28 avril 2022

Tout lui réussissait, mais il n’a rien réussi...


La ressemblance s'affine... "Objet des mépris de tous à maison, il haïssait ses frères et son père."

Cette phrase de Stendhal tirée du Rouge et le noir décrit le calvaire domestique de son héros, Julien Sorel. Il parait qu'Emmanuel Macron ne déteste pas de lui être comparé, mais c'est pour des raisons superficielles : la revanche sur un milieu provincial et étroit, la séduction comme arme sociale, l'admiration pour Napoléon et les hommes d'action en général. Or cette phrase s’applique à toute une génération dont il est le rejeton déboussolé. Qui par exemple a entendu parler du Docteur Gustave Hollande qui fut candidat député d'extrême droite et dont son fils s'est écarté très jeune pour devenir le génie que l’on sait ? Dans quel journal avez-vous lu une étude psychologique sur les rapports qu'entretenait Ségolène Royal avec son père militaire et Front National ? Où avez vous vu un reportage de télévision se pencher sur la relation entre Martine Aubry et Jacques Delors, son géniteur psychorigide, fossoyeur de l'europe des nations? Où trouvez-vous un récit de l'enfance de Manuel Valls et de celle de Sarkozy qui sont curieusement parallèles entre un père artiste absent et une mère richissime envahissante?

Réponses dans l'ordre: Personne, aucun, nulle part.

On nous dit, avec le dédain dont on accable celui qui pose des questions indiscrètes, que ce sont des affaires privées. Mais aucune affaire de famille qui débouche sur un désir ardent et féroce de gouverner ne saurait rester privée. L'argument selon lequel on devrait cesser de se poser des questions sur les origines intimes du désir de pouvoir est spécieux. La presse s'en sert pour faire absoudre sa lâcheté quand un névrotique est élu . Ce fut le cas l'an passé et même cinq ans plus tôt. On nous a caché l'essentiel.

Emmanuel Macron est l'objet d'une curiosité de plus en plus précise pour des raisons qui ne doivent rien au hasard. Il l'a recherchée. Il s'est offert à notre regard, à notre analyse, qu'il ne s'étonne pas de leur être soumis. Quand il s'interroge lui-même avec une complaisance morbide sur le mécanisme de sa montée aux affaires il nous invite à nous poser les mêmes questions sur un mode moins léger. Quand il constitue une garde rapprochée qui descend en ville à sa place il est pareil aux dictateurs qui envoient des émissaires dans la foule pour espionner ce qu’on dit d’eux. Quand il nous explique qu'il est entré en politique par effraction il est semblable au pyromane qui revient se mêler à la troupe des pompiers volontaires. Le cas de figure est toujours le même : comme tous les grands narcissiques il veut se voir de l'extérieur.

Eh bien, aidons-le...

On me demandera à quel titre j'invite le lecteur à emprunter mes lunettes. La réponse est simple, mes verres ont un seuil de correction qui permet de voir certains détails. La fascination de l'âge mûr, voire de la vieillesse gouverne mon imagination depuis le début. Chacun de mes livres en témoigne depuis ma jeunesse. Je suis passé par les Jésuites aussi. J'ai fait Hypokhâgne à Henri IV derrière le Panthéon et Sciences Po rue Saint Guillaume, comme lui . J'ai nourri les mêmes fantasmes dans les mêmes milieux à vingt ans d'intervalle. Et surtout pour rester à mi chemin entre le propre et le figuré, je sais ce que signifie le fait de coucher avec une personne ayant autorité, même si j'ai préféré le Marquis de la Môle à Mme de Rênal. C'est ce qui me donne le droit de distinguer entre deux formes de gérontophilie: celle qui sert, vénère, subit, reste au service d'autrui, garde le sens de l'honneur et du sacrifice. Et l'autre, qui verse dans l'insolence dès le plus jeune âge, qui se rebelle, qui s'affranchit, qui préfère le sens de l'humour au sens de l'honneur et qui est plus encline à sacrifier autrui qu'à se sacrifier elle-même. Entre les deux, vous avez les vingt années qui ont défait la France. Emmanuel Macron en est le produit le plus raffiné.

