24 octobre 2017

Glyphosate


L'Union européenne doit bientôt donner son accord, ou non, au prolongement de l'autorisation du glyphosate, le principe actif du célèbre désherbant Roundup, pour dix ans. Franceinfo vous explique pourquoi le sujet est brûlant.

Quel avenir pour le glyphosate ? Cette molécule controversée, substance active de nombreux herbicides, est au cœur d'un vif débat au sein de l'Union européenne. Les Etats membres doivent se prononcer, mercredi 25 octobre, sur le renouvellement ou non de l’autorisation du glyphosate pour dix ans. Preuve que le sujet est sensible : le vote a déjà été reporté quatre fois.

Cinquante-quatre députés de La République en marche (LREM) ont demandé, dimanche 22 octobre, l'interdiction "le plus rapidement possible"du glyphosate dans l'UE, au nom de "la santé de tous". De son côté, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot a proposé, lundi sur RTL, une réautorisation, mais pour trois ans seulement. Pour cerner les enjeux de ce débat, franceinfo fait le point sur cette substance.

Le glyphosate, c'est quoi au juste ?

Le glyphosate est un puissant herbicide. La molécule a été inventée dans les années 1970 par des scientifiques de la firme américaine Monsanto. L'entreprise l'a commercialisée à partir de 1974, notamment sous la marque Roundup.

Au début des années 2000, la molécule est tombée dans le domaine public, ce qui a permis à d'autres sociétés de s'en emparer. Devenue bon marché, elle est désormais utilisée partout dans le monde. Outre le Roundup, on retrouve donc le glyphosate dans plus de 750 produits commercialisés par plus de 90 fabricants, répartis dans une vingtaine de pays, ajoute Le Monde. L'Anses, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, recense 178 références dont l'utilisation est autorisée en France.

Ça fonctionne comment ?

"Le glyphosate, ou glycine phosphonate, s'installe dans le système central des plantes pour les détruire de l'intérieur, explique Carmen Etcheverry, agronome pour France nature environnement, à franceinfo. C'est une molécule systémique non sélective." En clair, le glyphosate ne choisit pas ses plantes. Il détruit tout. C'est d'ailleurs pour cela qu'une entreprise comme Monsanto commercialise également des semences résistances au glyphosate.

Mais pour être actif et pénétrer dans la plante, le glyphosate a besoin d'un coup de pouce. "Les préparations commercialisées les plus courantes l’associent à d’autres substances pour améliorer son efficacité, détaille le site de la Glyphosate Task Force, qui rassemble les industriels. On trouve ainsi des formulations dites solides, comme des granulés solubles dans l’eau, et des formulations liquides, comme les concentrés solubles."

Mais il est beaucoup utilisé ?

Le glyphosate, notamment à travers le Roundup, a été massivement utilisé par les particuliers, les collectivités et les agriculteurs. D'après une enquête réalisée au début de l'année 2016 par "Cash Investigation", le glyphosate a été le pesticide le plus vendu en France, tous départements confondus, entre 2008 et 2013. Sur la période, 47 626 tonnes de glyphosate ont été écoulées.

En ce qui concerne les particuliers et les collectivités, les choses évoluent. L'utilisation du glyphosate par les collectivités dans les espaces ouverts au public est interdite en France depuis le 1er janvier 2017. L'utilisation par les particuliers sera interdite à partir du 1er janvier 2019.

Reste le secteur agricole, gros consommateur. "Deux tiers des agriculteurs français utilisent le glyphosate aujourd’hui", assure Eric Thirouin, secrétaire général adjoint du syndicat FNSEA, à 20 Minutes. L'herbicide est particulièrement pulvérisé dans les champs de colza, de blé et de maïs. "Le glyphosate est utilisé tout au long du cycle de culture, ajoute Carmen Etcheverry. Il peut-être utilisé après la récolte et avant le semis, mais aussi avant la récolte. Il sert aussi pour nettoyer les mauvaises herbes entre les rangs de plantation."

Est-ce qu'on y est vraiment exposés ?

