01 mars 2015

Condensé extrait de "LA FIN DU MONDE " (1894) par Camille Flammarion


Camille Flammarion est un astronome français qui a écrit divers ouvrages destinés à vulgariser la science auprès du grand public. Dans sa nouvelle intitulée "La fin du monde " (1894), il raconte comment l'humanité fait face à la destruction provoquée par une grande comète.
Fidèle à son rôle de vulgarisateur, il aborde également le thème de la fin du monde sur les plans historique et religieux.

L’étrange visiteur était descendu lentement des profondeurs infinies. Au lieu d’apparaître brusquement, tout d’un coup, ce qui plus d’une fois a été observé pour les grandes comètes, soit lorsque ces astres arrivent subitement en vue de la Terre, après leur passage au périhélie, soit lorsqu’une longue série de nuits nuageuses ou illuminées par la Lune a interdit l’observation du ciel aux chercheurs de comètes, la flottante vapeur sidérale était restée d’abord dans les espaces télescopiques, observée seulement par les astronomes. Dans les premiers jours qui suivirent sa découverte, elle n’était encore accessible qu’aux puissants équatoriaux des observatoires. Mais le public instruit n’avait pas tardé à la chercher lui-même.

La comète était arrivée en vue de la Terre. Une nuit de nouvelle lune, par un ciel admirablement pur, quelques vues particulièrement perçantes étaient parvenues à la distinguer à l’œil nu, non loin du zénith, vers les bords de la Voie lactée, au sud de l’étoile omicron d’Andromède, comme une pâle nébulosité, comme une très légère bouffée de fumée, toute petite, à peine allongée dans une direction opposée au Soleil, allongement gazeux dessinant une queue rudimentaire. C’est, du reste, sous cet aspect qu’elle se présentait au télescope depuis sa découverte. Personne n’eût pu soupçonner, à cet aspect inoffensif, le rôle si tragique que ce nouvel astre allait jouer dans l’histoire de l’humanité. Le calcul seul indiquait alors sa marche vers la Terre.

Mais l’astre mystérieux avançait vite. Le lendemain déjà, la moitié des chercheurs arrivait à l’apercevoir, et, le surlendemain, il n’y avait plus que les vues basses aux binocles insuffisants qui attendaient encore. En moins d’une semaine, tous les regards l’avaient reconnue. Sur toutes les places publiques, dans toutes les villes, dans tous les villages, on ne voyait que des groupes cherchant la comète ou la montrant.

Elle grandissait de jour en jour. Les instruments commencèrent à faire paraître en elle un noyau distinct assez lumineux, qui était l’objet de dissertations affolées. Puis la queue se partagea lentement en rayons divergeant du même noyau et prit insensiblement la forme d’un éventail. L’émotion envahissait déjà ‘soutes les pensées, lorsque, après le premier quartier de la lune et pendant les jours de la pleine lune, la comète parut rester stationnaire et même perdre de son éclat.

Mais, ô stupéfaction, lorsque, la nuit tombée, tous les regards étaient levés au ciel pour chercher l’astre flamboyant, ce n’est point une comète qu’ils eurent devant eux, une comète classique comme on a l’habitude de les voir : ce fut une aurore boréale d’un nouveau genre, une sorte d’éventail céleste prodigieux, à sept branches, lançant dans l’espace sept rayons verdâtres paraissant sortir d’un foyer caché au-dessous de l’horizon.

Pour tout le monde, il n’y avait aucun doute que cette aurore boréale fantastique ne fut la comète elle-même, d’autant plus qu’on ne pouvait apercevoir l’ancienne comète en aucun point du ciel étoilé. L’apparition différait singulièrement, il est vrai, des formes cométaires connues, et l’aspect rayonnant du mystérieux visiteur était ce qu’il y avait au monde de plus inattendu.

LE CONCILE DU VATICAN

L’affliction sera si grande que jamais on n’en aura vu de pareille depuis le commencement du monde.

Jésus-CHRIST, Évangiles (Matthieu, XXIV).

Un concile œcuménique de tous les évêques avait été depuis longtemps convoqué par le Souverain Pontife Pie XVIII, pour voter l’adoption d’un nouvel article de foi destiné à compléter celui de l’infaillibilité papale, proclamé en 1870, ainsi que les trois autres ajoutés depuis. Il s’agissait cette fois de la divinité du pape.

