25 mai 2016

Réunion secrète à Harvard : création d'un génome humain artificiel


En général, la recherche scientifique est chose ouverte. Les réunions secrètes dont les journalistes sont tenus à l'écart ont plutôt lieu dans des cadres politiques ou économiques. Alors forcément, quand le Washington Post parle d'une conférence secrète, ou que le New York Times évoque des "discussions privées", cela a de quoi étonner.

Surtout quand celles-ci ont lieu à Harvard, entre 150 scientifiques, avocats et autres entrepreneurs et que le sujet n'est autre que la création d'un "génome humain synthétique", donc artificiel. Trois mots qui sont vite associés à clonage, être humain créé en cuve, bref, à toutes les dérives possibles imaginées par Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes.

Cette réunion en question a bien eu lieu, mardi 10 mai, à la Harvard Medical School de Boston. Le titre de celle-ci était à l'origine: "HGP2 : le projet d'un génome humain de synthèse". Une référence au projet génome humain, qui a réussi à séquencer l'ADN de l'homme en 2003, après 13 ans de recherches. Fabriquer un génome synthétique, cela revient donc à pouvoir fabriquer, artificiellement, les 6 milliards de "nucléotides", l'élément de base qui compose notre ADN.

Mais si 150 personnes étaient conviées, le carton d'invitation était assez clair: "Nous n'avons pas invité de média intentionnellement, car nous voulons que tout le monde puisse parler librement et candidement sans être mal interprété". De même, les participants n'avaient pas le droit de publier des informations sur les réseaux sociaux.

Un quiproquo, pour le fantasque organisateur

Une démarche qui n'a pas plus à deux scientifiques, conviés mais qui ont décliné l'invitation. A la place, Drew Endy et Laurie Zoloth ont publié une tribune affirmant que la grande question éthique posée par le thème du débat "ne devait pas être discuter derrière des portes closes".

Interrogé par le Washington Post, l'un des organisateurs de la conférence, George Church, affirme que celle-ci était censée être ouverte. Problème: un article scientifique devait être discuté, mais celui-ci n'était pas encore publié. Pour éviter d'être accusé de faire de la "science par communiqué de presse", le chercheur a préféré privatiser l'événement. Il affirme qu'une vidéo de la conférence sera publiée en même temps que l'article en question.

George Church est un célèbre généticien américain, mais est également connu pour ses déclarations un peu folles. Par exemple, cloner l'homme de Néandertal. Ou encore les mammouths.

Entre le début de la polémique et la conférence en elle-même, l'intitulé a également été changé, affirme le New York Times, passant de "Le projet d'un génome humain de synthèse" à "Test de grands génomes synthétiques dans des cellules". Un titre moins ronflant et moins sensible. A l'origine, le but principal du projet était de "synthétiser un génome humain complet dans une lignée cellulaire dans une période de 10 ans", affirment Drew Endy et Laurie Zoloth dans leur critique.

Faut-il synthétiser le génome d'Einstein?

Ils affirment que si la synthèse d'un génome humain artificiel est encore impossible, l'évolution des technologies et la baisse des coûts nous rapprochent jour après jour de cette possibilité. "Grâce à de nouvelles techniques développées depuis 2003, le coût de l'assemblage du matériel génétique servant à coder les gènes, les 'fondations' de la vie, ont chuté de 4 dollars à trois cents par lettre individuelle", affirment-ils.

Ainsi, le prix théorique d'un génome humain artificiel serait passé de 12 milliards à 90 millions de dollars. Et pourrait même tomber à 100.000 dollars d'ici 20 ans si la chute continue. Le New York Times rappelle que la création d'un génome de synthèse de levure est actuellement en cours, mais qu'il est 200 fois moins complexe que celui de l'être humain.

Les chercheurs se demandent ainsi s'il serait saint "par exemple, de séquencer et synthétiser le génome d'Einstein"? Et d'affirmer que si la technologie doit s'améliorer, il vaudrait mieux cibler la création de génomes moins polémiques.

Le 13 mai, à la suite de l'article du New York Times, le Center for Genetics and Society, une ONG qui milite pour des débats éthiques sur les nouvelles biotechnologies, a dénoncé "une réunion qui ressemble plus à une volonté de privatiser la discussion sur les modifications de l'héritage génétique".

Le surhomme n'est pas pour aujourd'hui, ni même pour demain

Il faut dire que cette conférence, qu'elle ait eu vocation à être secrète ou non, tombe à un moment où les avancées technologiques se multiplient et avec elles, les questions éthiques. Le génome humain est maintenant séquencé pour moins de 1000 dollars, de nouvelles techniques comme Crispr-CAS9 permettent des modifications génétiques extrêmement simples et précises. Des scientifiques, en Chine, puis maintenant au Royaume-Uni, ont commencé à travailler sur des embryons humains.

Si la science avance vite et si tout cela peut faire tourner la tête, il faut pour autant savoir raison garder, tempère le généticien Jean-Louis Mandel, contacté par Le HuffPost. "Peut-on améliorer le génome humain? Faire des super sportifs, ou des gens très intelligents? Le problème, c'est que tous ces caractères sont d'une extrême complexité", précise le scientifique.

Et d'évoquer deux récentes études qui cherchaient des variants génétiques liés au QI. "Ils n'ont rien trouvé. Pas parce qu'il n'y à rien à trouver, mais car la complexité est telle que chaque variation va avoir un effet extrêmement modeste". A l'inverse, rappelle Jean-Louis Mandel, "une seule mutation sur les 6 milliards de bases du génome peut empêcher une personne de parler".

Bref, s'il est facile de casser une voiture, il est plus difficile de l'améliorer. Le 12 mai, des chercheurs ont publié une étude portant sur 300.000 individus. Le but était de comprendre le rôle joué par la génétique dans la réussite scolaire. Les chercheurs ont identifié 74 variations génétiques ayant un impact sur le niveau d'études. Mais celles-ci n'expliquaient que 0,43% des différences.

La crainte d'un eugénisme du XXIe siècle n'est donc pas pour tout de suite, mais il est toujours préférable de poser le débat avant d'être au pied du mur.

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