21 mai 2018

Éloge de l’incertitude


La situation internationale est aujourd’hui marquée par un caractère essentiel et fondamental : l’incertitude, qui entraîne nécessairement l’imprévisibilité. Pour notre compte, ce n’est pas une nouveauté, mais ce l’est manifestement pour nombre de nos dirigeants. Ainsi le président de l’Union Européenne, le Polonais Donald Tusk, disait-il jeudi à la réunion de l’UE de Sofia, ajoutant à notre constat celui du paradoxe que constitue la source de cette imprévisibilité :

« On a souvent dit que le problème avec l'Iran, dans le passé, et peut-être aujourd'hui et demain, est l'imprévisibilité. Mais je pense que le vrai problème géopolitique, ce n'est pas que nous avons un adversaire imprévisible, le problème est que notre ami le plus proche est imprévisible. Ce n'est pas une plaisanterie, c’est l’essence même de notre problème présent, et il se situe de l’autre côté de l'Atlantique. »

... Cela ajoute une donnée supplémentaire à la marque essentielle de la situation actuelle : l’imprévisibilité certes, mais en plus, dont la source principale se trouve à Washington D.C. Là aussi, nous ajouterons que ce n’est pour nous, en aucun cas, ni une découverte ni une nouveauté, encore moins une surprise... Trump a toujours été, pour nous répétons-le, dans la vertu que nous lui prêtions et le soutien que nous lui apportions dans nos écrits, uniquement un agitateur des vices du Système, un facteur de désordre dans l’arrangement ordonné de la corruption, et nullement un réformateur des vices et de la corruption du Système dont il est lui-même un représentant assez original.

Nous traversons une période fertile en crises de toutes sortes, – bien qu’il ne s’agisse pas d’une période exceptionnelle mais d’une phase de plus dans l’accumulation de crises qui naissent et se développent dans la dynamique du tourbillon crisique, et qui s’alimentent les unes les autres. Toutes ces crises en cours ont des aspects variés, parfois paradoxaux, tenant à la nature de l’exceptionnelle et étrange période que nous vivons ; elles sont à la fois explosives, complexes dans leurs causes autant que dans leurs effets, touchant nombre d’acteurs actifs et passifs, enfin tellement immergées parfois jusqu’au risque de la noyade dans le système de la communication qu’elles se révèlent souvent, temporairement, dans des phases très actives, comme de complets simulacres, – souvent avant de redevenir tragique... Toutes, elles méritent amplement de figurer dans la catégorie de la “tragédie-bouffe” qui semble du point de vue de l'action humaine la marque de fabrique de tous les évènements aujourd’hui.

Enfin et en nous référent à ce mot “de l'action humaine”, il nous semble essentiel d’ajouter, comme nous ne manquons jamais de le faire pour l’une ou l’autre lorsque nous en traitons séparément, que les comportements des acteurs humains de ces crises ne suffisent pas, et de beaucoup, à expliquer tous les aspects et toutes les péripéties de ces crises. Il nous semble effectivement que les évènements agissent d’eux-mêmes et produisent leurs propres dynamiques, hors de l’influence humaine, souvent d’une façon décisive. Le résultat est que le champ de ces crises échappe également et presque ttalement à la maîtrise des acteurs humains et touchent des domaines et d’autres acteurs inattendus, d’une façon également inattendue. L’imprévisibilité dénoncée plus haut d’un des acteurs d’une de ces crises est en fait un caractère général affectant ces crises, qui impliquent l’incontrôlabilité : l’acteur en question (le président Trump), au lieu d’être un “accident” comme en jugent les dirigeants européens, est en fait l’acteur le plus logique, le plus conforme, le plus “en phase” avec la couleur des temps et avec la fureur de l’époque.

Actuellement on peut dénombrer au moins quatre crises majeures dans cet ensemble du tourbillon crisique, en plein développement dynamique. On retrouve dans chacune d’elles ces caractères de l’imprévisibilité et de l’incontrôlabilité que l’on a mentionnés.

Parlons d’abord de la Syrie. On connaît la situation dans cette crise, – et par ce mot “on connaît”, nous ne voulons pas, on l’a compris, signifier une seconde : “on comprend”... En fait d’“imprévisibilité”, c’est-à-dire du désordre complet de la perception de la situation si l’on veut une définition plus sophistiquée, on en arrive au paradoxe complet de la prévision régulière d’évènements faussaires dont on pourrait penser qu’ils relanceraient la crise sur des bases encore plus fausses, d’un simulacre qui ne cesse de se renforcer... Ainsi peut-on lire dans Strategic-culture.org du 15 mai 2018 une longue analyse, avec des noms d’opérateurs donnés, les lieux impliqués, peut-être touchant même des forces US, d’une prochaine fausse attaque chimique (falseflag) pouvant justifier une attaque de “riposte” contre ls forces syriennes et autres... L’imprévisibilité se retourne ainsi complètement en fournissant une prévision d’actes faussaires qui constituent eux-mêmes des facteurs brouillant toute possibilité de prévision rationnelle-raisonnable.