L’âme du pontife romain, élu par le conclave sous l’inspiration directe de l’Esprit-Saint, devait être déclarée participer aux attributs de l’Être éternel, ne pouvoir faillir à dater de son sacerdoce papal, non seulement dans les décisions théologiques ex cathedra, mais encore dans toutes les affaires purement humaines, et appartenir de plein droit à l’immortalité paradisiaque des saints qui environnent immédiatement le trône de Dieu et qui partagent la gloire du Très-Haut. Un certain nombre de prélats modernes, il est vrai, ne considéraient la religion qu’au point de vue du rôle social qu’elle peut remplir dans l’œuvre de la civilisation.

Aux premiers siècles du christianisme, le titre honorifique donné au pape avait été « Votre Apostolat » ; plus tard, on avait substitué à ce titre antique celui de « Votre Sainteté » ; désormais on devait dire : « Votre Divinité ». L’ascension du titre s’était continuée jusqu’au zénith.

Mais les pontifes de l’ancienne école admettaient encore la Révélation, très sincèrement, et les derniers papes, entre autres, avaient tous été de véritables modèles de sagesse, de vertu et de sainteté. Le concile avait été avancé d’un mois à cause de la menace cométaire ; car on espérait que la solution théologique de la question répandrait une vive lumière dans l’âme agitée des fidèles, et peut-être apporterait le calme parfait dans les consciences pacifiées.

Le patriarche de Jérusalem, homme de grande piété et de foi profonde, avait pris le premier la parole. Il s’était exprimé en latin ; mais voici la traduction fidèle de ses paroles.

« Vénérés Pères, je ne puis agir plus sagement que d’ouvrir devant vous les saints Évangiles. Permettez-moi de lire textuellement :

« Lorsque vous verrez que l’abomination de la désolation, qui a été prédite par le prophète Daniel, sera dans le lieu saint, que celui qui lit, comprenne ; que ceux qui seront dans la Judée s’enfuient vers les montagnes ; que celui qui sera sur son toit n’en descende point pour emporter quelque chose de sa maison ; et que celui qui sera dans son champ ne retourne point pour prendre ses vêtements.

« Malheur aux femmes qui seront enceintes ou nourriront leurs enfants ! Priez alors que cela n’arrive pas pendant l’hiver ni au jour du Sabbat ; car l’affliction sera si grande que jamais on n’en aura vu de pareille depuis le commencement du monde.

« Si Dieu n’eût abrégé ces jours de désolation, aucune chair n’eût échappé à la destruction ; mais il les abrégera à cause de ses élus.

« … Comme un éclair qui sort de l’Orient parait tout d’un coup jusqu’à l’Occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme.

« Le Soleil s’obscurcira, la Lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, les fondations des cieux seront ébranlées.

« Alors on verra le Fils de l’homme venir sur les nuées dans toute sa gloire, et il enverra ses anges, qui feront entendre la voix éclatante de leurs trompettes, et qui rassembleront ses élus des quatre coins du monde, depuis une extrémité de l’horizon jusqu’à l’autre. »

« Telles sont, mes vénérables frères, les paroles de Jésus-Christ. »

« Et le Seigneur a pris soin d’ajouter :

« “En vérité, je vous le dis, il y en a quelques uns de ceux qui sont ici qui n’éprouveront point la mort, qu’ils n’aient vu le Fils de l’homme venir en son règne. Cette génération ne passera pas que ces choses ne soient arrivées.”

« Ces paroles sont prises textuellement dans les saints Évangiles. Vous savez que sur ce point les évangélistes sont unanimes.

« Vous savez aussi, révérendissimes Pères, que l’Apocalypse de saint Jean expose en termes plus tragiques encore la grande catastrophe finale. Mais les saintes Écritures sont connues de chacun de vous mot par mot, et il me semblerait superflu, sinon même déplacé, devant l’érudition qui m’écoute, d’ajouter ici des citations que vous avez tous sur les lèvres.»

Tel fut l’exorde du discours du patriarche de Jérusalem.

