31 décembre 2019

Les nouveaux fermiers généraux


La grève se durcit

Les cheminots et les employés de la RATP ont débrayé depuis le 5 décembre maintenant, ce sont eux que l’on cite en premier car leurs actions se sont immédiatement traduites par des perturbations des transports en commun empruntés chaque jour par des millions de migrants en Ile de France pour accomplir le trajet domicile-travail.

D’autres secteurs sont entrés dans la contestation du projet de ‘réforme de la retraite’.


Les remorqueurs du port Marseille-Fos, les raffineries de pétrole, les enseignants de l’Éducation nationale, le personnel hospitalier, les syndicats des transports en commun de Nantes ont déposé un préavis de grève de 6 mois. Les danseurs et les musiciens de l’Opéra Garnier de Paris sont rentrés à leur tour dans la (f)ronde.

La prétendue universalité de la réforme retraite entend effacer les particularités des carrières que les régimes spéciaux tentent de réparer. Un égoutier exerce son métier dans des conditions d’insalubrité notoire, un rat de l’Opéra de Paris ne peut décemment pas travailler au-delà de 40 ans, un conducteur de train, ‘privilégié du rail’, accomplit sa tache selon des horaires qui l’empêche le plus souvent de regagner son domicile après sa mission…

Il n’est pas étonnant que la Commission européenne et le Medef soient les seules institutions à avoir félicité le gouvernement français de cette nouvelle audace de casse du système de protection sociale.

Pendant ce temps-là, les Fermiers Généraux poursuivent avec assiduité leur mission. Les centaines de haut-fonctionnaires du Ministère des Finances, inamovibles et non soumis aux lois de la flexisécurité, encore un oxymore dégainé par l’armée des communicants, sont payés d’un confortable salaire annuel de 330K euros.

Bercy vient de faire paraître cette semaine un décret qui réforme l’assurance-vie afin d’inciter les épargnants à prendre davantage de risques au travers d’un produit financier intitulé ‘eurocroissance’. L’autre raison de cette réforme est l’aide à apporter aux assurances qui ne gagnent pas assez en achetant des obligations émises par l’Etat français. En effet, ce type d’obligation estimée sans risque par le Marché a des rendements avoisinant le zéro, témoin par ailleurs d’une grande disponibilité monétaire facilitée par les Banques centrales qui continuent sans trop le dire à faire de l’assouplissement monétaire. L’assurance-vie est une épargne défiscalisée confiée à une banque ou une société d’assurance contre un taux d’intérêt, plusieurs produits financiers existent, ceux avec capital garanti moins rémunéré que ceux à capital risqué mais plus grande rentabilité lié à un risque plus grand.

Redisons le schéma fonctionnel

L’État s’endette, – en grande partie parce qu’il renonce à des ressources fiscales comme le CICE, l’ISF et l’absence de volonté de débusquer les évasions et les excessives optimisations fiscales, – émet alors des obligations achetées par ceux-là même à qui profite les optimisations fiscales, la BNP est championne de ce type d’exercice. L’État, fort généreux, est soucieux des intérêts de ses créanciers qui ne s’enrichissent pas assez à ses dépens. Il va encourager les épargnants à drainer leurs économies vers des produits financiers risqués dissimulés dans les portefeuilles d’assurance-vie. Mieux, Bercy autorise l’intégration de la provision pour participation aux bénéfices des épargnants qui ont souscrit et qui est leur propriété dans le calcul des ratios prudentiels comme si ces fonds destinés à être distribué aux assurés devenaient un fonds propre des assurances. L’un des produits financiers qui va être relancé dans cette optique de favoriser la canalisation de l’épargne des particuliers, le Plan Epargne Retraite (PER) est un produit phare. Un encours de 300 milliards est escompté d’ici 3 ans contre 230 milliards actuellement. Ce sont 70 milliards qui auront été soustraits au système de retraite de base par répartition.

Une part proviendra sans doute de la part qui ne sera plus versée par les 300 000 cadres qui gagnent plus de 120 000 euros par mois au régime de base comme le prévoit la réforme Delevoye.

C’est suffisamment classique pour que l’on n’y insiste pas. On organise le déficit et le dysfonctionnement et on applique ensuite la volonté des commanditaires, ici les banques et les assurances, à savoir privatiser ce qui est un bien commun. L’épargne des travailleurs leur sera ravie pour alimenter les activités spéculatives boursières qui valorisent les actions des entreprises qui licencient et délocalisent, donc qui restreignent la part du PIB affectée au travail. 

La réforme de Reagan

La caisse de retraite et de veuvage OASDI créée en 1935 par Roosevelt pour les travailleurs du privé puis complétée en 1956 par une assurance-invalidité et progressivement rejointe par d’autres catégories de travailleurs (en particulier les salariés de l’Etat fédéral et les travailleurs indépendants) a été fondée sur le principe de la répartition.

