05 février 2018

Start up, arrêtons la mascarade...



Le livre "start up, arrêtons la mascarade" sort le 7 février prochain. Ses auteurs y dénoncent les systèmes de financement et d'accompagnement actuels, et défendent un modèle profitable à tous. Interview.


Emmanuel Macron en a fait le porte-drapeau de son message politique d'une France qui "gagne". Pour lui, l'entrepreneur est le symbole de cette "start-up nation" qu'il appelle de ses vœux. Mais, plus qu'un discours limité à la seule communication du président de la République, la start-up connaissent aujourd'hui un réel engouement, tant et si bien que la carrière en entreprise "à la papa", toute tracée, n'a plus forcément le vent en poupe chez les jeunes diplômés d'écoles de commerce, et ce qui en conduit un certain nombre à choisir la voie de l'entrepreneuriat. Qui dit phénomène de société, dit aussi émergence de critiques du modèle : l'an dernier, Mathilde Ramadier faisait grand bruit avec son livre "Bienvenue dans le nouveau monde", qui dénonçait le management féroce, faussement à la cool, des jeunes pousses. En 2017, il se peut bien que ce soit le livre "Start up, arrêtons la mascarade", à paraître le 7 février prochain chez Dunod, qui prenne la relève. Entretien avec Nicolas Menet, coauteur de l'ouvrage avec Benjamin Zimmer.
Capital : Votre livre est titré “start up, arrêtons la mascarade”.

De quelle mascarade parlez-vous ?

Nicolas Menet : je vous résumerai les choses en quelques points. La mascarade, c’est d’abord cet argent qui circule depuis 2008 et la crise des subprimes. Les gens ont toujours besoin d’investir et, comme les placements bancaires ne sont plus aussi rentables qu’avant, ils utilisent la start-up comme un véhicule financier, sachant que la France permet beaucoup d’abattements fiscaux sur ce type d’investissements. Deuxièmement, depuis le début des années 2000, la start-up est un effet de mode, mais surtout un vrai moyen pour les pays qui fonctionnent à l’ancienne de se donner une image moderne. Troisième point, la révolution numérique a donné un accès simple et peu coûteux au plus grand nombre vers l’entrepreneuriat. Le problème, c’est que nous ne sommes pas tous calibrés pour être des chefs d’entreprise.

Cette mascarade, c’est aussi la “start up nation”, ou la french tech, dont est friand Emmanuel Macron ?

En soit, ce n’est pas une mauvaise idée de défendre le principe de la start-up, mais Emmanuel Macron parle probablement de l’agilité et de la jeunesse associées aux start-up, pas forcément de l’envers du décor. Encore une fois, il vaut mieux défendre l’idée d’un entrepreneuriat utile à la société, et non, seulement, un véhicule financier.

Justement, s’agissant de l’aspect financier des start-up, vous dénoncez la manière dont sont organisées les aides publiques dédiées à l’entrepreneuriat…

D’abord, je voudrais rappeler une chose, c’est que, en France, nous avons une chance énorme d’avoir autant d’aides. C’est bien Xavier Niel lui-même qui parle de l’Hexagone comme d’un “paradis” pour les entrepreneurs. Néanmoins, on peut se poser la question de l’efficacité des politiques publiques de l’innovation. Il nous est arrivé, Benjamin Zimmer, le coauteur du livre, et moi-même, de récupérer des projets, qui nous avaient convaincus mais n’étaient pas éligibles à certaines aides de type BPI sous prétexte qu’ils n’étaient pas assez digitaux. Le problème, pour nous, est qu’il manque de critères précis, fiables, pour attribuer les aides publiques en France. Il manque aussi d’accompagnement des start-up. C’est bien de donner un budget, mais ce serait mieux de vérifier comment il est utilisé et surtout guider les entrepreneurs, leur dire quand ils peuvent vraiment voler de leurs propres ailes. Cela nous ferait gagner en compétitivité !
La start-up pourra aussi bien être profitable à la politique publique, du fait qu’elle s’attèle à un besoin sociétal, tout comme aux financiers, puisqu’un besoin sociétal est aussi un “marché”, mais aussi au respect de l’environnement.

Vous faites aussi ces reproches aux autres formes d’investissement dans les start-up que sont le crowdfunding, les business angels, ou encore les fonds d’investissement ?