(Il faut rappeler que la plus récente “attaque chimique”, celle du 7 avril, montage complet sans démonstration nécessaire ni nécessité de la preuve sinon l'observation du bon sens, avait été annoncée, un mois à l’avance, par le chef d’état-major de l’armée russe, le général Gerasimov, à son collègue US, le général Dunford.)

• Le traité JCPOA et l’Iran. La crise était attendue, écrite, évidente pour tous, et pourtant elle constitue un coup de tonnerre formidable et ouvre d’énormes voies de querelles “secondaires” (dans le sens d’“indirectes”, et nullement de moindre importance). La décision américaniste touche particulièrement les relations transatlantiques pour les raisons que tout le monde connaît sans qu’on sache comment cette “crise dans la crise” va pouvoir évoluer. L’intérêt de la crise iranienne par rapport à ses effets sur les relations transatlantiques, c’est qu’elle constitue une tension durable qui va exacerber les désaccords et les rancunes. Nous ne sommes certainement pas là pour donner un pronostic, – les Européens s’opposeront aux USA (s’ils le peuvent) ou ils “se coucheront”, – parce qu’une telle démarche n’a aucun intérêt pour nous (c’est la base de la réflexion qui suit, ci-dessous) ; ce qui nous intéresse, et nous réjouit certes, c’est bien la situation de “discorde chez l’ennemi”, — mésentente, récriminations, absence de confiance, etc. Il s’agit de l’image fameuse des “termites qui minent le Système”, et une seule chose compte, et c’est Delenda Est Systemum...

La Corée du Nord. Cette crise présente une certaine similitude chronologique avec la crise iranienne, dans le chef de l’interventionnisme américaniste. C’est à la même époque que les deux pays ont été fixés dans une trajectoire menant à leurs crises respectives par l’intervention américaniste : en 1953, la Corée du Nord, écrasée comme peu de pays le furent par les bombardements US, fut fixée dans sa position actuelle par l’armistice de Pan Mun-jom qui amena l’installation d’un état de “paix froide”, lequel permit l’installation sans limitation de durée en Corée du Sud d’un contingent important des forces armées US dotées d’armes nucléaires et tenant une position stratégique vis-à-vis de la Corée du Nord et de la Chine communiste. De même, c’est en 1953 que la CIA liquida la démocratie iranienne au profit du Shah avec l’avatar inattendu de la liquidation du régime du Shah par les religieux chiites conduit par l’ayatollah Khomeini. (« Nous n’avions pas prévu qu’un vieillard de 80 ans pourrait susciter une telle force populaire qui renverserait le régime », reconnut l’amiral Stansfield Turner, directeur de la CIA, le 1er mars 1979, lors d’une conférence dans une université.) Pour l’instant, la crise nord-coréenne dépend dans son développement du sommet Kim-Trump du 12 juin dont l’enjeu est de savoir si les USA imposeront ou non “le modèle libyen“ à la Corée du Nord. Toute la région sera affectée dans un sens ou l’autre par les prolongements de cette crise.

Le pouvoir américaniste. La crise se poursuit à Washington D.C./“D.C.-la-folle”. La fable le plus drôle du temps présent est que Trump serait un “accident” et que, lorsqu’il aura terminé son temps, démocratiquement, destitutionnellement, ou qui sait par quelque autre voie plus excitante, alors “tout redeviendra comme avant”. On dirait du Disney du temps de Cendrillon qui se serait égaré dans le labyrinthe à la suite d’Alice au pays des merveilles. Trump a révélé le système de l’américanisme à lui-même et tel qu’en lui-même, sans fard ni lifting, et le Système soi-même par conséquent... Comme nous l’écrivions :

Le 16 mai 2018 : « Les Européens ne semblent pas avoir compris que ce qui s’est passé à Washington ne concerne pas un homme comme seule cause, mais cet homme comme symptôme et détonateur, sinon “démonstrateur”. Trump est une conséquence, pas une cause... »