Dans les années soixante-dix, elle a connu un problème de déficit primaire, les cotisations sont devenues moins importantes que les prestations versées de sorte que le fonds de réserve jusque-là excédentaire a été mis à contribution. La très forte inflation de l’époque (à deux chiffres) l’avait mise à mal car les pensions versées étaient indexées sur l’inflation en plus de l’être sur le salaire moyen. Les conditions économiques avec un fort taux de chômage rendaient plus difficile le retour à l’équilibre du régime de l’OASDI. Reagan nomme une commission nationale de réforme de la Sécurité Sociale présidée par Allan Greenspan qui va émettre des recommandations. Il en a résulté en 1983 une loi la ‘Social Security Act’.

La première mesure adoptée fut l’augmentation du taux des cotisations passé de 10,16 % en 1980 à 11,4% en 1986. Au 1er janvier 2019, ce taux s’élevait à 12,4% du salaire jusqu’au plafond annuel de 132 900 US$. Le taux global est réparti à part égale entre salarié et employeur c’est-à-dire 5,7%. Il y a eu aussi un recul progressif de l’âge de la retraite, passée de 65 ans à 67 pour la génération née après 1960. Les pensions très élevées sont soumises à un impôt fédéral reversé au fonds de réserve de l’OASDI ce qui constitue 3,1% des recettes et caractérise une solidarité des plus favorisés en faveur des petits cotisants.

Ainsi le parangon de la révolution conservatrice, celui qui allait donner l’exemplarité au monde et initier la baisses des impôts, la réduction des dépenses publiques et l’augmentation du budget militaire, avait opté pour le maintien d’un système de retraite par répartition en augmentant les cotisations et en élargissant le principe de solidarité. A aucun moment il n’a été question dans ce régime de revenir sur une de ses caractéristiques importantes. Le fonds de réserve est affecté à l’achat d’obligations émises par l’Etat fédéral avec deux avantages, la stabilité du capital investi garanti par l’Etat, un rendement moins attrayant que ceux proposés par les hedges funds mais conséquent 0,8 point de PIB dans les années 2000. Le déficit primaire, moins de cotisations que de pensions versées, est largement compensé par les intérêts versés par le fonds de réserve.

Contrastant avec la relative bonne santé du OASDI, les fonds de pension des collectivités locales et des États, très engagés dans le marché boursier et les capitaux à risque non conventionnels, sont sous-provisionnés et risquent à tout moment l’effondrement. En raison de règles prudentielles laxistes, le déficit de couverture des engagements atteindrait 3000 milliards de dollars. De nombreux États risquent d’être en défaut de paiement pour 2020. Calpers, le fonds de pension des fonctionnaires californiens, gros de 300 milliards de dollars de capitaux a renoncé à investir dans les hedge funds depuis 2014. Cependant, Calpers figure parmi les fonds sous-capitalisés à moins de 70% de leurs engagements et il est question de régler son déficit en ayant recours à l’impôt. 

Une réforme des retraites accomplie et fort méconnue

A la fin des années 1980 a été adoptée la loi de désindexation des pensions par rapport aux salaires moyens. Le principe de la revalorisation des pensions a été introduit par une loi du 23 août 1948 pour éviter une perte de pouvoir d’achat en raison de l’inflation. Les dispositifs législatifs encadrant cette revalorisation ont fluctué au cours du temps. La revalorisation des pensions était effectuée par application de coefficients fixés par arrêté ministériel après consultation du Conseil supérieur de la SS jusqu’en 1986. De 1986 à 1992, l’indexation a été fixée par la loi. Depuis 1993, les revalorisations ont été déterminées par arrêtés sauf entre 1999 et 2003 où elles ont été décidées par les lois de financement de la Sécurité sociale.

A côté de la variabilité juridique de la revalorisation, le coefficient de revalorisation a également évolué pour l’indice de référence qui servira au calcul des pensions et la période de référence où cet indice sera appliqué. Derrière l’aspect technique se cache une véritable philosophie politique d’une redistribution de la croissance et des gains de productivité.

Jusqu’à 1987, le coefficient est établi selon l’évolution du salaire moyen compris comme le rapport de la masse salariale sur l’effectif des salariés. Le mode de calcul de l’indice de référence a beaucoup évolué. A partir de 1965, c’est le montant moyens des indemnités journalières de l’assurance maladie servies au cours de l’année écoulée qui servait de base de calcul. A partir de fin 1982 le salaire moyen plafonné des assurés sociaux disparaît comme référence de salaire moyen pour être remplacé par le salaire brut moyen annuel versé par les entreprises non financières et non agricoles. En raison d’une imprécision sur la manière de déterminer l’évolution du salaire brut par tête, le Conseil d’Etat invalide l’arrêté de revalorisation de 1986.