Sans être directement exposée à une pulvérisation de glyphosate, la population se retrouve néanmoins en contact avec des résidus du pesticide, ou de la substance issue de la dégradation du glyphosate, l'AMPA. Ces résidus ont été ainsi été détectés dans 53% des cours d'eau représentatifs et testés par le Commissariat général au développement durable. Ce dernier précise que le glyphosate est davantage présent dans les eaux de surface que les eaux souterraines.

On en retrouve également dans notre alimentation. C'est le constat fait dans l'étude menée par l'association Générations futures, qui a testé des céréales et des lentilles. Sur trente échantillons analysés, seize contenaient du glyphosate. Générations futures a également fait analyser les urines de trente personnes, dont la chanteuse Emily Loizeau, l'ex-ministre de l'Ecologie Delphine Batho, mais aussi des enfants et des adultes vivant en zone urbaine ou agricole. Dans 100% des échantillons, des traces de glyphosate ont été retrouvées.

Mais y a-t-il un danger pour notre santé ?

En mars 2015, un rapport (en anglais) du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), émanation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et référence mondiale dans ce domaine, classe l'herbicide comme cancérogène "certain pour l'animal" et "probable chez l'homme". "Il y a des preuves limitées de cancérogénicité chez l'homme pour le lymphome non hodgkinien (...), il a également causé des dommages à l'ADN et aux chromosomes dans les cellules humaines", précise le Circ dans son rapport.

"On est déjà sur un niveau de preuves scientifiques très élevé", note Pierre-Michel Périnaud, président de l'association Alerte des médecins sur les pesticides, contacté par franceinfo. Le médecin interroge sur l'accumulation, même à faibles doses, de pesticides pour le consommateur. "Quels sont les effets du glyphosate associé à d'autres produits ?" demande le médecin spécialiste des pesticides qui redoute "l'effet cocktail". Par ailleurs, le glyphosate est suspecté d’être tératogène, c'est-à-dire de provoquer des malformations du foetus, d'après les recherches sur des batraciens menées par le professeur Andrés Carrasco, de l'université de Buenos Aires (Argentine), relaie Le Monde.

Mais ces études sont rejetées par Monsanto. "La toxicité aiguë du glyphosate est très nettement moins élevée que celle de produits courants comme la caféine ou le sel", explique notamment l'entreprise sur son site internet. Le géant de l'agrochimie s'appuie sur une étude de 1978, explique la journaliste Marie-Monique Robin, dans son documentaire Le Roundup face à ses juges, diffusé le 17 octobre sur Arte. Et cette étude est, depuis, contestée par d'autres scientifiques.

Et quels sont ses effets sur l'environnement ?

"Le glyphosate et l'AMPA peuvent atteindre les eaux de surface par ruissellement, par drainage, par dérive de pulvérisation et occasionnellement, à la suite de mauvaises pratiques agricoles", reconnaît le site de la Glyphosate Task Force. Mais il ajoute que "les niveaux atteints en eau de surface dépassent rarement le seuil de préoccupation écologique".

L'Union européenne fixe un seuil réglementaire limite à 0,1 milligramme par litre d'eau. Pourtant, les études menées par le Commissariat général au développement durable montrent des concentrations de résidus de glyphosate et d'AMPA qui "dépassent le seuil de 0,1 milligramme par litre d'eau dans respectivement 13 et 31 % des analyses". Et cette présence de glyphosate dans les cours d'eau n'est pas sans conséquence. "Cela change l'acidité des milieux qui ne deviennent alors plus adaptés pour certaines espèces. Cela détruit également des algues indispensables. Certains animaux développent des cancers", énumère Carmen Etcheverry.

Pourquoi est-il encore autorisé, alors ?

La toxicité du glyphosate a donné lieu à une véritable bataille d'experts. Et l'avis du Circ n'est pas contraignant. L'EFSA, l'Autorité européenne de sécurité des aliments et l'ECHA, l'Agence européenne des produits chimiques, se sont néanmoins saisies de la question. Les deux agences ont reconnu la toxicité pour les milieux aquatiques. "Malheureusement, ce n'est pas suffisant du point de vue de la réglementation européenne pour suspendre l'autorisation d'un produit", regrette Carmen Etcheverry.

