24 février 2022

La société de reconnaissance faciale Clearview AI cherche ses premiers gros contrats avec le gouvernement Biden

Clearview AI, entreprise spécialisée dans la reconnaissance faciale, vise cette année à remporter ses premiers gros contrats avec le gouvernement américain et notamment les agences fédérales. La technologie (intrusive) de la société américaine semble intéressée un spectre beaucoup plus large que les « forces de l’ordre » et Clearview AI y voit une immense opportunité commerciale. Depuis plusieurs mois, Clearview AI est dans le viseur de plusieurs pays européens qui l’accusent de surveillance de masse. La CNIL a, d’ailleurs, mise en demeure la société de cesser la réutilisation de photographies accessibles sur internet.

Reconnaissance faciale : la France lance un ultimatum à Clearview AI |  Radio-Canada.ca

Qui est Clearview

Fondée en 2017 et basée à New York, Clearview AI est, à l’origine, d’un un outil de recherche reposant sur une technologie de reconnaissance d’images qui a pour objectif de rechercher et d’identifier des auteurs d’infraction. Son fonctionnement est le suivant : il suffit de prendre une personne en photo, de téléverser l’image puis de consulter toutes les images correspondantes. Le système repose sur une base de données qui regroupe plusieurs milliards de photographies aspirées de Facebook, YouTube et Venmo principalement.

La société américaine de logiciels Clearview AI (intelligence artificielle) s’est présentée comme “le plus grand réseau facial au monde”.

L’entreprise, valorisée quelque 130 millions de dollars, affirme détenir dix milliards de clichés disponibles sur le Web. Clearview AI figure dans le palmarès 2021 des cent entreprises les plus influentes au monde établi par le magazine Time.

La liste des utilisateurs de cette technologie est longue. D’après Buzzfeed News, en février 2020, Interpol, le FBI, Verizon, Walmart, Macy’s, la NBA ainsi que les établissements scolaires américains utilisaient ce logiciel.

A noter que lors de sa précédente levée de fonds, Clearview AI avait été soutenue par Peter Thiel, cofondateur de PayPal, Kirenaga Partners, une société de capital-risque basée à New York ainsi que Hal Lambert, le créateur basé au Texas de MAGA ETF, un fonds d’investissement.

Clearview est devenu l’un des développeurs les plus en vue dans le domaine de la reconnaissance faciale au cours des deux dernières années, car il envoie aux autorités des correspondances à partir d’une base de données toujours plus grande de plus de 10 milliards de photos qu’il trouve publiées sur Internet.

2,311 Fbi Surveillance Stock Photos, Pictures & Royalty-Free Images - iStock

Les ambitions de Clearview sur le marché des agences fédérales américaines

Clearview AI vise cette année à remporter ses premiers gros contrats avec le gouvernement américain. Afin de convaincre les investisseurs, l’entreprise en appelle au patriotisme américain, et assure que son système permettra de défendre bien plus efficacement le pays.

Dans une interview exclusive, le PDG Hoan Ton-That a déclaré qu’il allait se concentrer sur la conclusion de contrats avec des agences fédérales.

“Nous savons que certaines de ces agences connaissent un grand succès, mais elles n’en sont qu’à un petit achat à cinq ou six chiffres”, a déclaré M. Ton-That, en faisant référence à la valeur annuelle des transactions. “La question est donc de savoir si nous pouvons en faire passer quelques-unes à des achats à sept, voire huit chiffres. »

Le Federal Bureau of Investigation (FBI), l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) et le Fish and Wildlife Service (FWS) font partie de la douzaine d’agences américaines qui ont utilisé Clearview. Dans un rapport de 92 pages adressé au Congrès et rendu public en juin 2021, le Government Accountability Office (GAO) a découvert que 13 des 42 agences interrogées ne maîtrisaient pas bien tous les outils de reconnaissance faciale non gouvernementaux que leurs équipes utilisent et ne peuvent donc pas évaluer pleinement les dangers qui les accompagnent..

Le FBI et les services secrets étaient parmi d’autres agences à utiliser la technologie de Clearview au cours de la période examinée par le GAO. Les agences ont également décrit l’utilisation de divers outils de reconnaissance faciale appartenant aux secteurs public et privé pour soutenir les projets de recherche et développement, la surveillance des manifestations, la vérification des voyageurs, la réponse au COVID-19 et plus encore.

