01 février 2016

Otpor


Les guerres ayant déchiré l’ex-Yougoslavie forgent la conviction, aux Etats-Unis, qu’il faut absolument mettre au pas la Serbie accusée d’être l’initiatrice des conflits. Elle représente un obstacle dans la stratégie régionale américaine d’implantation dans les Balkans. La puissance étasunienne met en œuvre une politique basée, dans un premier temps, sur la contrainte et la coercition, traduite dans les faits par l’établissement d’un embargo économique sur la Serbie et l’appui aux républiques sécessionnistes (soutien dans les instances internationales alors que les Russes prendront timidement le parti de la Serbie, envoi de conseillers militaires américains par le biais de sociétés privées ainsi que d’armes, etc.). L’apogée de cette politique se cristallise dans la campagne de bombardements de la Serbie par l’OTAN pendant trois mois. Malgré cela, le régime de M. Milosevic reste inébranlable. C’est alors, que le gouvernement américain décide de changer de stratégie et de se concentrer sur une déstabilisation du pouvoir serbe par l’intérieur. Cette option commence déjà à se définir en 1998, lorsque Bill Clinton donne carte blanche à la CIA pour tout entreprendre afin de renverser le gouvernement serbe. Une aide financière est octroyée aux partis d’opposition (leur désunion a très longtemps profité au pouvoir serbe) et aux médias indépendants. Les municipalités d’opposition ne font plus l’objet d’un embargo. Le message est clair : débarrassez-vous de ce régime et nous vous aiderons.

Création d’Otpor, son idéologie et recherche de soutiens financiers

Les précédentes manifestations contre le pouvoir, depuis 1991 et surtout celles de 1996-1997, bien qu’elles aient fait descendre dans les rues des centaines de milliers de personnes se sont montrée inefficaces s’essoufflent finalement.
Le mouvement d’étudiants Otpor (résistance) né en octobre1998 saura en tirer les leçons. Il décide de s’implanter dans toute la Serbie et ne pas se cantonner uniquement aux grands centres urbains. Le mouvement est dénué de leader mais dispose d’un noyau d’une vingtaine de personnes. La tâche s’avère difficile du fait de l’étroite surveillance policière et du manque de moyens financiers. Pour cela, les dirigeants d’Otpor prennent contact avec les fondations étrangères. Les Américains, convaincus de leur sérieux, décident de les soutenir principalement à travers l’USAID.
L’idéologie du groupe sera formée à travers des séminaires organisés par l’International Republican Institute (IRI), le National Democratic Institute (NDI), entre autres. La stratégie subversive d’Otpor se construit sur le principe de résistance non violente tiré des écrits de Gene Sharp. Ce dernier est le théoricien de la résistance non violente. En analysant les différents soulèvements pacifistes dans le monde, il met au point des techniques pour renverser des dictatures en attaquant leurs points faibles. Ces méthodes seront enseignées lors d’un séminaire organisé en mars 2000, à Budapest, par Robert Helvey, colonel américain à la retraite, travaillant pour l’Institut Albert Einstein fondé par Gene Sharp et mandaté par l’IRI auprès des membres d’Otpor. Homme d’expérience, il a déjà formé, entre autres, des insurgés au Myanmar ainsi que des étudiants chinois à la désobéissance civile.