Et les deux agences sont allées à l'encontre du Circ et ont décidé de maintenir le glyphosate comme non-cancérogène pour l'homme. Comment expliquer ces avis divergents ? "On n'analyse pas les mêmes choses et pas avec les mêmes moyens", signale Pierre-Michel Périnaud. Le Circ prend en compte le glyphosate avec ses adjuvants, tel qu'on trouve le produit dans le commerce. Les agences réglementaires regardent le glyphosate isolé.

Par ailleurs, le Circ se base sur l'ensemble de la littérature scientifique, alors que les agences réglementaires rendent leurs avis à partir des études fournies par les industriels. "Or ces études ne sont jamais publiées, jamais contre-expertisées, au contraire de la littérature scientifique, dénonce Pierre-Michel Périnaud. D'un côté, on a un système transparent et, d'un autre, un système opaque." Ces études "sont extrêmement encadrées", réplique la plateforme Glyphosate France. Mais une enquête du Monde a montré que Monsanto a fait "paraître des articles coécrits par ses employés et signés par des scientifiques pour contrer les informations dénonçant la toxicité du glyphosate".

Ce n'est pas possible de le remplacer ?

"A ce jour, il n’existe aucune alternative satisfaisante pour éliminer durablement certaines plantes vivaces qui font concurrence aux cultures, balaie la plateforme Glyphosate France, regroupement des industriels du secteur, contactée par franceinfo. En l’absence de désherbage, et selon les types de mauvaises herbes et les conditions agropédoclimatiques [le climat, la composition et la qualité des sols], les pertes peuvent être considérables". De nombreux agriculteurs, la FNSEA en tête, font le même constat. "On serait incapables, sans désherbant, de produire des céréales", affirme Nicolas Delatre, céréalier dans les Yvelines, à franceinfo.

Pourtant, d'autres cultivateurs rencontrés par franceinfo ont fait le choix de se passer de l'herbicide, comme Alain Davy, agriculteur dans l'Orne. "Ce n'est pas évident", reconnaît-il. Mais il a réussi à trouver un nouveau mode de fonctionnement, en misant sur une rotation plus fréquente des cultures, pour les empêcher de repousser et en ayant recours au désherbage mécanique pour les herbes les plus résistantes. Sa production a certes chuté de 20%, mais sans herbicide, ses coûts ont aussi baissé de façon "phénoménale", ce qui compense largement la baisse des rendements.

"Les alternatives économiques viables existent, confirme Carmen Etcheverry. Mais il n'y aura pas une solution unique." L'agronome avertit : "Même si les industriels ont déjà dans leurs cartons d'autres molécules pour l'après-glyphosate, ce serait absurde de remplacer une molécule chimique par une autre." Il faut "repenser les systèmes de production" et prendre en compte les spécificités des territoires, des exploitations.

J’ai eu la flemme de tout lire. Vous pouvez me faire un résumé ?

Le glyphosate est un herbicide puissant, le plus vendu en France ces dernières années. C'est notamment la substance active du Roundup, commercialisé par l'entreprise Monsanto, et utilisé massivement par les particuliers et par les agriculteurs. Des résidus de ce pesticide peuvent être retrouvés dans nos cours d'eau, mais aussi dans notre alimentation, selon plusieurs études.

En mars 2015, un rapport du Centre international de recherche sur le cancer l'a classé cancérogène "certain pour l'animal" et "probable chez l'homme". Pour autant, les agences réglementaires européennes n'ont pas suivi cet avis et débattent toujours de son interdiction. Or, ces dernières se basent sur les données fournies par les industriels, dont le lobbying est particulièrement intense. Des documents internes de Monsanto, étudiés par Le Monde, ont montré comment l'entreprise a bataillé pour contrer les arguments anti-glyphosate, avec des articles coécrits par ses employés.

Carole Bélingard

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