Méthodique, dense, abondamment documenté, cet ouvrage donne toutes les clés permettant de comprendre comment le pouvoir politique, en démocratie comme en dictature, peut guider l’opinion publique aussi imparablement qu’un caniche au bout d’une laisse. Il énumère avec un grand luxe de détails les nombreux ressorts dont dispose la propagande politique : l’intimidation par les symboles, les saluts et les gestes symboliques, la musique, les rassemblements immenses, les mots d’ordre et les slogans, l’efficacité de leur répétition à l’infini.
Pour aboutir à ses conclusions, son auteur, Serge Tchakhotine, s’est appuyé sur les travaux de Gustave Le Bon, de son maître Pavlov, des behavioristes, mais aussi sur sa connaissance et son expérience personnelle de la propagande.
Tchakhotine n’est en effet pas seulement un théoricien, c’est également un militant engagé qui a tenté de contrer la propagande hitlérienne en Allemagne pendant la montée du nazisme. C’était le chef de la propagande au « Front d’Airain » (Eiserne Front). Contre l’opinion de la direction de son parti, il a mis en œuvre des techniques de contre-propagande d’une grande efficacité : contre slogans (freiheit!), épigrammes, contre symboles (les 3 flèches), manifestations savamment organisées et mises en scène. Les zones où ces techniques ont été mises en œuvre sont celles ou le parti nazi a enregistré ses scores les plus faibles. Qui sait si soutenues, multipliées, et étendues à l’ensemble du pays, elles n’auraient pas changé le cours de l’histoire ?
L’histoire de la parution de ce livre n’est pas banale non plus. Lorsqu’il reçoit les premières épreuves de l’édition française de son livre, qui paraît deux mois avant le déclenchement de la guerre, il a la surprise de se rendre compte que tous les passages désagréables à Mussolini et à Hitler y ont été supprimés ! La dédicace dont il l’avait accompagnée : « Je dédie ce livre au génie de la France à l’occasion du 50ème anniversaire de sa Grande Révolution. » a également disparu. Il découvre ensuite que cette censure vient du ministère des affaires étrangères, dirigé alors par George Bonnet. Pour la dédicace à la Révolution Française, on lui explique que c’est « démodé », en plein 150ème anniversaire ! En Allemagne le livre est interdit en 1940.
Réédité et augmenté en 1952, le livre de Serge Tchakhotine, 61 ans plus tard, n’a pas pris une ride, et l’on peut d’autant plus regretter qu’il ne soit pas plus lu, connu, et débattu, qu’à l’inverse il constitue une référence majeure, quasiment un manuel, pour les ingénieurs sociaux, spin doctors, et propagandistes aujourd’hui. Destiné à prévenir les foules du viol dont elles sont victimes par la propagande politique, il a plutôt servi jusqu’à maintenant à rendre encore plus efficaces les systèmes de manipulation et de mensonge organisés, en particulier dans les démocraties occidentales.
Source
Un des livres les plus important écrit XXième siècle, sa lecture devrait être obligatoire avant d'avoir le droit de vote
En étudiant les statistiques des votes, on constate souvent des résultats en apparence absurde : vote des classes populaires en faveur de candidats de droite proposant des programmes destinés aux riches, descendant d'immigrés qui votent pour des candidats d'extrême droite qui s'en prenaient à leur parents ou grand parents quelques décennies plus tôt. Ce constat n'est pas nouveau, les sociaux démocrates des années 20-30 en Europe faisaient la même constatation : malgré leurs programmes avantageux pour les ouvriers, les classes populaires se mobilisaient faiblement, quand elles ne votaient pas pour les partis conservateurs voir fascistes. Tchakhotine explique pourquoi la propagande classique des démocrates honnêtes, à base de propositions de lois, de chiffres, de graphique, de réflexion logique, était et reste totalement inefficace pour capter les votes de l'essentiel de l'électorat.
A partir de travaux issu de la biologie, notamment de Pavlov, des sciences comportementales, d'études de cas historique (la bibliographie sur laquelle il s'appuie est extrêmement riche) l'auteur explique pourquoi seule une petite minorité de la population échappe aux réflex d'inhibition extérieur, c'est à dire à la soumission. 90% de la population n'est pas capable de faire des choix électoraux rationnels. Ce taux sera confirmé par l'expérience de Milgran: seul 10% des sujets testés sont réfractaires à l'autorité et refusent d'administrer les décharges électriques quelques soient la situation, on retrouve le même taux de résistance lors de lavage de cerveau.
Une propagande basé sur les réflex d'obéissance, qu'elle soit fondé sur la menace (campagnes électorales des nazi dans les années 1930), la force contre le bouc émissaire (campagne électorale des néoconservateurs aux USA, les chômeurs noirs pour Reagan, les barbus pour Bush) ou l'enthousiasme (campagne Obama en 2008, inspirée par Political Brain de Drew Western) est le seul moyen de mobiliser le vote de ces individus.
Lire Tchakhotine permet aussi de comprendre des phénomènes électoraux contemporain: l'échec de la campagne socialiste en 2007 s'explique simplement par l'utilisation de la pulsion maternelle (fête de la fraternité, image de la candidate), trop faible face à la pulsion combative parfaitement incarnée par le volontarisme de Sarkozy. 5 ans plus tard c'est son incapacité à dominer suffisamment son adversaire sur ce point qui provoqua sa défaite. La victoire d'Obama en 2008 est l'illustration d'une campagne fondé sur l'enthousiasme: ne présentant (quasiment) aucune mesure concrète pour les afro-américains pauvres, Obama a capté l'essentiel (90%) de leur vote uniquement à l'aide d'une propagande efficace: un slogan qui encourage et motive les troupes, des tracts simples et percutants.
Il est possible d'utiliser ces armes de propagandes pour le bien du peuple, l'auteur décrit les fondements d'une propagande électorale fondé sur l'enthousiasme, qui motive les masses, leur donne confiance, et provoque un vote favorable. Quelques principes simples, comme ne jamais montrer une faiblesse (c'est à dire montrer la force de l'ennemi), être présent dans l'espace public, faire des tracts très court avec quelques formules chocs.
L'auteur, militant au SPD dans les années 30, raconte aussi de l'intérieur les campagnes électorales qui ont menés les nazi aux pouvoirs, via un véritable coup d'état. Le conservatisme du SPD explique l'ascension au pouvoir des nazis, mais la trahison des conservateurs, qui ont offert le pouvoir à Hitler au moment même où la contre propagande mise en place par ses soins commençaient à faire refluer le parti nazi. En raison des révélations qu'il contient, ce livre fut victime d'autodafé en Allemagne et interdit et détruit en France sous l'occupation.
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