Biden a claironné le mot sacré « démocratie » à maintes reprises, lors de la conférence de Munich sur la sécurité, dont trois fois rien que dans sa phrase de conclusion ; mais le masque est déjà tombé de ce mythe moralisateur datant des années 1940, qui a longtemps servi aux États-Unis. Les récents événements dans ce pays ont mis en évidence le fait que cette « démocratie » n’est qu’une imposture et ont mis à nu les divisions amères qui se cachent derrière la façade.
La position de l’Amérique en tant que « leader mondial », comme l’a fait observer Stephen Wertheim dans son livre Tomorrow the World, était fondée sur un ensemble de circonstances momentanées et atypiques de l’après-guerre qui ont donné la primauté aux États-Unis ; mais Wertheim poursuit en soulignant que « ces jours d’unipolarité incontestable sont révolus et ne peuvent être rétablis ». L’empire américain est donc dans l’impasse : sa justification morale et politique de superviser un ordre mondial modelé selon ses normes est désormais au-delà de ses capacités (militaires ou financières).
Pourtant, ces « pathologies » originales intégrées au système ne veulent pas disparaitre. Aris Roussinos, éditeur chez Unherd note : « Alors que le mythe utile [de la diffusion de la démocratie s’est transformé en un] dogme, la croyance névrotique selon laquelle la fin de l’hégémonie américaine signifierait le retour de forces obscures s’est tellement enracinée qu’elle limite la capacité de l’Amérique à négocier en tenant compte de la réalité… En effet, il existe des indications inquiétantes selon lesquelles les dirigeants américains croient que la victoire leur est prédestinée, uniquement par ce qu’ils perçoivent de leur propre vertu morale : comme si les victoires de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide étaient fondées sur une idéologie correcte ».
Robert Kagan a récemment « mis le doigt » sur l’impasse : En l’absence du mythe autour duquel l’empire s’organise (maintenant que la démocratie américaine est ternie), la logique morale de toute l’entreprise commence à s’effondrer. Mais Kagan rajoute que l’empire est pourtant nécessaire pour préserver la « démocratie » chez nous : Une Amérique qui se retirerait de l’hégémonie mondiale ne posséderait plus non plus l’impulsion cohésive nécessaire pour préserver l’Amérique, en tant qu’idée, chez elle.
Les mots clés ici sont « les victoires étaient fondées sur une idéologie correcte ». Lors du procès de mise en accusation de Trump, les dirigeants Démocrates de la Chambre des Représentants ont invoqué à plusieurs reprises la menace que le président Trump faisait planer sur « notre démocratie ». La notion de menace envers « notre démocratie » comme argument politique est nouvelle. Elle est apparue récemment parmi les progressistes, devenant un terme courant de l’art politique. Le mot « notre » implique que pour être membre de « leur » démocratie, il faut partager leurs convictions. Si vous n’êtes pas dedans, vous êtes dehors. Et si vous n’en faites pas partie, ils peuvent vous poursuivre parce que vous êtes une menace pour la démocratie.
De plus, alors que Biden montrait, à Munich, sa fidélité au mythe de la diffusion de la démocratie, il a également mentionné la « 4IR » (la quatrième révolution industrielle, un terme très utilisé à Davos pour étayer leur plaidoyer en faveur d’un Grand Reset). Le gouvernement Biden affirme très clairement que le credo qui définit et distingue « notre démocratie » et qui exige la conversion de « notre » pensée et de « notre » action, est la poursuite de l’application des droits de l’homme (c’est-à-dire de la diversité des identités) au monde entier et un engagement primordial à remédier au changement climatique partout dans le monde. Les outils pour entreprendre cette mission rédemptrice impliquent que les États-Unis doivent commander la sphère numérique (et cybernétique), dominer dans l’espace, et assurer une primauté sans réserve des États-Unis sur la technologie de l’IA, en informatique quantique, en robotique, en impression 3D et sur la 5G.
Ainsi, « America is back », et le « Grand Reset » se déploie comme une vision grandiose, on dirait. Cela combine une approche de choc, presque guerrière, pour le développement des technologies de pointe, comme ce fut le cas pour le programme Apollo des années 1960, et pour faire du « climat » le thème central de toutes les sphères d’activité du gouvernement américain. Biden a promis de consacrer 2.000 milliards de dollars à la construction d’une infrastructure nationale « propre ». Cette somme s’ajoute aux 1.900 milliards de dollars du paquet « Stimmie » qui vient d’être adopté par le Congrès.
C’est plutôt simple. Mais il y a un revers à tout cela. C’est que l’administration Biden a précisément l’intention d’utiliser la politique de l’identité, la puissance numérique et cybernétique des États-Unis, les restrictions à l’exportation et à l’importation de technologies – et surtout la « crise climatique » – comme le moyen de réimposer la primauté des États-Unis dans un ordre mondial, avec sa « nouvelle vertu », axé sur le changement climatique.
