03 novembre 2016

Donner un sens à la présence de la force navale russe au large des côtes de la Syrie

La machine de propagande anglo-sioniste, autrement connue comme les grands médias, éprouve de grandes difficultés à décider ce qu’elle devrait dire sur la force navale russe opérationnelle qui a été envoyée en Syrie. Les Américains ont décidé d’exprimer leur mépris habituel pour tout ce qui est russe et décrivent cette force comme centrée sur le porte-avion gériatrique Amiral Kouznetsov, tandis que les Britanniques choisissent de la décrire comme une formidable «armada» sur le point de détruire complètement les terroristes modérés en Syrie.

Mon ami Alexander Mercouris a récemment écrit une superbe analyse expliquant qu’en réalité, cette force opérationnelle n’était ni gériatrique ni redoutable. Plutôt que de tout répéter ici, je préfère écrire ce que je considérerai comme une suite à cette excellente contribution, en y ajoutant quelques détails supplémentaires. La première étape consistera à démonter quelques idées préconçues de base.

Commençons par le porte-avion russe.

Le «croiseur amiral lourd de la flotte soviétique Kouznetsov»

Savez-vous que les Russes n’appellent même pas l’Amiral Kouznetsov un porte-avion ? Sa désignation officielle est «croiseur lourd de transport d’avion». C’est important de comprendre pourquoi.

À votre avis, qu’est-ce qu’un porte-avions ? Ou, permettez-moi de le dire ainsi, pourquoi les États-Unis maintiennent-ils une force de 10 à 12 porte-avions lourds ? Si vous en croyez Ronald Reagan, c’est pour un «déploiement futur» et faire la guerre aux Soviétiques (c’était alors, la raison d’une marine de 600 navires et de transporteurs américains dans l’Atlantique Nord). La réalité est que les transporteurs étasuniens, britanniques, français sont un instrument de domination coloniale. Vous postez un ou deux groupes tactiques de porte-avions à quelques centaines de miles d’un pays désobéissant, et vous faites sortir toute la merde de chez lui à coups de bombes jusqu’à ce qu’il change. C’est, en réalité, la seule raison de ces immenses structures. Et la beauté là dedans est que vous pouvez menacer la plus grande partie de la planète et que vous ne dépendez pas d’alliés en accord avec votre mission. Donc nous pouvons dire que les porte-avions américains et des autres pays sont une capacité de projection à longue distance utilisable contre des pays faibles et peu défendus.

Pourquoi seulement faibles et peu défendus ?

C’est le vilain secret que tout le monde connaît : les porte-avions ne peuvent pas être défendus contre un ennemi sophistiqué. Si la guerre froide était devenue chaude, les Soviétiques auraient attaqué simultanément tous les transporteurs américains dans l’Atlantique Nord avec une combinaison de :
Missiles de croisières lancés depuis les airs.
Missiles de croisières lancés depuis des sous-marins.
Des missiles de croisière lancés depuis des navires en surface.

Des torpilles à lanceur sous-marin.

Je ne peux pas prouver ce qui suit, mais je peux seulement attester que j’avais beaucoup d’amis dans l’armée américaine, y compris certains qui servaient sur des porte-avions, et tous comprenaient que les transporteurs américains ne survivraient jamais à une attaque de saturation soviétique et que, dans le cas d’une guerre réelle, ils auraient été maintenus éloignés des côtes soviétiques. J’ajouterai seulement ici que les Chinois ont apparemment développé des missiles balistiques spécialisés destinés à détruire les groupes aéronavals. C’était au début des années 1990. Aujourd’hui, même des pays comme l’Iran commencent à développer des capacités pour affronter et détruire avec succès des transporteurs étasuniens.

Les Soviétiques n’ont jamais construit de véritables porte-avions. Ce qu’ils avaient étaient des croiseurs avec une quantité très limitée d’avions à décollage vertical, et, bien sûr, des hélicoptères. Ces croiseurs avaient deux buts principaux : étendre la portée des défenses aériennes soviétiques et soutenir l’atterrissage d’un appareil depuis la mer. Une caractéristique très particulière de ces croiseurs soviétiques transportant des avions est qu’ils avaient de très gros missiles de croisière (4,5 à 7 tonnes) conçus pour attaquer à très grande intensité les navires ennemis, y compris un porte-avion étasunien. Vous pouvez lire sur le croiseur porte-avion de «classe Kiev» ici. Une autre caractéristique essentielle de ces croiseurs porte-avions soviétiques est qu’ils transportaient un avion plutôt faible, le Yak-38, qui était assailli de problèmes et aurait été une cible très facile pour les F-14, F-15, F-16 ou F-18 américains. Pour cette raison, les défenses aériennes de classe Kiev étaient centrées sur leurs missiles air-surface et non sur leur complément d’avions. À l’époque où le Kouznetsov a été construit, les Soviétiques avaient développé des avions qui étaient au moins égaux, sinon supérieurs, à leurs contreparties occidentales : le MiG-29 et en particulier le SU-27. Et cela a donné à certains d’entre eux l’idée de construire un véritable porte-avions.