LA CROYANCE À LA FIN DU MONDE À TRAVERS LES ÂGES

C’est ici le lieu de faire une pause d’un instant, au milieu des événements précipités qui nous envahissent, de comparer cette nouvelle attente de la fin du monde à toutes celles qui l’ont précédée, et de passer rapidement en revue la curieuse histoire de l’idée de la fin du monde à travers les âges.

Cette histoire est curieuse, car elle représente en même temps l’histoire de la pensée humaine en face de sa propre destinée définitive. Nous croyons intéressant de l’exposer ici en un chapitre spécial.

Zoroastre et le Zend-Avesta enseignaient que le monde devait périr par le feu. On trouve la même idée dans l’épître de saint Pierre. Il semblait que, les traditions de Noé et de Deucalion indiquant qu’une première destruction de l’humanité avait été opérée par le déluge, la seconde devait l’être par un procédé contraire.

Chez les Romains, Lucrèce, Cicéron, Virgile, Ovide tiennent le même langage et annoncent la destruction future de la Terre par le feu.

Nous avons vu au chapitre précédent que, dans la pensée même de Jésus, la génération à laquelle il parlait ne devait pas mourir avant que la catastrophe annoncée fut accomplie. Saint Paul, le véritable fondateur du christianisme, présente cette croyance en la résurrection et en la prochaine fin du monde comme un dogme fondamental de la nouvelle Église. Il y revient jusqu’à huit et neuf fois dans sa première épître aux Corinthiens.

Malheureusement pour la prophétie, les disciples de Jésus, auxquels il avait assuré qu’ils ne mourraient pas avant son avènement, succombèrent les uns après les autres sous la loi commune. Saint Paul, qui n’avait pas connu personnellement Jésus, mais qui était l’apôtre le plus militant de l’Église naissante, croyait vivre lui-même jusqu’à la grande apparition. Mais, naturellement, tous moururent, et la fin du monde annoncée, l’avènement définitif du Messie, n’arriva pas.

La croyance ne disparut pas pour cela. Il fallut donc cesser de prendre à la lettre la prédiction du Maître et chercher à en interpréter l’esprit. Mais il n’y en eut pas moins là un grand coup de porté à la croyance évangélique. On ensevelissait pieusement les morts, on les couchait avec vénération dans le cercueil au lieu de les laisser se consumer par le feu, et l’on écrivait sur leurs tombes qu’ils dormaient là en attendant la résurrection. Jésus devait revenir « bientôt » juger « les vivants et les morts ». Le mot de reconnaissance des chrétiens était Maranatha, « le Seigneur va venir ».

Saint Augustin consacre le XX° livre de sa Cité de Dieu (en l’an 426) à peindre le renouvellement du monde, la résurrection, le jugement dernier et la Jérusalem nouvelle ; son XXIe livre est appliqué à la description du feu éternel de l’enfer.

Saint. Grégoire, évêque de Tours (573), le premier historien des Francs, commence son histoire en ces termes :

« Au moment de retracer les luttes des rois avec les nations ennemies, j’éprouve le désir d’exposer ma croyance. L’effroi produit par l’attente prochaine de la fin du monde me décide à recueillir dans les chroniques le nombre des années déjà passées, afin que l’on sache clairement combien il s’en est écoulé depuis le commencement du monde. »

LE CHOC

Inexorablement, comme une loi du destin que nulle puissance ne peut fléchir, comme un boulet sorti de la gueule du canon et marchant vers la cible, la comète avançait toujours, suivant son orbite régulière et se précipitant avec une vitesse croissante vers le point de l’espace où notre planète devait arriver dans la nuit du 13 au 14 juillet. Les calculs définitifs ne s’étaient pas trompés d’un iota. Les deux voyageurs célestes, la Terre et la comète allaient se rencontrer, comme deux trains lancés l’un vers l’autre au fantastique et aveugle galop de la vapeur, et qui vont à corps perdu s’effondrer et se broyer dans le choc monstrueux de deux rages inassouvies.

