08 janvier 2015

Pénuries au Venezuela : guerre économique ?

 
Photo prise par l'un de nos Observateurs, au début du mois de janvier.

Depuis quelques jours, des internautes vénézuéliens publient des photos de rayons de supermarchés quasiment vides sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #AnaquelesVaciosEnVenezuela ("Rayons vides au Venezuela"). Une campagne qui traduit l’exaspération des habitants, dans un pays où les pénuries de produits alimentaires sont récurrentes.

Initialement, le but de la campagne #AnaquelesVaciosEnVenezuela était de dénoncer l’interdiction de prendre des photos dans certaines grandes surfaces. Début janvier, un internaute avait posté une série de clichés sur Twitter montrant les rayons vides d'un supermarché de la chaîne Excelsior Gama, et les clients qui faisaient la queue pour acheter du savon. Il a ensuite indiqué avoir été menacé et reçu l'interdiction de prendre des photos de la part d'un employé du magasin. Au même moment, le photographe Alejandro Cegarra avait connu une mésaventure similaire dans un supermarché de la même chaîne et s’était vu contraint d'effacer ses photos.

"Si tu prends une autre photo, je ferai en sorte que tu sois arrêté". J'ai porté plainte. La censure est une nouvelle règle. Ce tweet est l'un de ceux ayant mis le feu aux poudres, début janvier.

Ces deux affaires ont provoqué la colère des internautes vénézuéliens, certains n'hésitant pas à dénoncer une "censure dans les supermarchés". En réaction, ils ont lancé la campagne #AnaquelesVaciosEnVenezuela, consistant à poster un maximum de photos de rayons vides sur les réseaux sociaux. Plusieurs internautes participant à la campagne en ont également profité pour critiquer avec virulence la politique économique du gouvernement de Nicolás Maduro.

"Ces pénuries ont tendance à diviser le pays" Fernando Olivares (pseudonyme) habite dans l'État de Vargas, sur le littoral vénézuélien. Il ne s’inquiète pas outre-mesure des pénuries actuelles, liées selon lui aux fêtes de fin d’année, tout en reconnaissant l’existence de problèmes chroniques concernant l’approvisionnement des magasins.

Le 2 janvier, quand je suis allé au supermarché, j'ai vu qu'il y avait un rayon quasiment vide, donc j’ai pris une photo. Mais tous les rayons n’étaient pas vides pour autant, loin de là ! J’ai ensuite posté ma photo sur Twitter. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte qu'il y avait d'autres photos semblables et que j'ai découvert l'existence de la campagne #AnaquelesVaciosEnVenezuela. Je ne sais pas qui l'a lancée, s'il y avait un but politique derrière... Ce qui est sûr, c'est qu'interdire de prendre des photos, c'est le meilleur moyen pour que tout le monde en prenne !

Je pense que cette pénurie est surtout liée aux fêtes de fin d'année. Durant cette période, les gens achètent beaucoup plus de choses que d’habitude et les usines tournent au ralenti, ce qui peut expliquer pourquoi certains rayons sont vides actuellement. Bien-sûr, cela n'explique pas tout, car il existe de vrais problèmes en termes d'approvisionnement dans les supermarchés toute l’année. Mais les médias exagèrent également souvent le phénomène.

Ce qui est préoccupant, c'est que ces pénuries ont tendance à diviser le pays. Certains font la queue patiemment, sans se plaindre, tandis que d'autres protestent et critiquent la gestion du gouvernement.


"Ça fait plus d'un an que les produits de base manquent"Pablo Abraham est critique de films et vit à Caracas. Lui aussi indique que la pénurie des biens de première nécessité n’est pas nouvelle, mais il estime que la situation s’est dégradée ces derniers mois.

Hier matin, je suis allé au supermarché, et il n’y avait pas de farine, de lait, de viande, et très peu de légumes. En revanche, il y avait quelques fruits. Et c'est la même chose dans les autres supermarchés. De manière générale, ça fait plus d'un an que les produits de base manquent, comme le lait, le sucre, le café ou encore la farine de maïs, qui constitue la base de notre alimentation. Mais la situation a empiré ces derniers mois car on manque désormais de savon et de shampooing par exemple.

Tous les jours, on voit des files très longues dans les rues. Quand les gens savent que certains produits vont arriver le jour suivant, il leur arrive de commencer à faire la queue la veille. Il existe parfois également des quotas, c'est-à-dire que certains produits sont accessibles mais seulement de façon limitée, pour éviter les ruptures de stock.

Certains produits ne peuvent être achetés qu'en petite quantité.

"Les gens achètent parfois les produits dont ils ont besoin à des vendeurs ambulants, à un prix deux à trois fois plus élevé que la normale"

L’alternative c’est d’acheter des produits à des vendeurs ambulants. Mais ces derniers les vendent généralement à un prix deux à trois fois plus élevé que la normale.

Le problème, c'est que la production est faible dans le pays : le gouvernement importe l’immense majorité des produits que nous consommons, ce qui peut expliquer les problèmes d'approvisionnement que nous rencontrons fréquemment. [Le Venezuela importe plus de 70 % des biens qu'il consomme, NDLR.]

Selon la Banque centrale du Venezuela, le pays est entré en récession en 2014 et enregistre un taux d'inflation supérieur à 60 % sur un an. Plusieurs analystes estiment par ailleurs que le Venezuela serait proche du défaut de paiement. Une situation aggravée par la chute du cours du pétrole, descendu à 48 dollars le baril la première semaine de janvier, alors qu’il valait le double début 2014. Cette baisse du prix de l’or noir, qui représente plus de 90 % des exportations du Venezuela, a fortement réduit les rentrées de devises du gouvernement en 2014. Et pourrait compromettre encore davantage les importations des biens de consommation dont le pays a besoin.

Ces difficultés économiques ont provoqué une plongée dans les sondages du président Nicolás Maduro, qui bénéficiait seulement de 22 % d'opinions favorables en décembre, selon l’institut vénézuélien Datanálisis.

Le 23 octobre dernier, le gouvernement a interdit la vente des produits de base, d'hygiène et de médicaments par les vendeurs ambulants, espérant ainsi faire face aux pénuries. Dimanche, le président a également annoncé la création de deux organismes visant à assurer le suivi des importations, de la production, de la distribution et du prix de certains produits, afin de lutter contre ce qu’il appelle la "guerre économique", menée selon lui par les milieux d’affaires, l'opposition et les États-Unis.


Photo postée sur Twitter.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Chloé Lauvergnier, journaliste à France 24.

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