Le 17 mai 2018 : « [...Son]affection n’a rien pour faire crier à l’accident catastrophique comme geignent nos excellences européanistes : Trump présente tous les symptômes de l’américanisme, mais poussé à l’excès et à l’extrême, sans le moindre frein. Avec lui, le roi (l’américanisme) est nu... [...] Trump est le meilleur bateleur de l’américanisme, mais sans doute a-t-il le défaut de l’être un peu trop, – et vraiment, avec lui le roi est nu jusqu’à nous montrer ses moindres orifices... »

Rien d’assuré ne peut être dit dans aucune de ces crise quant à leur développement, à leur issue. Dit autrement, on dira que tous les prolongements et issues sont possibles et les experts s’emploient évidemment à les examiner. La tendance générale de l’expertise la plus répandue et favorisée par la presseSystème, disons l’expertise-Système, est d’envisager la poursuite, éventuellement avec l’aide de certaines évolutions, de situations favorables au bloc-BAO et aux USA ; cela, cette sorte de prospectivisme, par inclination idéologique autant sinon plus que par conservatisme figée de la pensée (l’un complétant l’autre, le renforçant, s’y mélangeant étroitement). La vision contraire, qu’on dirait antiSystème pour faire court mais certainement sans rendre justice à l’expression, est extrêmement aventureuse, parfois originale, parfois brutale dans ses prospectives.

Ces remarques conduisent à faire référence à notre époque si particulière, si “étrange”, où la réalité a été pulvérisée, où la parole officielle, ou parole-Système, suit absolument le déterminisme-narrativiste qui en fait une parole de zombie si l’on veut ; une époque où le véritable antiSystème qui est si rare dans son complet accomplissement, en est réduit à enquêter pour découvrir des vérités-de-situation, voire des parcelles de vérité-de-situation. Dans ces conditions qui concernent exclusivement l’antiSystème, notre propos est de montrer combien il est absurde, et même contre-productif, de tenter de développer leurs propres prospective de ces crises-là, – comme de toute crise, bien entendu.

De l’incertitude à l’inconnaissance et vice-versa

Écartons d’emblée de notre réflexion les prospectives-Système (favorables au Système) qui, par définition, ne sont pas des prospectives puisqu’elles présentent une continuation de l’“ordre” (!) en place. Elles ne présentent strictement aucun intérêt sinon celui de nous confirmer dans le jugement intellectuel de néantisation qu’on peut et qu’on doit porter sur toute pensée issue du Système.

Insistons sur le terme de “néantisation”. Il ne s’agit pas pour ces prospectivistes-Système de présenter une prospective immobile sur l’issue de ces crises, mais une prospective de destruction de toutes les prospectives qui pourraient envisager quelque changement que ce soit qui ne soit pas conforme à l’ordre et au rangement du Système. Ce sont par définition ceux que nous identifierions comme des “prospectivistes-négationnistes”... Ils se placent évidemment, sans la moindre liberté de jugement, sans la moindre appréciation indépendante, dans le cadre du négationnisme cosmique que représente l’entropisation recherché par le Système.

Nous nous intéressons donc à tous ceux qui se présentent eux-mêmes comme antiSystème, sous une forme ou l’autre (critiques du système financier, du capitalisme financiarisé, des USA, de l’interventionnisme dit “néo-impérialiste” ou “néo-colonial”, de l’hégémonisme occidentaliste-américaniste, etc.). Il ne nous intéresse en rien de savoir si ces antiSystème sont “de droite” ou de gauche”, – encore moins, sinistre rigolade des représentations de la caverne de Platon et des simulacres, s’ils sont “fascistes” ou “démocrates”. Nous vivons dans notre époque, cette époque “étrange”, où un seul Ennemi cosmique s’impose à nous, qui est ce que nous nommons le Système, avec ses multiples relais opérationnels.

Nous sommes manifestement placés devant des crises dont l’issue est extrêmement aléatoire, complexe et indécise. Nous répétons avec insistance ce que nous ne cessons de dire parce qu’il est essentiel, selon notre point de vue, que les esprits s’en convainquent et prennent en compte cette hypothèse que nous tenons quasiment comme un fait dans notre façon de voir, comme le facteur le plus important de ces crises. Cette hypothèse, ce fait pour nous, c’est comme nous l’avons écrit plus haut que “...les comportements des acteurs humains de ces crises ne suffisent pas à expliquer tous les aspects et toutes les péripéties de ces crises. Il nous semble effectivement que les évènements agissent d’eux-mêmes et produisent leurs propres dynamiques, hors de l’influence humaine, souvent d’une façon décisive.” A ce point, nous insistons sur cette précision “d’une façon décisive”, qui rend encore plus accessoire et aléatoire l’intervention humaine, ou plutôt une “intervention humaine” qui serait indépendante et hors de toute influence de la dynamique des évènements que nous sollicitons, – que nous pourrions désigner également, selon notre jargon, comme “l’intuition haute”.