Stratégie d’Otpor et soft power

Les principes de base du combat non violent sont : l’affaiblissement des piliers du régime que sont l’armée, la police et les médias; l’identification et l’exploitation des faiblesses du régime; l’obtention du soutien d’une large frange de la population et même des membres du gouvernement; le non recours à la violence qui risquerait d’aliéner les gens ordinaires et la communauté internationale. A cela s’ajoutent des tactiques opérationnelles pour savoir surmonter sa peur face à la police, créer des slogans courts et percutants (qui seront d’ailleurs utilisé lors des soulèvements en Ukraine et en Géorgie), préparer des grèves, user de la dérision pour discréditer le pouvoir, organiser des concerts pour réunir les gens. Pour attirer les personnes âgées (votant le plus souvent pour Milosevic), Otpor soutient les revendications des retraités et fait front commun avec les partis d’opposition. Des fleurs sont offertes aux soldats et à la police lors des manifestations. Le but du groupe est de convoquer des élections libres et équitables. La stratégie d’Otpor est très offensive et s’attaque aux piliers du pouvoir en les divisant par tous les moyens non violents possibles.
Il est à noter qu’Otpor est parrainé par l’ambassadeur américain à Belgrade Richard Miles qui sera affecté ensuite en Géorgie pour coacher Saakachvili avant sa prise du pouvoir. Ce combat asymétrique parvient pourtant à éroder le pouvoir et rallie à sa cause de nombreux citoyens épuisés et appauvris par des années de privation. De plus, les Américains font miroiter une considérable aide économique pour remettre le pays à flot en cas de changement politique. La grande force des Américains est leur maîtrise du soft power. En effet, ils utilisent un contre pouvoir issu de la société civile serbe qui servira leur cause au lieu de tenter d’imposer leurs vues par la force Le changement politique n’en sera que plus facilement accepté puisqu’il provient des Serbes et non pas de l’extérieur; il s’agit du choix légitime de la population.

La révolution d’octobre

En juillet 2000, le président Milosevic décide de convoquer des élections pour sa réélection au poste de Président de la Yougoslavie, sûr de l’emporter, il compte ainsi asseoir son pouvoir par les urnes. Convaincu qu’il y a fraude par un décompte parallèle avec l’appui de l’OSCE et d’ONGs, l’opposition organise des manifestations qui mobilisent des centaines de milliers de personnes dans tout le pays. On retrouve exactement cela en Géorgie et en Ukraine avec chaque fois des organismes internationaux et des ONGs (aux financements américains comme l’Open Society Institute ou la Freedom House) censés être impartiaux lors du décompte des bulletins de vote.
L’assaut du Parlement, le 5 octobre 2000, provoque l’effondrement du régime. Malgré des échauffourées avec la police, cette dernière et l’armée restent inactives face à l’ampleur du soulèvement populaire. Des manifestants de toute la Serbie participent au renversement du pouvoir en prenant d’assaut les télévisions fidèles au régime. Les piliers du pouvoir sont maîtrisés. Cependant, le combat non violent possède ses limites car c’est finalement un acte violent qui renverse M. Milosevic. Ce modèle de révolution « de velours » sera repris en Géorgie et en Ukraine avec succès. Ce seront les membres d’Otpor eux-mêmes qui dispenseront les séminaires d’initiation aux techniques non violentes. Ces révolutions sont encadrées par les Américains qui financent l’opposition et les médias. On observe clairement les similitudes dans les méthodes utilisées pour en faire de véritables mouvements spontanés populaires. Par exemple, la télévision Roustavi-2, la plus populaire de Géorgie, diffuse plusieurs fois un documentaire sur la chute de Milosevic, alors que M. Chevardnadze est encore au pouvoir. On voit alors apparaître les mêmes symboles utilisés par Otpor parmi l’opposition géorgienne. Les esprits sont préparés.

L’extension des révolution dans l’ancien bloc soviétique

Ces révolutions sont à l’oeuvre dans bon nombre de pays d’Asie centrale. Les membres d’Otpor qui, désormais, sont rémunérés pour leurs services en conseils pour révolution non violente reçoivent des appels d’immigrés cubains, du Venezuela et du Liban. Il reste à savoir si ce modèle subversif est exportable partout. Aleksandar Maric, activiste d’Otpor, pense que cette méthode ne peut réussir que dans des « dictatures souples » c’est à dire avec suffisamment d’espace pour l’existence d’un petite opposition (et donc, de médias indépendants), c’est pour cela qu’il refuse de travailler à Cuba et que la révolution a échoué en Biélorussie.
Grâce aux récents changements politiques en Asie centrale, les Américains avancent leurs pions et renforcent leurs positions aux détriments des Russes qui peuvent difficilement s’opposer à des régimes « démocratiques » nés de révolutions populaires. Le soft power apparaît comme étant une arme redoutable dans la stratégie globale de l’empire américain. Pour l’instant rien ne semble pouvoir la contrer.

Yvan Kalezic
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