La décision de construire le Kouznetsov a été très controversée et s’est heurtée à beaucoup d’opposition. Les «arguments de vente» du Kouznetsov étaient qu’il était une plate-forme de défense aérienne bien supérieure, qu’il pouvait transporter des avions largement supérieurs et, enfin, qu’il pouvait rivaliser en prestige avec les porte-avions étasuniens, en particulier ceux de la génération suivante à propulsion nucléaire, qui était projetée mais n’a jamais été construite. Je trouve cet argument absolument pas convaincant et aujourd’hui, je suis assez confiant que la plupart des planificateurs de la force navale russe seraient d’accord avec moi : la Russie n’a pas du tout besoin de porte-avions de style américain, et si elle en avait besoin, ils seraient conçus pour répondre aux exigences d’une mission russe et pas seulement pour copier les Américains. Aparté
J’aimerais revenir à mon discours favori et vous dire toutes les vilaines choses que je pense à propos des porte-avions en général et pourquoi je pense que la Marine russe devrait être centrée sur des sous-marins et des frégates, mais cela prendrait trop de place ici. Je dirai seulement que je préférerais avoir beaucoup de frégates et de corvettes que quelques croiseurs lourds.

Donc le Kouznetsov a fini par être un méga-compromis et, comme tous les compromis, une assez bonne chose. Pensez-y : même si le Kouznetsov emballe 12 missiles anti-navire Granit massifs, il a, du moins potentiellement, un complément d’avions plus grand que le Charles de Gaulle français (50 contre 40. Initialement, le Kouznetsov transportait 12 SU-33 uniquement air-air, mais maintenant, ceux-ci seront progressivement remplacés par 20 MiG-29K beaucoup plus modernes et ses hélicoptères 24 Ka-27 seront remplacés par l’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque le plus avancé sur la planète, le Ka-52K. Le Kouznetsov a toujours deux faiblesses majeures : un système de propulsion franchement daté (voir l’article de Mercouris) et il manque d’avions AWACS à bord. Ce dernier élément est la conséquence directe de la philosophie ayant présidé à la conception du Kouznetsov, qui n’a jamais été destiné à opérer à beaucoup plus de 500 à 1000 km de la frontières russe (encore une fois, la philosophie de planification de la force russe à moins de 1000 km environ).

Le Kouznetsov lance un SU-33

Pour résumer : le Kouznetsov est un beau porte-avion qui reflète cependant une philosophie de compromis dans sa conception et qui n’a jamais eu pour but de projeter la puissance russes à de longues distances à la manière des transporteurs occidentaux, notamment américains.

Maintenant, passons au reste de cette force navale opérationnelle russe.

Le reste de la force navale opérationnelle russe autour du Kouznetsov

Un grand nom surgit immédiatement : le croiseur lourd à propulsion nucléaire, porteur de missiles, Pierre le Grand.
 Le croiseur à propulsion nucléaire Pierre le Grand

C’est une bête lourde et actuellement le navire armé le plus pesant de la planète. Je n’entrerai pas dans les détails, consultez cet article pour une liste des armements, si vous êtes intéressés. Il suffit de dire ici que ce croiseur de bataille peut tout faire : anti-aérien, anti-navire, anti-sous-marin. Il est emballé avec des senseurs haut de gamme et des communications avancées. C’est le navire amiral de la Flotte du Nord, il est donc de facto le navire amiral de toute la flotte russe. Enfin, le Pierre le Grand transporte une redoutable variété de 20 missiles anti-navire Granit. Veuillez noter que la puissance de feu combinée des missiles Granit anti-navire du Kouznetsov et du Pierre le Grand est de 12 + 20 pour un total de 32. J’expliquerai plus bas pourquoi c’est important.

Le reste de la force opérationnelle est composée de deux grands navires anti-sous-marins (des destroyers dans la terminologie moderne), le vice-amiral Koulakov et le Severomorsk, et d’un certain nombre de vaisseaux de soutien. Le Koulakov et le Severomorsk sont basés sur la conception Oudaloï, ce sont des navires de combat modernes et capables partout. Tous ces bateaux fusionneront bientôt en une force unique, y compris deux navires lance-missiles de petite taille (des corvettes dans la terminologie moderne), qui transportent les célèbres missiles de croisière Kalibr et sont spécialisés dans l’attaque de navires en surface. Enfin, bien que cela ne soit pas annoncé, je pense que cette force opérationnelle inclura au moins deux sous-marins d’attaque nucléaire de classe Akula, un sous-marin lanceur de missiles de croisière Oscar-II (armé de 12 autres missiles de croisière Granit) et plusieurs sous-marins diesel électriques de classe Kilo.