Les États-Unis se proposent d’agir en tant qu’« exécuteur » mondial des mesures de réduction des émissions de CO2 et, à cet égard, Biden a l’intention de se concentrer tout particulièrement sur la Chine. Les pays qui refusent de réduire volontairement leurs émissions dans les proportions nécessaires devront être contraints de le faire. La logique est incontournable. Les sanctions américaines à l’ancienne seront maintenues, mais un nouvel échafaudage de taxes frontalières sur le CO2 et d’autres sanctions, ainsi que des sanctions autour des politiques identitaires (c’est-à-dire celles du « Woke »), seront ajoutés au panier.
La démocratie est toujours utilisée, comme un mantra nécessaire, mais il est maintenant largement admis qu’elle ne peut plus à elle seule soutenir l’exceptionnalisme américain. Les vrais croyants en « notre démocratie exceptionnelle » comprennent que lorsque Biden dit « l’Amérique est de retour », cela signifie, cette fois, pour « sauver la planète » et racheter notre comportement catastrophique (d’avant, du temps où on étaient dans le « pêché »).
Par conséquent, les décrets de Biden font du rejet de CO2 dans n’importe quel coin du monde un problème de sécurité nationale pour les États-Unis. La prochaine estimation des services de renseignement nationaux servira de base à l’utilisation des ressources de la communauté du renseignement et de l’appareil de sécurité nationale des États-Unis pour faire appliquer les politiques climatiques de l’administration à l’échelle mondiale.
En outre, Biden a souligné que, pour les États-Unis, le remplacement de toute l’infrastructure mondiale de combustibles fossiles par des technologies propres au cours des 30 à 40 prochaines années, ainsi que l’introduction d’un « système de coût social » basé sur l’attribution d’une valeur aux « dommages mondiaux » attribués à l’émission d’une quantité donnée de CO2, créeront un tout nouveau marché numérique pour les crédits d’échange de coûts sociaux et les débits de CO2 – et ce marché sera de dimensions colossales (dominé naturellement par les oligarques financiers américains).
Tout cela – la construction d’infrastructures « propres » et l’investissement technologique à la Apollo – implique un véritable tsunami d’argent magique émanant des imprimantes de la Fed. Les planificateurs de Biden pensent manifestement qu’ils peuvent faire d’une pierre deux coups : sauver l’économie en faisant « du gros » et « du chaud » (selon Yellen, la patronne du Trésor), et sauver la planète en même temps.
Sauver la planète représente, d’un côté, la « matraque » morale destinée à restaurer le leadership moral américain. Mais, d’autre part, elle donne un sens à cette intéressante phrase d’accroche utilisée par les militants américains lorsqu’ils parlent de sauver « notre démocratie » de ses menaces intérieures et extérieures. Il ne s’agit pas seulement de Trump. Il faut comprendre que ces convertis se sont engagés sur la voie ascendante de la « Route de pavés jaunes », avec Dorothée et ses amis (Tin Man et Scarecrow), en chantant joyeusement, alors qu’ils partent à la recherche de la magique Cité d’émeraude des merveilles technologiques – et là, bien sûr, ils vont rencontrer le Magicien d’Oz lui-même.
Le magicien a déjà prévenu nos trois amis (dans sa lettre ouverte de 2020) d’événements merveilleux à venir : Le monde est à la limite d’un « remaniement fondamental de la finance », prédit-il. Et oui, d’immenses quantités de capitaux financiers ont déjà été engagées parce que l’on s’attendait à des politiques climatiques radicales. Les émissions de CO2 sont en train d’être monétisées et une vaste machinerie financière est créée, liant l’évaluation des actifs à des paramètres tels que l’« intensité carbone » et les « indices de durabilité ». Jonathan Tennenbaum écrit :
Des projections d’ordre climatique sont intégrées dans les stratégies de risque à long terme et dans les structures de primes des compagnies d'assurance. Le volume du commerce du carbone croît de manière exponentielle et, avec lui, le marché des instruments financiers liés au climat tels que les obligations vertes (qui représentent déjà 500 milliards de dollars) et d'autres actifs dits "verts".
Dans le même temps, BlackRock, dont plusieurs dirigeants ont été nommés à des postes élevés au sein de l'administration Biden, a annoncé qu'il plaçait le changement climatique au centre de sa stratégie d'investissement pour 2021.
Le magicien, Larry Fink de Blackrock, exige que les entreprises lui fournissent des prévisions de création de valeur à long terme incluant un calcul de l’impact sociétal. On ne saurait trop insister sur l’importance de cette démarche. BlackRock a le poids nécessaire pour imposer cette vision. Fink énumère les questions qu’il demande aux entreprises dans lesquelles il investit de se poser :
Quel rôle jouons-nous dans la communauté ? Comment gérons-nous notre impact sur l'environnement ? Travaillons-nous à la création d'une main-d'œuvre diversifiée ? Nous adaptons-nous aux changements technologiques ? Offrons-nous les possibilités de formation dont nos employés et notre entreprise auront besoin pour s'adapter à un monde de plus en plus automatisé ? Utilisons-nous la finance comportementale et d'autres outils pour préparer les travailleurs à la retraite, afin qu'ils investissent de manière à atteindre leurs objectifs ?