Mais ici la vitesse de la rencontre devait être 863 fois supérieure à celle de la rencontre de deux trains rapides lancés l’un sur l’autre à la vitesse de cent kilomètres à l’heure chacun. Dans la nuit du 12 au 13 juillet, la comète se développa sur presque toute l’étendue des cieux, et l’on distinguait à l’œil nu des tourbillons de feu roulant autour d’un axe oblique à la verticale. Il semblait que ce fût là toute une armée de météores en conflagrations désordonnées dans lesquelles l’électricité et les éclairs devaient livrer de fantastiques combats. L’astre flamboyant paraissait tourner sur lui-même et s’agiter intestinement comme s’il eût été doué d’une vie propre et tourmenté de douleurs.

D’immenses jets de feu s’élançaient de divers foyers, les uns verdâtres, d’autres d’un rouge sang, les plus brillants éblouissant tous les yeux par leur éclatante blancheur. Il était évident que l’illumination solaire agissait sur le tourbillon de vapeurs, décomposant sans doute certains corps, produisant des mélanges détonants, électrisant les parties les plus. proches, repoussant des fumées au delà de la tête immense qui arrivait sur nous ; mais l’astre lui-même émettait des feux bien différents de la réflexion vaporeuse de la lumière solaire, et lançait des flammes toujours grandissantes, comme un monstre se précipitant sur la Terre pour la dévorer par l’incendie. Ce qui frappait peut-être le plus encore en ce spectacle, c’était de ne rien entendre : Paris et toutes les agglomérations humaines se taisaient instinctivement cette nuit-là, comme immobilisés par une attention sans égale, cherchant à saisir quelque écho du tonnerre céleste qui s’avançait et nul bruit n’arrivait du pandémonium cométaire.

La pleine lune brillait, verte dans la rouge fournaise, mais sans éclat et ne donnant plus d’ombres. La nuit n’était plus la nuit. Les étoiles avaient disparu. Le ciel restait embrasé d’une lueur intense.

Déjà plusieurs nuits entières avaient été passées sans sommeil, la terreur de l’inconnu ayant tenu toutes les pensées éveillées. Personne n’avait osé se coucher : il semblait qu’on eût dû s’endormir du dernier sommeil et ne plus connaître le charme du réveil… Tous les visages étaient d’une pâleur livide, les orbites creusées, la chevelure inculte, les yeux hagards, le teint blafard, marqués des empreintes de la plus effroyable angoisse qui eût jamais pesé sur les destinées humaines.

À Paris, à Londres, à Rome, à Berlin, à Saint-Petersbourg, dans toutes les capitales, dans toutes les villes, dans tous les villages, les populations agitées erraient au dehors, comme on voit les fourmis courir éperdues dans leurs cités troublées. Toutes les affaires de la vie normale étaient négligées, abandonnées, oubliées ; tous les projets étaient anéantis. On ne tenait plus à rien, ni à sa maison, ni à ses proches, ni à sa propre vie. C’était une dépression morale absolue, plus complète, encore que celle qui est produite par le mal de mer.

Les églises catholiques, les temples réformés, les synagogues juives, les chapelles grecques et orthodoxes, les mosquées musulmanes, les coupoles chinoises bouddhistes, les sanctuaires des évocations spirites, les salles d’études des groupes théosophiques, occultistes, psychosophiques et athroposophiques, les nefs de la nouvelle religion gallicane, tous les lieux de réunion des cultes si divers, qui se partageaient encore l’humanité, avaient été envahis par leurs fidèles en cette mémorable journée du vendredi 13 juillet, et, à Paris même, les masses entassées sous les portails ne permettaient plus à personne d’approcher des églises, à l’intérieur desquelles on aurait pu voir tous les croyants prosternés la face contre terre. Des prières étaient marmottées à voix basse. Mais les chants, les orgues, les cloches, tout se taisait. Les confessionnaux étaient enveloppés de pénitents attendant leur tour, comme en ces anciennes époques de foi sincère et naïve dont parlent les histoires du moyen âge.

Dans les rues, sur les boulevards, partout même silence. On ne criait plus, on ne vendait plus, on n’imprimait plus aucun journal. Dans les airs, aviateurs, aéronefs, hélicoptères, ballons dirigeables avaient disparu. Les seules voitures que l’on vit passer étaient les corbillards des pompes funèbres conduisant à l’incinération les premières victimes de la comète, déjà innombrables.

La journée se passa sans incident astronomique. Mais avec quelle anxiété n’attendait-on pas la nuit suprême !