Pour résumer tout cela.

La force navale opérationnelle russe est une tentative des Russes de réunir un certain nombre de navires qui n’avaient jamais été conçus pour opérer comme une force navale unique loin de la Russie. Si vous voulez, c’est un «piratage» russe intelligent. Je dirais que c’est aussi assez intelligent puisque cette force opérationnelle dans son ensemble est très impressionnante. Non, elle ne peut pas l’emporter sur tout l’OTAN ou même l’US Navy, mais il y a un certain nombre de choses qu’elle peut faire très efficacement.

Maintenant nous pouvons passer à la grande question.

Que peut réellement faire la force navale russe en Syrie ?

Avant de considérer le tableau d’ensemble, il y a un détail qui mérite, je crois, d’être mentionné ici. À ce sujet, tous les articles que j’ai écrits sur le missile de croisière Granit disent que c’est un missile de croisière anti-navire. J’ai aussi écrit cela plus haut dans le but de dire les choses simplement. Mais maintenant je dois dire que le Granit a probablement toujours un mode «B», «B» comme dans «beregovoy» ou, si vous préférez, un mode «côtier» ou «terrestre». Je ne sais pas si ce mode a existé depuis le premier jour ou s’il a été ajouté plus tard, mais il est maintenant certain que le Granit avait un tel mode. C’était probablement une capacité assez minimaliste, sans guidage raffiné et autres astuces (dont le Granit dispose dans son principal mode anti-navire), mais les Russes ont récemment révélé que les Granit réactualisés ont maintenant une réelle capacité d’attaque terrestre («complexe»). Et tout cela exige un tout nouveau regard sur ce que cela signifie pour cette force opérationnelle. Voici ce que nous savons sur les nouveaux Granit améliorés (que les Russes désignent comme des 3M45) : 
 Le Granit P-700 de 7 tonnes
Masse: 7 tonnes.
Vitesse : Mach 1,5 à 2.
Portée : 500 à 600 km.
Ogive : 750 kg (capacité conventionnelle et nucléaire).


Le Granit est aussi capable de quelques choses avancées, y compris celle d’avoir un missile volant à 500 m ou plus haut pour détecter la cible et le reste d’entre elles en écumant la surface tout en recevant les données de celui qui vole plus haut. Ces missiles sont aussi capables d’attaquer automatiquement à partir de directions différentes pour mieux écraser les défenses aériennes. Ils peuvent voler au plus bas à 25 m et au plus haut à 17 000 m. Ce que tout cela signifie est que ces missiles Granit sont des missiles à portée tactique, opérationnels par eux-mêmes. Considérant qu’il y a au moins 32 de ces missiles dans la force opérationnelle russe (46 si un sous-marin de classe Oscar-II est aussi présent), cela signifie que cette force a une puissance de feu de missiles tactiques similaire à celle de toute une batterie de fusées ! Si les choses devaient aller très mal, cette force opérationnelle pourrait non seulement menacer sérieusement tout navire de surface de l’US Navy/OTAN à 500 km de la Syrie, mais aussi chaque ville ou base militaire à cette portée. Je suis plutôt surpris que les va-t-en-guerre occidentaux l’aient négligée parce qu’elle devrait passablement effrayer l’OTAN.

Pour être honnête, certains spécialistes expriment de grands doutes à propos des capacités d’attaque terrestre du Granit. Tout le monde sait que ce sont des missiles assez anciens et très chers, mais personne ne connaît l’effort consacré à leur modernisation. Mais même s’ils ne sont, de loin, pas aussi capables qu’annoncé, le fait qu’entre 32 et 46 de ces missiles soient postés juste au large de la côte syrienne aura un effet dissuasif important, parce que personne ne saura jamais ce que ces missiles seront capables de faire jusqu’à ce qu’ils le fassent vraiment.

Ensuite.

Les capacités combinées de la force navale russe et des missiles S-300/S-400 déployés en Syrie donnent aux Russes une capacité de défense aérienne de classe mondiale. Si nécessaire, les Russes pourraient même envoyer des A-50 AWAC de la Russie, protégés par des MiG-31BM. Ce que la plupart des observateurs ne réalisent pas est que le Grumble SA-N-6 qui forme le cœur des défenses aériennes du Pierre le Grand est un S-300FM, la variante navale modernisée du S-300. Il est aussi capable d’une vitesse extraordinaire de Mach 6, il a une portée de 150 km, une capacité terminale à infrarouge ajoutée, un système de guidage track-via-missile qui lui permet d’engager des missiles balistiques et une altitude de 27 000 m. Et, devinez quoi, le Pierre le Grand a 48 de ces missiles (dans 20 lanceurs), à peu près l’équivalent de 12 batteries S-300 (on suppose 4 lanceurs par batterie).