Il n’est pas difficile de voir ce qui se passe ici, derrière le foulard du sorcier. L’oligarchie financière et bancaire américaine tire et pousse sur les leviers et fait tourner les cadrans pour se réinventer en tant qu’élite experte et avisée en matière de technologie. Fini le modèle classique d’investissement ; s’agit-il d’une proposition commerciale viable ; a-t-elle une plus-value réelle à offrir; y a-t-il une demande et la capacité de se la payer ?
Place aux mathématiques compliqués de calcul du risque, des crédits sociaux pour la mesure de la diversité et de l’inclusion, associés à des calculs des débits et des coûts de la dégradation de l’« environnement ». Et un marché dans lequel toutes ces variables, telles que le nombre de LBGTQ employés ou non, peuvent être évaluées, échangées, des contrats à terme achetés et vendus; les normes sociales traduites en une machine algorithmique à mouvement perpétuel.
Il s’agit d’une nouvelle économie. Une économie déjà incarnée par Tesla. Cette entreprise mise sur un piédestal ne tire en réalité aucun profit de ses voitures électriques. Un de ses principaux revenus provient de la vente de crédits de CO2.
Mais attendez, qu’en est-il des particuliers ? Les citoyens du pays qui refusent de modifier volontairement leur comportement environnemental ou social :
Seront-ils « annulés » ou contraints de modifier leur comportement également ? La phrase de Fink sur la nécessité d’utiliser le financement comportemental est très révélatrice : un système de crédit social est prévu. La logique est incontournable.
Une tornade a arraché Dorothy à sa ferme poussiéreuse du Kansas, pour l’emmener le long de la Route de l’espoir et ses pavés jaunes, puis jusqu’à la futuriste Cité d’émeraude, avant qu’elle ne rencontre enfin le Mage, qui s’expose inopinément comme étant un imposteur caché derrière le rideau, tirant frénétiquement sur les leviers pour empêcher la machine tourbillonnante et surchauffée de tourner de façon incontrôlée. Dorothy veut alors rentrer chez elle au Kansas et retrouver sa vieille ferme en bois familière, dans les plaines poussiéreuses du Kansas. Elle n’a pas changé, sauf que le vent est tombé. Et pour la plupart d’entre nous, « revenir à la maison » provoque un choc similaire – un ennuyeux retour aux vieux ponts défaillants, aux nids de poule sur la route, aux égouts et aux véhicules décrépits.
L’un des principaux participants au récent « Davos virtuel » a demandé si les projets 4IR et Reset n’étaient pas, en fait, une confusion entre la fin et les moyens. Le projet Reset semble plutôt porter sur les moyens de préserver la fortune du 0,1%, malgré son nouveau chapeau de vertu (c’est-à-dire sauver le monde). Tout doit être changé, en d’autres termes, pour que tout (et surtout les oligarques) reste les mêmes ? Et que l’Amérique reprenne les rênes du monde.
N’avons-nous pas oublié quelque chose, suggère l’orateur de Davos ? l’objectif ne serait-il pas plutôt les gens ?
Peut-être devrions-nous nous arrêter ici et rappeler que la mainmise des Démocrates sur le Congrès et le Sénat est ténue : une marge dérisoire, mince comme un rasoir.
L’électorat américain souhaite sortir de la crise de la Covid, une reprise économique et un retour à une certaine « normalité de vie » avant d’envisager tout changement radical, d’autant plus qu’il a été témoin que le surinvestissement dans les énergies renouvelables a conduit la Californie et le Texas au bord de l’effondrement, lors du récent gel. Et troisièmement, près de la moitié de l’électorat a voté pour Trump et contre le programme Woke, en particulier son programme de révolution de l’identité culturelle.
Dans l’ensemble, il n’y a probablement pas assez de « majorité » pour faire passer cette nouvelle version des 4IR – du moins pour l’instant. Les deux partis américains récupèrent, et bien que les hostilités aient pu s’apaiser quelque peu, la rhétorique des luttes est « loin d’être gagnées », elle ne l’a jamais été, des batailles vont encore advenir. La vieille ferme en bois de Dorothy au Kansas est toujours le point de repère de nombreux Américains. Il serait formidable qu’elle s’améliore un tant soit peu. La plupart n’espèrent qu’une vie normale.
Alastair Crooke
Note du Saker Francophone
Cette stratégie politique entraine aussi des conséquences indésirables sur le plan intérieur en ne faisant qu’accroitre les tensions entre Washington, le centre fédéral, et les États de l’union, comme le montre cet article : "Les procureurs généraux de 12 États américains ont intenté lundi une action en justice contre l'administration de Joe Biden après son décret de janvier qui prévoit notamment d'établir le "coût social" des gaz à effet de serre. Parmi les États qui poursuivent l'administration Biden figurent le Missouri, l'Arizona, l'Arkansas, l'Indiana, le Kansas, le Montana, le Nebraska, l'Ohio, l'Oklahoma, la Caroline du Sud, le Tennessee et l'Utah. L'action en justice est menée par le procureur général du Missouri, Eric Schmitt. ... Annonçant ce procès sur le "coût social" sur son compte Twitter, Schmitt a fustigé le décret de Biden en disant que c’était "un dépassement fédéral illégal"."
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