Jamais peut-être coucher du soleil ne fut aussi beau, jamais ciel ne fut aussi pur. L’astre du jour sembla s’ensevelir dans un lit d’or et de pourpre. Son disque rouge descendit à l’horizon. Mais les étoiles ne parurent pas. La nuit n’arriva pas. Au jour solaire succéda un jour cométaire et lunaire, éclairé d’une lumière intense, rappelant celle des aurores boréales, mais plus vive, émanant d’un large foyer incandescent, qui n’avait pas brillé pendant le jour parce qu’il était au-dessous de l’horizon, mais qui aurait certainement rivalisé d’éclat avec le Soleil.

Ce lumineux foyer se leva à l’Orient presque en même temps que la pleine lune, qui parut monter avec lui dans le ciel comme une hostie sépulcrale sur un autel funèbre, dominant le deuil immense de la nature.

À mesure qu’elle s’élevait, la lune pâlissait ; mais le foyer cométaire grandissait en éclat avec l’abaissement du Soleil au-dessous de l’horizon occidental, et maintenant, à l’heure de la nuit, il régnait sur le monde, nébuleux soleil, rouge écarlate, avec des jets de flammes jaunes et verts qui semblaient lui ouvrir une immense envergure d’ailes. Tous les regards terrifiés ; voyaient en lui un géant démesuré prenant possession en souverain du Ciel et de la Terre.

Un grand cri domina toutes les angoisses.

La terre brûle ! la terre brûle ! s’écriait-on partout en une rumeur formidable…

Tout l’horizon, en effet, semblait allumé maintenant d’une couronne de flammes bleuâtres. C’était bien, comme on l’avait prévu, l’oxyde de carbone qui brûlait à l’air en produisant de l’anhydride carbonique. Sans doute aussi, de l’hydrogène cométaire s’y combinait-il lentement. Chacun croyait voir un feu funèbre autour d’un catafalque.

Soudain, comme l’Humanité terrifiée regardait, immobile, silencieuse, retenant son souffle, pénétrée jusqu’aux moelles, cataleptisée par la terreur, toute la voûte du ciel sembla se déchirer du haut en bas, et, par l’ouverture béante, on crut voir une gueule énorme vomissant des gerbes de flammes vertes, éclatantes ; et l’on fut frappé d’un éblouissement si effroyable que tous les spectateurs, sans exception, qui ne s’étaient pas encore enfermés dans les caves, hommes, femmes, vieillards, enfants, les plus énergiques comme les plus timorés, tous se précipitèrent vers la première porte venue, et descendirent comme des avalanches dans les sous-sols, déjà presque tous envahis. Il y eut une multitude de morts, par écrasement d’abord, ensuite par apoplexies, ruptures d’anévrismes et folies subites dégénérées en fièvres cérébrales. La Raison sembla subitement anéantie chez les hommes, et remplacée par la stupeur, folle, inconsciente, résignée, muette.

Le noyau de la comète renfermait, noyés dans une masse de gaz incandescent, un certain nombre de concrétions uranolithiques dont quelques-unes mesuraient plusieurs kilomètres de diamètre. L’une de ces masses avait atteint la Terre, non loin de Rome. Tous les cardinaux, tous les prélats du concile étaient réunis à la fête solennelle donnée sous le dôme de Saint-Pierre pour la célébration du dogme de la divinité pontificale.

On avait, fixé à l’heure sacrée de minuit la cérémonie de l’adoration. Au milieu des illuminations splendides du premier temple de la chrétienté, sous les invocations pieuses élevées dans les airs par les chants des confréries, les autels fumant des parfums de l’encens et les orgues roulant leurs sombres frémissements jusqu’aux profondeurs de l’immense église, le pape assis sur son trône d’or voyait prosterné à ses pieds son peuple de fidèles représentant la chrétienté tout entière des cinq parties du monde, et se levait pour donner à tous sa bénédiction suprême, lorsque, tombant du haut des cieux, un bloc de fer massif d’une grosseur égale à la moitié de la ville de Rome avait, avec la rapidité de l’éclair, écrasé le pape, l’église, et précipité le tout dans un abîme d’une profondeur inconnue, véritable chute au fond des enfers !

Condensé extrait de "LA FIN DU MONDE " (1894) par Camille Flammarion

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