Entre 1987 et 1992 est appliquée une revalorisation qui tient compte de l’évolution des prix et non des salaires moyens sans que soient explicités les modalités de calcul par rapport à l’évolution prévisionnelle des prix à la consommation. Un rapport de la Cour des Comptes de juillet 1992 met en évidence que l’évolution des pensions est inférieure à celle des salaires qu’à celle des prix. La loi portant sur la réforme des retraites en 2003 prévoit que le coefficient annuel de revalorisation soit fixé par arrêté, conformément à l’évolution prévisionnelle des prix hors tabac.

Cette désindexation des pensions par rapport au salaire moyen a diminué les pensions, plus la croissance est importante, plus le niveau relatif des pensions décroît.

Patatras ! Août 2018, le gouvernement Macron annonce une désindexation des retraites par rapport à l’inflation après que les retraités aient subi une hausse de la CSG de 1,7%. Les pensions des régimes de base ne progresseront que de 0,3% en 2019 et 2020 comme les aides personnalisées au logement et les aides familiales. Les retraités vont perdre entre 1 à 2,5% de leur revenu nominal grâce à cette opération.

Lors du « Grand Débat », cette succession de monologues ininterrompus qui ont duré des mois, Macron a promis de revenir sur une réindexations des pensions de moins de 2 000 euros sur l’inflation. Aucun décret d’application n’est paru.

Les Gilets Jaunes et la montée de la contestation sociale

Une fois quasiment passée cette nouvelle réforme des retraites qui fera perdre en 10 ans aux pensionnés entre 20 % à 25 % de leur pouvoir d’achat et sûrs de leur pouvoir de manipulation par une communication bien orchestrée, les petits soldats de la contre-révolution néo-libérale, Monarc 1er en tête n’ont pas compris le refus quasi-unanime de cette nième amputation des retraités de leur rente. Les syndiqués sont sortis de la léthargie dans laquelle les avaient plongés leurs directions au nom ‘du dialogue social’ c’est-à-dire de la coopération de classe.

Pour beaucoup, ils manifestaient aux côtés des Gilets jaunes qui semaine après semaine ont aiguisé leurs arguments et leur manière de les exprimer. Blocages et manifestations sauvages. Ils ont compris au fil des répressions et du traitement médiatique de leur mouvement que sans blocage économique du pays par une grève reconductible des principaux secteurs d’activité, leurs demandes d’égalité, de justice sociale, de démocratie directe et de préservation des biens publics resteraient sans réponse. Les décisions de reconduction et d’élargissement des grèves se prennent en Assemblées générales locales souvent en lien avec des coordinations régionales ou nationales, elles outrepassent les directions contraintes de suivre l’élan général.

Nous assistons à une véritable extension de la lutte, le minimum exigé est le retrait total et sans discussion de la refonte du régime des retraites. Mais aussi il est demandé une revalorisation des salaires, l’arrêt des privatisations, une réforme hospitalière qui ne consiste pas à une simple suppression des moyens et des lits, une prise en compte de la difficile fonction d’enseignant face à des classes bondées et un travail administratif chronophage et absurde.

Les gabelous qui sont à la manœuvre au Ministère des Finances ont déjà décidé de l’affectation des milliards soustraits au régime général, assurances-vie, Plan Epargne Retraite et nouveaux produits financiers dédiés à l’euro-croissance alors que démonstration est faite par la quasi-faillite des fonds de pension des États des Usa que ce type d’investissement est exposé à des pertes certaines en raison de la crise financière qui couve. Les travailleurs maintenant solidaires ne veulent plus qu’on leur fasse les poches éhontément. À la SNCF, ils le veulent d’autant moins que la nouvelle direction importe des banquiers dans l’entreprise pour réaliser une refonte de l’entreprise et ouvrir l’accès à des actionnaires privés dans la filière ‘gares’. Bientôt, les gares, outre d’être des lieux où se rencontrent des ‘gens qui ne sont rien’, ne seront qu’un prétexte pour créer des galeries marchandes avec les mêmes enseignes redondantes que celles croisées dans les rues et boulevards de toutes les villes.

Un avantage considérable est à mettre sur le compte de cette révolte sociale, la répression policière n’est plus cantonnée aux ‘quartiers défavorisés’ montrant que la milice du Kapital porte ses balles de LBD là où le système est en péril. Les indigénistes n’ont plus l’espace médiatique pour faire état de leur raison d’être, une micro-lutte ‘racialiste’ fragmentant en fait le champ social.

La tâche urgente consiste maintenant à se débarrasser du gouvernement des banquiers et des assureurs qui ont une telle emprise sur nos vies.

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