16 août 2016

Brighelli : « L’islam n’est pas une religion mais un projet politique »

  Le 9 août, la joueuse de beach volley égyptienne Doaa El Ghobashy © Anadolu agency/AFP/ SALIH ZEKI FAZLIOGLU

Pour comprendre ce qui se joue sur les plages françaises, mais aussi sur certains clichés des JO, lisez ou relisez les "Lettres persanes".
 
L'Inspection générale a un devoir de réserve qu'elle n'enfreint jamais – ou alors, par la bande, via des programmes plus matois qu'il n'y paraît à première vue. Ainsi, sous un intitulé « Servitude et soumission », elle propose aux élèves des Classes préparatoires scientifiques de travailler cette année – entre autres – sur les Lettres persanes. J'ai donc passé partie de mon été à relire Montesquieu, tout en jetant un œil, de temps en temps, sur les Jeux olympiques. On arrive ainsi à de curieuses réflexions. 

Les Lumières contre le harem

On se rappelle l'intrigue. Un Persan richissime, Usbek, quitte Ispahan et se rend à Paris avec son ami Ricca. Tous deux écrivent à divers correspondants le fruit de leurs observations, commentant d'une plume alerte les derniers temps de Louis XIV et les premiers pas de la Régence.

Mais pendant ce temps, dans le harem d'Usbek, une révolte s'organise, que les eunuques de service sont bien en peine de réprimer, sinon par la terreur.

Au même moment, Lucy Nicholson, de l'agence Reuters, faisait LE cliché des Jeux de Rio : de part et d'autre d'un filet de beach-volley, l'Égyptienne Doaa El Ghobashy, en hidjab, tente de contrer l'Allemande Kira Walkenhorst, en bikini.

L'Allemande porte les couleurs de son pays. L'Égyptienne porte, si l'on peut dire, les couleurs de l'islam, qui n'est pas une religion, quoi qu'en disent ses sectateurs, mais un projet politique. Ce n'est pas un hasard si le plus raciste, homophobe et misogyne des suprématistes noirs américains, Louis Farrakhan, qui a reçu en 1996 le « Prix Kadhafi des droits de l'homme » (si vous ne saviez pas ce qu'est un oxymore, en voilà un exemple ravageur), dirige une organisation intitulée Nation of Islam.

De quoi alimenter un joli EPI (Enseignement pratique interdisciplinaire), le gadget des nouveaux programmes du collège voulus par Mme Vallaud-Belkacem. De la littérature – les réflexions de Montesquieu sur la nécessaire émancipation des femmes –, un peu d'Histoire, du sport et même une touche de sociologie contemporaine, puisqu'au même moment éclatait en France une vaine polémique sur le burkini, dont il est bien évident qu'il est une revendication communautariste et religieuse avant d'être une tenue de plage. La justice l'a bien compris, qui a donné raison aux maires qui ont décidé de l'interdire (et comment se fait-il que la décision ne soit pas venue de l'État ?). Si nécessaire, les récents événements qui ont bouleversé le petit village de Sisco, en Corse, en portent témoignage. « Risque de troubles à l'ordre public » – je crois bien !

Quand Micheline Bernardini, en 1946, porta le premier bikini, les photographes immortalisèrent la scène – et l'inventeur du chiffon génial, Louis Réard, fut bien content d'avoir donné à ce deux-pièces le nom d'une bombe. Quand Rudi Gernreich lança le monokini en 1962, ce fut par une photo de Peggy Moffitt publiée dans Women's Wear Daily. Mais si des touristes photographient des musulmanes en birkini, cela se termine à coups de hache et de harpons. Cherchez l'erreur. 
 
