Il y actuellement deux fronts pressants et essentiels sur lesquels s’affrontent les pays européens, dans une atmosphère de crise épique qui concerne en premier lieu, du point de vue chronologique comme du point de vue du fondement, la position interne de Merkel, son possible/probable départ très rapidement, avec la possible perspective de nouvelles élections allemandes qui ne feront qu’aggraver encore la crise intérieure du pays prétendant assumer le leadership européen. (Et l’Europe avec lui, certes.) La situation française, moins tendue à cet égard, n’est en général pas plus brillante pour qu’on puisse imaginer une seule seconde que Macron puisse agir sans Merkel ; bref, le duo Merkron qui prétend régenter et réformer l’Europe rassemble à l’idylle en phase terminale d’un éclopé et d’une paralytique...
• Il y a une lettre du ministre hollandais Wopke Hoekstra adressée au président de l’Eurogroupe dont le Financial Times a eu un exemplaire en copie conforme, qui expose une opposition complète à la réforme de la zone euro proposée par Macron et acceptée par Merkel, – essentiellement parce que la chancelière est actuellement dans une si faible position intérieure qu’elle a besoin d’une aide extérieure pour la renforcer. On voit que le couple Merkron n’est pas précisément guidé par le simple amour des mêmes entreprises dans leur désir de relancer le processus européen vers plus de fédéralisation.
Hoekstra parle dans sa lettre au nom de onze ministres des Finance en plus de son propre nom sien, ce qui nous conduit à une coalition de douze pays opposés au plan franco-allemand : l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg, la Suède, le Danemark, la Finlande, l’Irlande, les trois pays baltes, Malte, et bien sûr la Hollande.
« “There was clearly no consensus on starting to explore options” at Thursday’s meeting of finance ministers, the Dutch finance minister said in the letter, adding there was also no agreement to start exploring the use of a financial transactions tax to finance it.
» And the punchline: the letter was written by the Dutch finance minister on behalf of Belgium, Luxembourg, Austria, Sweden, Denmark, Finland, Latvia, Lithuania, Estonia, Ireland and Malta. The simple math : 2 vs 12,and it is safe to say that the rest of the eurozone is not aligned with France and Germany either.
» It gets better : according to the FT, the 12 countries expands a coalition called the “Hanseatic League” (a reference to the commercial and defensive confederation of merchant guilds and market towns in Northwestern and Central Europe, which in the late 1100s, grew from a few North German towns to dominate Baltic maritime trade for three centuries along the coast of Northern Europe), an initial group of eight smaller fiscally conservative countries, which have insisted on more national responsibility to solve economic problems in the eurozone... »
• Le deuxième “front”, on le connaît : celui de la crise migratoire. On connaît cette situation menaçant directement Merkel qui a besoin d’un accord européen radical pour tenter de désamorcer l’hostilité de son ministre de l’Intérieur et chef du CSU. Les derniers échos européens, où un autre “bloc” de six pays s’oppose à une politique européenne qui leur imposerait des migrants (et soulagerait Merkel) ne sont pas très enthousiasmants, selon l’aveu de Merkel elle-même, qui se trouvait hier à Beyrouth. Elle a constaté qu’il était pour l’instant difficile de penser renvoyer les migrants syriens dans leur pays (elle aurait pu le deviner de Berlin) et constaté qu’il n’y avait pas de véritable “percée” européenne envisageable (notamment au sommet européen du 29-30 juin) tandis que l’Italie ne cesse de réaffirmer son opposition à tout arrangement qui l’amènerait à recevoir de nouveaux migrants. On en est donc à attendre un nouveau “miracle Merkel” comme seule alternative à sa démission et à de nouvelles électionsen septembre.
• ... Au fait, hier ont été complétées les premières mesures de rétorsion contre les USA qui vient d’imposer des mesures protectionnistes conséquentes. Car, bien entendu, la “guerre commerciale” dont tout le monde craigne qu’elle n’éclate a déjà commencé. Il est dit que certains pays européens tentent d’envisager des accord bilatéraux avec les USA, qui leur éviteraient d’être impliqués dans la guerre de bloc à bloc. Qu’importe ces diverses hypothèses, reste le constat d’une situation crisique très préoccupante de plus, à la fois du “bloc transatlantique” et de l’Europe-UE elle-même.
