« Du vent ». C’est ainsi que les urgentistes en grève ont qualifié le plan présenté par la ministre de la santé le 9 septembre. À des services au bord de l’implosion elle propose une enveloppe rachitique, ponctionnée sur d’autres secteurs, eux-mêmes en difficulté. Faut-il dès lors parler de « crise » de l’hôpital ou de « casse » — un projet de longue haleine visant à livrer une institution emblématique au privé ?
Chamonix, 1er octobre 2016. Il fait très beau. Comme tous les ans, le gratin des décideurs politiques, administratifs et industriels de la santé se réunit à l’occasion de la Convention on Health Analysis and Management (CHAM). Un pince-fesses où, sous la houlette de M. Guy Vallancien, ex-conseiller santé de M. Nicolas Sarkozy et professeur d’urologie à l’Institut mutualiste Montsouris, on devise sur l’avenir du système de santé. En un mot, s’il existait un Medef (Mouvement des entreprises de France) de la santé, ce serait son université d’automne.
Le dispositif scénique du centre des congrès évoque celui d’une salle de boxe. Au milieu, la scène rectangulaire ressemble à un ring, éclairé par de puissants spots ; tout autour, des sièges confortables sont disposés pour l’assistance. Cependant, la comparaison s’arrête là. Il suffit d’écouter, par exemple, M. Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale devenu chantre du transhumanisme, échanger avec l’écrivain Erik Orsenna comme on le ferait dans un dîner mondain, mêlant considérations philosophiques stratosphériques et blagues réservées aux happy few, pour comprendre que de combat, et même de débat, il n’y aura point. En fait, ce petit monde est d’accord sur à peu près tout. Les rares questions posées le sont par le Monsieur Loyal de la table ronde — toute intervention du public est exclue — et invitent généralement les orateurs à approfondir des points sur lesquels le gouvernement a encore le culot de résister. Du reste, en cet automne 2016, l’essentiel se passe ailleurs : autour du buffet ou dans les restaurants chics alentour. C’est là que, en petits groupes, les industriels de la santé, instances organisatrices, défendent auprès des décideurs publics leurs solutions pour résoudre l’éternelle « crise du système de santé ».
Sur les pentes de la bourgeoise station de ski, le « trou de la Sécu » ne fait pas partie des préoccupations. La croissance des dépenses de santé n’est pas un problème tant qu’il ne s’agit pas de dépenses publiques — (...)
Frédéric Pierru
(1) L’auteur de ces lignes était présent en 2016 à Chamonix (en ethnologue). On peut voir l’intervention de M. Macron sur le site de la CHAM.
(3) Cf. Jean-Jacques Tanquerel, Le Serment d’Hypocrite. Secret médical : le grand naufrage, Max Milo, Paris, 2014.
(4) Instauré en 1971, le numerus clausus vise à limiter le nombre d’étudiants dans divers domaines de la santé (médecine, pharmacie...).
(5) Cf. Pierre-Louis Bras, « Les Français moins soignés par leurs généralistes : un virage ambulatoire incantatoire ? », Les Tribunes de la santé, n° 50, Saint-Cloud, 2016.
(8) Cf. André Grimaldi (sous la dir. de), Les Maladies chroniques. Vers la troisième médecine, Odile Jacob, Paris, 2017.
(9) France Inter, 14 février 2018.
(10) Entretien avec Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, Mediapart - BFM TV, 15 avril 2018.
(11) Pierre-Louis Bras, « L’Ondam et la situation des hôpitaux depuis 2009 », Les Tribunes de la santé, n° 59, 2019.
(12) « Anticancéreux : prix extravagants », Prescrire, n° 342, Paris, avril 2012.
Le dispositif scénique du centre des congrès évoque celui d’une salle de boxe. Au milieu, la scène rectangulaire ressemble à un ring, éclairé par de puissants spots ; tout autour, des sièges confortables sont disposés pour l’assistance. Cependant, la comparaison s’arrête là. Il suffit d’écouter, par exemple, M. Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale devenu chantre du transhumanisme, échanger avec l’écrivain Erik Orsenna comme on le ferait dans un dîner mondain, mêlant considérations philosophiques stratosphériques et blagues réservées aux happy few, pour comprendre que de combat, et même de débat, il n’y aura point. En fait, ce petit monde est d’accord sur à peu près tout. Les rares questions posées le sont par le Monsieur Loyal de la table ronde — toute intervention du public est exclue — et invitent généralement les orateurs à approfondir des points sur lesquels le gouvernement a encore le culot de résister. Du reste, en cet automne 2016, l’essentiel se passe ailleurs : autour du buffet ou dans les restaurants chics alentour. C’est là que, en petits groupes, les industriels de la santé, instances organisatrices, défendent auprès des décideurs publics leurs solutions pour résoudre l’éternelle « crise du système de santé ».
Sur les pentes de la bourgeoise station de ski, le « trou de la Sécu » ne fait pas partie des préoccupations. La croissance des dépenses de santé n’est pas un problème tant qu’il ne s’agit pas de dépenses publiques — (...)
Frédéric Pierru
(1) L’auteur de ces lignes était présent en 2016 à Chamonix (en ethnologue). On peut voir l’intervention de M. Macron sur le site de la CHAM.
(3) Cf. Jean-Jacques Tanquerel, Le Serment d’Hypocrite. Secret médical : le grand naufrage, Max Milo, Paris, 2014.
(4) Instauré en 1971, le numerus clausus vise à limiter le nombre d’étudiants dans divers domaines de la santé (médecine, pharmacie...).
(5) Cf. Pierre-Louis Bras, « Les Français moins soignés par leurs généralistes : un virage ambulatoire incantatoire ? », Les Tribunes de la santé, n° 50, Saint-Cloud, 2016.
(8) Cf. André Grimaldi (sous la dir. de), Les Maladies chroniques. Vers la troisième médecine, Odile Jacob, Paris, 2017.
(9) France Inter, 14 février 2018.
(10) Entretien avec Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, Mediapart - BFM TV, 15 avril 2018.
(11) Pierre-Louis Bras, « L’Ondam et la situation des hôpitaux depuis 2009 », Les Tribunes de la santé, n° 59, 2019.
(12) « Anticancéreux : prix extravagants », Prescrire, n° 342, Paris, avril 2012.
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