D’ailleurs, le FBI a déjà signé un accord d’investigation biométrique avec Clearview le 30 décembre 2021. Cet accord de licence de 18 000 $ a été conclu pour souscrire à la technologie de reconnaissance faciale de l’entreprise.



Un big brother 2.0 qui intéresse beaucoup de monde

En février 2021, Clearview a déposé un brevet dans lequel il projette toutes sortes d’usages plus inquiétants les uns que les autres pour sa technologie de reconnaissance faciale. Ce brevet a été déposé au bureau américain de la propriété intellectuelle, et en dit long sur les ambitions inquiétantes de Clearview AI. 

En résumé, Il suffira de donner une photo au logiciel, et il vous retournera en résultat un album de photos de la même personne. Puisque l’outil lie chacune des images à sa source d’origine (réseaux sociaux, forums, médias…), il sera possible de trouver toutes sortes d’informations sur la personne recherchée, et donc, de l’identifier.

La startup assure, néanmoins, que sa reconnaissance faciale ne serait vendue qu’aux forces de l’ordre, et ne serait utilisée que par des professionnels de la sécurité comme outil d’enquête

Or dès 2020, le New York Times avait révélé qu’une poignée de riches individus, entre autres des investisseurs et des proches des fondateurs, disposent de l’application depuis plus d’un an. Les millionnaires ont utilisé Clearview dans le cadre privé, bien loin de l’unique usage sécuritaire. Le NYT donnait l’exemple du milliardaire John Catsimatidis, qui s’en est servi pour identifier un homme avec qui sa fille avait un rendez-vous amoureux. 

En février 2020, Buzzfeed avait mis la main sur la liste des clients de l’entreprise, qui a également été volée par un hacker. Clearview comptait 2 228 clients, deux fois plus que ce qu’elle affirmait publiquement. Surtout, ce ne sont pas uniquement des organisations représentantes des forces de l’ordre, comme le FBI mais des organisations sans rapport avec les forces de l’ordre.

Alors que la majorité des géants technologiques ont décidé de lever le pied et de laisser la reconnaissance faciale de côté pour des raisons « éthiques », Clearview AI y voit une immense opportunité commerciale afin de prendre une place laissée vacante par ces derniers. La firme explique ainsi qu’en plus de permettre à la police d’identifier des criminels, son système pourrait également servir à la « gig economy », c’est-à-dire aux entreprises collaboratives telles qu’Uber, en leur permettant de surveiller davantage leurs travailleurs. Elle considère également des secteurs comme l’e-commerce, le retail et la finance comme de potentiels pans de croissance pour sa technologie. 

Le développement d'un outil tel que Clearview AI en France est-il possible  ? - LE MONDE DU DROIT : le magazine des professions juridiques

Clearview accusé de surveillance de masse dans plusieurs pays de l’UE

En février 2021, l’autorité suédoise de protection des données personnelles (IMY), l’équivalent de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), a condamné la police nationale suédoise à une amende de 250 000 euros pour l’utilisation illégale du logiciel de Clearview AI.

Au Canada, ce sont l’agence fédérale et ses homologues provinciaux du Québec, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, qui se sont penchés sur l’utilisation de l’outil par les forces de l’ordre. Ils ont conclu que l’entreprise violait la loi nationale sur la protection des données en récoltant et stockant des informations sur les Canadiens sans leur consentement.

En novembre, l’Information Commissioner’s Office (ICO) du Royaume-Uni a recommandé d’imposer à l’entreprise une amende de plus de 17 millions de livres sterling (20 millions d’euros) pour violation de la confidentialité des données.

“Les preuves que nous avons rassemblées et analysées suggèrent que Clearview AI traitait et pourrait continuer à traiter des volumes importants d’informations sur les citoyens britanniques à leur insu”, avait déclaré la commissaire Elizabeth Denham.

Des organisations autrichiennes, italiennes et grecques ont déclaré, en mai 2021, que la société américaine avait stocké des données biométriques sur plus de 3 milliards de personnes sans leur permission.

En France, en décembre 2021, la présidente de la CNIL avait décidé de mettre la société CLEARVIEW AI en demeure. Elle devra cesser la collecte et l’usage des données de personnes se trouvant sur le territoire français en l’absence de base légale mais aussi faciliter l’exercice des droits des personnes concernées et de faire droit aux demandes d’effacement formulées.

Le stockage de photos de citoyens semble soulever certaines inquiétudes au sein de l’UE. Il est plus que temps, que ces dirigeants s’indignent quant au fait que ce type de surveillance, observée en Chine, tend à se banaliser dans les démocraties occidentales.

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