Le siècle de l'émancipation

« Que vous êtes heureuse, Roxane, d'être dans le doux pays de Perse, et non pas dans ces climats empoisonnés où l'on ne connaît ni la pudeur ni la vertu », écrit Usbek de Paris à sa favorite restée à Ispahan. Et de conclure immédiatement, avec l'innocence des hommes qui croient savoir ce qui convient aux femmes sans même leur demander leur avis : « Que vous êtes heureuse ! »

Le bonheur est le leitmotiv du roman – et n'en déplaise à Jean Paulhan qui parlait du « bonheur dans l'esclavage » (mais c'était dans un tout autre contexte), Roxane n'est pas heureuse. Elle fomente une insurrection dans le harem, et finit par se suicider en écrivant une dernière fois à son pseudo-maître : « Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule pour m'imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices ? que pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d'affliger tous mes désirs ? Non : j'ai pu vivre dans la servitude, mais j'ai toujours été libre : j'ai réformé tes lois sur celles de la nature… »

« Crédule » vient de « croire » – et justement, Roxane ne croit plus à la supériorité de son seigneur qui se croit maître, ni à la religion musulmane qui fonde son « pouvoir ». Cela fait cinquante ans, quand Montesquieu publie les Lettres persanes en 1721, que Molière déjà s'est moqué : « Du côté de la barbe est la toute-puissance », proclame Arnolphe, le pré-cocu de L'École des femmes.

Marivaux fait dire en 1750 (dans La Colonie) à l'une de ses héroïnes : « Vous n'êtes qu'une femme, dites-vous ? Eh ! Que voulez-vous donc être pour être mieux ? » Trois décennies plus tard, Laclos invente Mme de Merteuil, « née pour venger [son] sexe ». Le XVIIIe tout entier consacre l'émancipation des femmes. Montesquieu fréquente les salons de Mme de Lambert ou de Mme de Tencin (la mère de d'Alembert, co-fondateur avec Diderot de l'Encyclopédie), Voltaire adore Mme du Châtelet, éminente scientifique, les femmes (celles de la bonne société tout au moins) se libèrent avec fracas. 
 
Des diktats venus d'ailleurs

Qui aurait alors pensé que deux siècles et demi plus tard, les programmes du collège tireraient un trait sur les Lumières, et qu'un philosophe français, Raphaël Liogier, justifierait l'horreur du burkini, pendant qu'Edwy Plenel, lou ravi de Mediapart, estimerait qu'il s'agit d'un chiffon comme un autre ? Il manque à l'un une réflexion de fond sur ce qu'est l'aliénation (et Montesquieu n'a pas eu besoin de Marx pour penser ce mécanisme par lequel l'idéologie fait croire qu'elle est le réel), et à l'autre ce qu'est le bon sens.

Qu'écriraient aujourd'hui des Persans (i-e des Iraniens, mais si vous préférez des sunnites plutôt que des chiites, peu importe, l'esclavage porte tous ces noms) venus visiter la Corse ou la Côte d'Azur ? Que des Occidentales se soumettent à des diktats venus d'ailleurs, au nom d'une religion qui enseigne les ténèbres. Que les femmes, encore une fois, sont otages d'idéologues délirants – et de leurs complices. Que si chez Montesquieu « le roi de France est vieux », dans notre démocratie française, le roi est nu.

Contrairement à ce que nous entendons, il ne s'agit pas d'un conflit de civilisations – parce qu'il n'y a qu'une civilisation, qui va vers toujours plus de liberté, et pas l'inverse. Il s'agit de l'éternel conflit entre la civilisation et la barbarie. Les élèves de classes préparatoires sont là pour apprendre : c'est sans doute le seul niveau, au sortir du lycée, où les savoirs et leur transmission sont encore centraux, et ce devrait être le modèle d'un enseignement repensé de la maternelle à l'université. Il n'y a pas de place dans un tel programme pour la superstition : c'est ainsi que les Révolutionnaires de 1789 appelaient tout ce qui ressortissait du fanatisme religieux, c'est ainsi que nous devons appeler les fondamentalismes contemporains.

Ah, et pour la petite histoire, l'Allemagne a écrasé l'Égypte, 21-12 / 21-15.
Par Jean-Paul Brighelli

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