L’une des principales faiblesses du déploiement russe en Syrie a été le nombre relativement bas de missiles que les Russes pourraient tirer à tout moment. Les USA/OTAN pourraient simplement saturer les défenses russes avec un grand nombre de missiles. Franchement, ils peuvent toujours le faire, mais maintenant, c’est devenu beaucoup, beaucoup plus difficile.

Les Russes peuvent-ils maintenant stopper une attaque US sur la Syrie ?

Probablement pas.

Mais ils peuvent la rendre beaucoup plus difficile et considérablement moins efficace.

Premièrement, sitôt que les Américains ouvriront le feu, les Russes avertiront les forces armées syriennes et russes. Puisque les Russes seront capables de suivre chaque missile américain, ils seront aussi capables de transmettre les données à tous les équipages de défense aérienne qui seront prêts au moment où les missiles arriveront. En outre, une fois que les missiles se rapprocheront, les Russes seront en mesure d’en abattre un bon nombre, obligeant les Américains de procéder à une évaluation des dommages de la bataille depuis l’espace puis de réattaquer les mêmes cibles à plusieurs reprises.

Deuxièmement, furtif ou pas furtif, je ne crois pas que l’US Navy ou l’US Air Force risqueront de voler dans l’espace aérien contrôlé par les Russes ou, si elles le font, ce sera une expérience de courte durée. Je crois que la présence russe en Syrie transformera toute attaque de la Syrie en une attaque de «missile seulement». À moins que les Américains n’abattent les défenses aériennes russes, ce qu’ils ne pourront que s’ils veulent lancer la Troisième Guerre mondiale, les avions US resteront en dehors de l’espace aérien syrien. Et cela signifie que les Russes ont fondamentalement fait leur propre zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie et qu’une zone d’exclusion aérienne américaine est maintenant impossible à réaliser.

Ensuite, le Kouznetsov amènera un grand nombre d’avions à voilure fixe et tournante, y compris 15 à 20 hélicoptères Ka-27 et Ka-52K, et 15 à 20 SU-33K et MiG-29K (je ne crois pas qu’un chiffre officiel ait été annoncé). Ce que les Russes ont dit est que les aéronefs à voilure fixe seront adaptés pour être en mesure d’attaquer des cibles au sol. Est-ce que tout cela fera une différence ? Peut-être, à la marge. Cela aidera certainement à faire face à l’afflux attendu de terroristes modérés venant de Mossoul (avec la permission de l’opération américaine pour les évacuer vers la Syrie), mais les Russes pourraient avoir simplement déplacé plus de SU-25 ou même de SU-34 à Khmeimin ou en Iran à un coût beaucoup plus bas. Donc en termes de flotte aérienne, je suis totalement d’accord avec Mercouris, ce sera principalement une occasion d’entraînement sur le terrain et non un événement qui changera la donne.

Conclusion

Ce déploiement est très inhabituel de ce pourquoi les Russes se sont entraîné auparavant. Ils ont fondamentalement trouvé une manière de renforcer le contingent russe en Syrie, notamment contre le cauchemar de la zone d’exclusion aérienne de Hillary. C’est cependant aussi faire de nécessité vertu : l’opération en Syrie a toujours été trop éloignée de la frontière russe et la force russe en Syrie a toujours été trop petite pour sa tâche. En outre, ce déploiement n’est pas soutenable à long terme, et les Russes le savent. Ils ont réussi à imposer une «zone d’exclusion aérienne pour les Yankee» sur la Syrie, assez longtemps pour que les Syriens reprennent Alep et que les Américains votent pour leur prochain président. Après cela, la situation sera nettement meilleure (Trump) ou considérablement pire (Hillary). Quoi qu’il en soit, la nouvelle situation exigera une stratégie russe totalement différente.

Source The Saker

PS : Je suis au courant des plans russes semi-officiellement annoncés pour construire un porte-avion moderne, probablement nucléaire, avec des propulsions et tout. Pour ce que ça vaut, je suis tout à fait opposé à cette idée, que je trouve inutile et qui ne correspond pas à la doctrine de défense russe. La nouvelle génération de sous-marins russes (SSN et SLBM), cependant, mérite une ovation de ma part.

L’article original est paru sur The Unz Review
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone

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