Sur le crowdfunding, lorsque c’est de la “love money”, c’est-à-dire souvent les proches des entrepreneurs qui investissent au tout début du projet, ce n’est pas vraiment un problème puisque cela représente une faible part des investissements. En revanche, s’agissant des business angels, même si certains sont d’anciens startupers qui ont fait fortune et accompagnent vraiment les jeunes pousses, d’autres ne le voient que comme un objet financier où l’on peut tirer jusqu’à 5% à 7% de rendement en plus de certains abattements fiscaux. Même chose pour le “private equity”, ce système où de petits porteurs peuvent devenir actionnaires d’une start-up : ce n’est pas forcément une bonne idée puisqu’ils ne participent pas à l’innovation. L’entrepreneuriat, ce n’est pas que de l’argent et des levées de fonds.

Pour illustrer votre propos, dans votre livre, vous évoquez l’histoire, fictive, de Tom, start-uper. Quelles sont ces erreurs que vous citez et qui se retrouvent dans le processus de création de beaucoup de start-up ?

Tom, ce personnage que nous avons créé, il nous a été inspiré par des centaines de projets d’innovation que nous avons vu passer. Sa première erreur, c’est de partir d’une innovation affinitaire : « ma grand-mère est seule, il lui faut un réseau social, je vais le créer parce que moi-même j’en utilise ». C’est une erreur magistrale, il ne s’est pas renseigné sur le marché et sur les besoins. Ensuite, il fait une étude qui ne lui coûte rien. Il ne fait que compiler quelques informations trouvées sur internet. Il manque d’accompagnement. Cela ne l’empêche pas de réussir pas mal de levées de fonds. Et son problème, c’est qu’il considère ces levées de fonds comme une réussite en soi, comme ses propres deniers, alors que ce n’est pas son argent et qu’il n’y a pas de rendement. Par la suite, il va chercher conseil, on lui fait des reproches, mais il ne les écoute pas. Surtout, personne ne lui dit vraiment si son projet est pertinent ou pas. Il se met aussi bien trop tard à prospecter des clients, considérant que ses nombreux likes sur les réseaux sociaux sont aussi de la clientèle potentielle, alors que ce n’est pas forcément le cas. Enfin, il oublie de manager son équipe : il passe plus de temps à résorber ses problèmes de trésorerie qu’à les motiver.

Pour sortir de ce modèle, vous appelez de vos vœux des projets entrepreneuriaux à “profitabilité intégrale”. Qu’est-ce que vous entendez par là ?

C’est l’idée que lorsque l’on crée une innovation, cela ne va pas être au profit d’une seule personne, l’entrepreneur, mais au bénéfice de tous. Et quand on dit tout le monde, cela englobe vraiment des acteurs très divers. La start-up pourra aussi bien être profitable à la politique publique, du fait qu’elle s’attèle à un besoin sociétal, tout comme aux financiers, puisqu’un besoin sociétal est aussi un “marché”, mais aussi au respect de l’environnement. Plus concrètement, on propose par exemple de créer des incubateurs qui ne sont pas là pour créer des start-up mais surtout répondre à des besoins identifiés.

Prenons les seniors : en 2030, on sait que les plus de 65 ans représenteront une population de 20 millions de personnes dans l’Hexagone. Parmi elles, on estime que 2 millions seront dans une situation de dépendance et ne souhaiteront pas aller dans des établissements spécialisés [Ehpad, hôpitaux] mais rester chez eux. Il faudra donc réfléchir à des innovations pour les aider à garder leur autonomie. C’est un sujet qui intéresse à la fois la politique publique, mais aussi les investisseurs privés puisque c’est un marché !

Mais n’est-ce pas déjà ce que font les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) ?

Évidemment ! Gunter Pauli, entrepreneur belge qui signe notre préface, est d’ailleurs un excellent exemple. Les entreprises de cet écosystème ont bien compris que les enjeux sociétaux sont aussi des marchés et surtout, qu’ils peuvent être anticipés.

En clair, vous n’avez rien contre la start-up elle-même, vous souhaitez juste la faire évoluer dans l’intérêt du bien commun ?

C’est exactement ça : finissons-en avec la start-up qui n’est qu’un véhicule financier. Les grands start-upers des années 1990 disaient qu’ils allaient changer le monde, alors revenons à ce mantra, et changeons-le vraiment !

Bertrand GUAY / POOL / AFP

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