La situation générale se présente ainsi sous la forme de plusieurs crises paralysantes sur des sujets très différents, ce qui implique non pas une Europe coupée en deux blocs, mais une Europe morcelée en différents blocs ou groupes de constitutions variables, avec comme seule dynamique “unitaire” la montée d’une contestation virulente contre la prétention des deux pays qui se jugent eux-mêmes comme destinés à assumer la direction de l’Europe-UE ; ces deux “grands” étant eux-mêmes dans des situations générales assez ou très fragiles sinon franchement crisiques c’est selon, et avec à l’intérieur de chacun d’eux une forte composante populiste qui ne cesse de se renforcer et qui, si elle ne l’est déjà, peut devenir anti-européiste d’un jour à l’autre selon les circonstances.
Il s’agit de deux processus parallèles qui se développent en s’alimentant l’un l’autre, avec le mélange confrontationnel d’apport de la crise générale de l’alliance transatlantique (bloc-BAO), les positions divergentes de plus en plus radicales entre des États-membres, des sujets très différents et extrêmement polémiques qui sont en débat, et enfin des fractures internes aux États-membres eux-mêmes trouvant des renforcements dans le fait que les thèmes crisiques sont également transnationaux. Les deux processus sont à la fois déstructuration et dissolution :
• Une déstructuration de l’Europe-UE elle-même, accélérée par la déstructuration de l’alliance transatlantique qui était jusqu’alors le ciment extérieur fixant sous la poussée puissante des USA le maintien de la cohésion européenne. Cette déstructuration touche principalement les États-membres, avec d’autant plus de facilité que les États centraux qui dominent, pour le cas actuel la France et l’Allemagne, se trouvent dans des difficultés internes qui les empêchent d’affirmer toute leur puissance.
(La crise allemande, installée en 2015 avec la décision de Merkel face à la crise migratoire, et accélérée depuis par les élections de septembre 2017 mais aussi par l’inimitié affichée et catastrophique entre Merkel et Trump, est à cet égard l’événement fondateur de la phase aiguë actuelle du tourbillon crisique qui secoue l’Europe. Les Allemands sont en train de détruire, par leurs tourments internes, la puissance hégémonique qu’ils avaient installée sur l’Europe avec la mise en place de l’euro à leurs conditions et la “domestication” des tendances souverainistes françaises.)
• Une dissolution de l’unité européenne, ou de l’“idée européenne” si l’on veut cette formulation plus noble et très avantageuse, accompagne cette déstructuration, produisant par effets de l’évidence du vase communiquant le resurgissements des identités nationales sous des formes plus ou moins cohérentes. Cette dissolution de l’unité européenne frappe de plein fouet les institutions européennes qui sont en train de perdre toute la puissance et l’autorité bureaucratique qu’elles avaient acquises depuis 1985-1992 (Acte Unique et traité de Maastricht). Les institutions européennes sont particulièrement absentes dans la phase actuelle, notamment dans la querelle transatlantique, alors qu’elles étaient très présentes dans les crises de l’Ukraine (négociations-ultimatum de novembre 2013 conduisant au “coup de Kiev” de février 2014) et de la Grèce (toutes les négociations passaient nécessairement par les organes institutionnels européens, qui y jouèrent un rôle majeur). C’est là typiquement un processus de dissolution d’une puissance jugée jusqu’alors à la fois essentielle et impossible à affaiblir ou à annihiler. La chose jugée “essentielle et impossible à affaiblir” est en train de se passer parce que ces institutions sont en-dehors de toutes les dynamiques fondamentales, parce qu’il leur manque tragiquement le facteur d’un poids et d’une force irrésistibles de la légitimité que seul donne le principe de la souveraineté.
Les données du “problème européen”, ou plus justement dit évidemment de “la crise européenne”, se sont formidablement déplacées ces deux-trois dernières années. Les acteurs nationaux ont pris le pas sur les facteurs transnationaux, jusqu’à renverser la situation en faisant des seules “structures” transnationales (les eurosceptiques, les souverainistes, etc.) un moyen pour les affirmations nationales. En un sens, la question de la forme d’unification européenne choisie et développée est en train d’obtenir sa réponse par sa dissolution. Cela ne signifie en rien, en aucune façon, que la crise européenne (voire la crise transatlantique) soit/sont résolues, ou plus facile(s) à résoudre ; cela signifie que la situation crisique européenne a complètement changé de visage...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.