Quand on nous dit "il a fêté ses quarante ans en famille à Chambord", on nous ment. Ses parents n'étaient pas présents. Moi le jour de mes quarante ans mon père était là. Et pour les trente aussi. C'est toute la différence. Le parcours d'un gérontophile sentimental consiste à flatter ses aînés pour préserver l'objet de sa vénération. Celui d'un gérontophile animé par le désir de pervertir l'ordre social est tout le contraire : il couche avec l'autorité, le pouvoir, l'argent, non pour les vénérer mais pour les culbuter. Pour les remplacer par des simulacres, pour en dégrader l’image. Hors des périodes de décadence la chose est impossible. Les élites confites dans leur dignité ne se laissent pas culbuter aisément. Mais nous sommes précisément plongés dans la pire période de décadence qu'ait connu la France depuis Marie Antoinette. Les puissants veulent qu’on les amuse et qu’on les traite par-dessus la jambe. D’ailleurs pour en témoigner j'aimerais citer justement le film de Sofia Coppola Marie-Antoinette qui nous montrait une reine de France en train d’essayer des Louboutin à Trianon en mangeant des macarons au champagne. C’est exactement le spectable qu'on donné les hôtes de l'Elysée au milieu des danseurs noirs de hip-hop enrubannés pendant la fête de la musique: la licence XVIIIème, pure, assumée, le "après nous le déluge". On devrait citer le Sabbat de Maurice Sachs, qui montre un académicien culbuté lui aussi, tout nu à la renverse sur un canapé. C'est ainsi que procède la gérontophilie perverse, elle décoiffe les vieux tout en les divertissant. Elle les tourne en dérision, elle démonte les mécanismes du pouvoir, du prestige, de l'ascendant sur autrui, pour signifier aux élites (dont elle fait déjà partie à 25 ans) « vous voyez j'ai fait le tour, je suis un philosophe, puisque, tout en jouant le jeu, je sais qu'il ne s'agit que d'un jeu ». On retrouve le même vertige suicidaire chez Patrick Besson à l'époque où il publiait deux livres par an, terrorisait le Figaro, les éditeurs, la critique, et malmenait les académiciens dans les cocktails. C'est exactement l'attitude adoptée par François Marie Banier quand il a fait le siège d' Aragon à vingt cinq ans puis de la plus grande fortune française, le couple Bettencourt, avec le résultat que l'on connaît, et les modalités qu'on a feint de ne pas connaître au procès. Banier était insolent et même mal élevé dans son narcissisme envahissant « mais aussi tellement drôle » nous a dit Madame. Je l'ai interviewé, ce mondain ironique qui fréquentait aussi les Rothschild, pour un journal disparu, dans son appartement de la rue Servandoni, quand j'avais vingt ans . J’ai interrogé aussi Patrick Besson, dans le même article et pour les mêmes raisons: j'enquêtais déjà avec une vague ironie sur l'appétit de conquête des jeunes gens de la littérature dont faisait aussi partie Jean Marc Roberts, qui était interrogé aussi, et qui a consacré un livre à Banier vingt ans plus tard. Banier à l’époque répétait à tout le monde que la littérature, la renommée, l'argent, ce n'était pas la vie. Or c'est après eux qu'il a couru toute sa vie. Comme Roberts. De même Emmanuel Macron relativise, systématiquement, dans les entretiens qu'il prétend livrer à tête reposée, l'attrait du pouvoir et de la politique sur son imagination délirante (au sens psychiatrique). En vérité il n'a jamais pensé qu'à ça. Quand on se penche sur leurs deux histoires, celle de Banier et celle de Macron on est frappé par les similitudes. Si l'on consent à se souvenir de la trame de "Balthazar fils de famille", le héros du roman de Banier, son frère, son double, est battu et méprisé par un père injuste qui a honte de ses origines. Sa mère ne vaut pas mieux, elle est d'un égoïsme féroce. Il se reporte donc sur une marraine riche et nymphomane qui l'introduit dans le "monde". Parallèlement il exerce toutes sortes de métiers dans lesquels il n’a aucune expertise, professeur de danse, de dessin, mais il est décontenancé lui-même par sa facilité à faire illusion.

Contre la damnation de n’être lui-même que dans le regard d’autrui, alors qu'autrui le dédaigne, il n'y a de salut que dans la fuite, il doit cesser de voir sa famille, il doit conquérir la faveur générale, seul remède à la douleur d'avoir été méconnu.

Mais cela débouche sur un vampirisme. En s'attaquant peu à peu, méthodiquement, à ce qui forme le corps social de la France depuis trois générations, Emmanuel Macron cherche en ce moment à jeter par terre l'ordre qui n’a pas assez flatté ses ambitions à Amiens quand il avait quatorze ans et demi. On nous dit il était amer parce que la société l’a rejeté après qu'il a séduit sa prof de français. En fait c’est le contraire. Il a séduit son aînée de vingt ans parce qu’il était amer dès l’enfance et voulait damer le pion paternel. Le fait de rechercher la compagnie des vieux messieurs ou des vieilles dames à l’âge de la puberté prend l'ordre social à rebrousse-poil. Il est à l'origine de toutes les carrières de courtisanes historiques, et de nombreuses vocations d'hommes publics à la Citizen Kane. Mais dans le cas de Macron le "Rosebud" ce sont les vacances de neige à la Mongie. On n’est plus dans Stendhal mais dans Frédérique Hébrard. Depuis la campagne électorale il a déjà fait trois fois le déplacement dans les Pyrénées pour aller communier sous les caméras avec son moi profond qui est resté bloqué à l’époque où il séduisait sa prof pendant les visites de musées. Dans sa logique intime le succès le plus éclatant serait qu’il arrive à traîner Trump ou Poutine au sommet de son téléski préféré. Il a déjà installé Madame à l’Elysée ce qui n’est pas si mal mais il lui faut toujours davantage. Dans le même esprit François Marie Banier, ivre de son pouvoir sur le monde des gens qu’il a culbutés, a perdu tout contact avec la réalité au même âge, soit environ quarante ans. Tout lui réussissait mais il n’a rien réussi. Ce pourrait être finalement l’épitaphe de Macron.

Christian Combaz

Publié dans la revue Elements en septembre 2018.
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