Cela signifie que toutes les issues peuvent être explorées, toutes les prospectives envisagées, sans réelle référence ni certitude d’aucune sorte de maîtrise rationnelle et raisonnable de l’événement de la part du jugement humain seul, c’est-à-dire sans “intuition haute”. Aucune borne n’existe à cet égard, aucune réalité impérative, dans le courant d’un système de la communication d’autant plus déchaîné qu’il n’a plus aucune “réalité” identifiable pour le freiner, et qu’il reçoit, lui, des impulsions venues de la puissance des évènements “hors du contrôle des acteurs humains” pour diffuser ses interprétations. C’est dire combien les champs ouverts à l’interprétation, et par conséquent au prévisionnisme antiSystème, peuvent constituer des territoires féconds pour des “rages idéologiques”, des préjugés furieux, des rancunes et des frustrations justifiées, des “complotismes” divers, c’est-à-dire toutes ces réactions de passion dont on comprend la raison d’être face à la puissance maléfique du Système mais dont l’effet est d’encombrer l’esprit de ceux qui se disent antiSystème et de les faire se heurter contre la carapace impénétrable du Système, dans ces attitude humaine qui ne disposent que d’outils de la même catégorie dont le Système, dans sa surpuissance, se joue évidemment avec aisance. Il n’y a rien de plus aisé pour les prospectivistes-négationnistes qui se placent sous l’égide du Système que de ridiculiser toutes ces prospectives qui montrent si facilement la passion qui les habite.

Ces prospectivistes qui se disent antiSystème ridiculisent par leur prétention à détenir le secret de l’avenir la démarche de l’antiSystème en général. Il est facile et tentant de dire avec rage “Ils se sont toujours couchés, ils se coucherons une fois encore“, parlant des Européens face aux Américains (crise actuelle entre USA et EU à la suite de la sortie des USA du traité JCPOA), parlant donc d’un affrontement à l’intérieur du Système. C’est ne pas voir ni comprendre l’essentiel pour l’antiSystème, qui est ceci qu’il y a un affrontement dévastateur à l’intérieur du Système, c’est-à-dire la surpuissance du Système utilisé contre le Système, pour se rapprocher de l’autodestruction. Le constat est très simple et ne satisfait pas l’hybris du prévisionniste mais il est dévastateur. Contre lui, les prospectivistes-négationnistes du Système ne peuvent rien répondre, rien faire dans leur entreprise de néantisation sémantique de la résistance antiSystème.

C’est pour cette raison que nous prônons pour le prospectiviste-antiSystème le principe de l’incertitude absolue dans le déroulement des crises et essentiellement dans leur issue. Ce principe, car cela doit en être un, répond complètement et absolument, et pour les mêmes raisons, au principe de l’inconnaissance, au point qu’il en est la variante opérationnelle la plus nécessaire, sa continuation, son expression terrestre et activiste. Dans le Glossaire.dde qui est consacré à ce concept, nous définissions ainsi “l’inconnaissance”, – et que ce fût à propos des élections présidentielles USA-2016 n’a aucune importance comme on le comprend ; le concept vaut pour tout, dans notre situation crisique générale...

« ... L’inconnaissance alors s’impose... L’inconnaissance est une position de sagesse, de retenue de l’émotion trop vite excitée, et surtout une position d’ouverture pour saisir ce qui est essentiel et se dessinera de soi-même. L’inconnaissance fait que nous ne nous saisissons volontairement que de peu de choses dans le foisonnement de détails supposés avérés et d’orientations suggérées, et ne tenons pas à en saisir beaucoup plus, concentrés sur la possibilité de trouver dans ce “peu de choses” ce qui concerne le sort du Système, – et c’est pourquoi notre attention va à cette sorte de choses. Ce que nous voulons, et que nous permet l’inconnaissance, c’est libérer la perception pour une tâche plus essentielle, qui est d’observer et de suivre ce qui semble être le plus indicatif du sort général du Système, de ses fondements tectoniques en pleine tremblements, pour pouvoir mieux les identifier comme tels et les saisir lorsqu’ils se montrent en pleine lumière... »

C’est pour cette raison que l’inconnaissance est plus que jamais de l’actualité de cette époque si étrange, au point qu’elle nous impose, à nous antiSystème, ce concept de l’incertitude absolue du cours des évènements ; et plus encore, au point que nous devons considérer ce concept de l'incertitude absolue comme une libération de la pensée. Nous devons rompre avec les temps qui meurent comme agonise la modernité qui est l’ultime simulacre de notre catastrophe. Nous le devons parce que seulement alors, notre pensée effectivement libérée osera, en contemplant le tumulte quasiment visuel de ce tourbillon crisique que les dieux ordonnent pour nous, s’élever vers la spiritualité la plus haute.

