole Godard, qui n’hésite pas à tracer un continuum entre collège, SNU et armée, dans un tweet qu’elle a depuis supprimé :
« Ils ne favorisent pas l’engagement associatif, politique ou syndical. C’est obligatoirement tourné vers l’armée », estime-t-il. « C’est vers l’éducation populaire et l’éducation nationale qu’il faut apporter des moyens, pas au SNU qui n’a pas de raison d’exister », critique Imane Ouelhadj, présidente de l’Unef.
Présentée par Gabriel Attal, le prédécesseur de Sarah El Haïry, comme la « réforme de société la plus puissante depuis de nombreuses années », la mise en place du SNU pourrait décrocher un autre record : la plus importante mobilisation des jeunes depuis de nombreuses années.
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