Ces remarques sont faites d’abord pour exposer une méthode. Elles sont faites aussi pour rappeler ce que nous écrivions à propos de l’inconnaissance, quand ce concept devient métaphysique et au-delà de la métaphysique, et pour cela citant l’un des initiés les plus mystérieux de l’histoire de la pensée chrétienne quand elle s’élève au-dessus du christianisme et du reste pour nous suggérer, dans un langage dont l’hermétisme semble paradoxalement comme étant une ouverture, une pensée faite pour nous ouvrir sur l'origine de toutes les origines. (*)

« Cette incursion d’évènements (ceux auxquels obéit la marche de la situation du monde dans l’effondrement du Système) auxquels nous reconnaissons “une ontologie propre” et dont nous ignorons tout de cette ontologie et des buts qu’elle poursuit, sinon de sa stratégie, signifie effectivement la proposition d’apprécier la situation générale comme ayant nécessairement une impulsion dépassant les données rationnelles et sensibles auxquelles nous cherchons en général à avoir accès. La situation actuelle présente en effet des caractères d’une telle puissance, et d’une telle insaisissabilité pour nos démarches habituelles de l’intellect, qu’elle autorise, sinon recommande des hypothèses métaphysiques comme des acteurs dynamiques, sinon “opérationnels” d’elles-mêmes (de la situation actuelle).

» Dans ce cadre, et l’inconnaissance se détachant de plus en plus de sa fonction tactique hors-Système qui perd de sa nécessité puisque le Système est en cours d’effondrement et peut être pénétré, en recueillant des vérités-de-situation par son choix de ne s’attacher qu’aux parcelles de vérité contenues dans le désordre du monde plongé dans la crise de l’effondrement du Système, l’inconnaissance renforce de plus en plus sa position de phénomène métaphysique. Cela signifie que l’inconnaissance “vers le bas” de l’origine, faite pour se protéger du Système en étant hors-Système, se réduit à mesure de la destruction du Système, devient, par sa capacité d’identification et de sélectivité des vérités-de-situation, une inconnaissance “vers le haut” tendant à cette puissance infinie que suggère [Pseudo-Denys l’Aéropagite] (“C’est alors seulement que, dépassant le monde où l’on est vu et où l’on voit, Moïse pénètre dans la Ténèbre véritablement mystique de l’inconnaissance : c’est là qu’il fait taire tout savoir positif, qu’il échappe entièrement à toute saisie et à toute vision, car il appartient tout entier à Celui qui est au-delà de tout, car il ne s’appartient plus lui-même ni n’appartient à rien d’étranger, uni par le meilleur de lui-même à Celui qui échappe à toute inconnaissance, ayant renoncé à tout savoir positif, et grâce à cette inconnaissance même connaissant par delà toute intelligence.”) »

Nous devons apprécier toutes ces crises hors de ce qu’elles sont, “par-delà toute intelligence”, simplement et si-hautement pour ce qu’elles nous apportent de perception de l’effondrement que nous attendons, et dont notre attente fiévreuse et puissante constitue elle-même un facteur accélérant et favorisant cet effondrement. En d’autres mots, et malgré cet éloge de l’incertitude, c’est dire combien, au bout du compte du Tout, nous ne sommes pas inutiles.


Note

(*) De Pseudo-Denys l'Aéropagite, maître initiatique de l'Incertitude, Etienne Barilier écrivait (Le Grand Inquisiteur, L'Âge d'Homme, 1981) : « Il est un mystère historique presque aussi troublant que celui de Parménide., c'est celui de Pseudo-Denys l'Aéropagite. A l'heure actuelle, on ignore la véritable identité de ce penseur grâce à qui l'Eglise a réchauffé dans son sein le serpent du néoplatonisme, voire du gnoticisme. Que s'est-il passé ? Le Nouveau Testament nous raconte que Saint-Paul, à Athènes, convertit un certain Denys l'Aéropagite. Et c'est sous ce nom que furent diffusés des écrits profondément ennemis de la Certitude. [...] Que suggère ce Denys, devenu Pseudo-Denys ? Que nous ne pouvons avoir de Dieu qu'une connaissance négative. Nous pouvons au mieux dire tout ce qu'il n'est pas, à la manière d'un sculpteur qui dégage une statue. C'est ce qu'on appelle l'apophase... »

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