07 décembre 2014

Contrôle de l'information : Le pouvoir sans partage de l’AFP

Elle tombe comme la foudre, remuant tout sur son passage et se répandant dans les rédactions comme un virus incurable que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter, sinon le temps et l’oubli : la dépêche AFP, fléau échappant à toute forme de contrôle, capable de faire et défaire les réputations en toute impunité.

Ce fléau, Jean-Paul Gourevitch, consultant international et spécialiste des migrations, l’aura constaté à ses dépens lorsque le 11 septembre 2014, l’Agence France Presse s’est penchée sur son dernier livre, « Les Migrations pour les nuls » aux éditions First. Étonné que la célèbre collection « Pour les nuls » confie la rédaction de cet opus à un auteur indépendant qui ne donne pas l’impression de marcher sur des œufs, l’AFP a pondu en bonne et due forme une dépêche assassine.
 
La foudre

« Est-il possible de confier la rédaction d’un ouvrage de vulgarisation sur l’immigration à un auteur souvent cité par l’extrême droite ? » Dès la première phrase, le ton est donné et le lien établi avec « l’extrême-droite ». Jean-Paul Gourévitch est un auteur repris par l’« extrême-droite », ce qui d’emblée le disqualifie. Son crime ? « être cité à plusieurs reprises par la présidente du Front national (FN) Marine Le Pen et son entourage. » De quoi perdre toute crédibilité avant même d’avoir pu développer la moindre thèse. Sans compter que son livre serait « déjà contesté par des spécialistes ». Des spécialistes que l’AFP a spécialement démarchés et qui s’avèrent tous être de gauche et d’extrême-gauche….

Mais la journaliste, Charlotte Plantive, rédactrice de cette dépêche, ne s’arrête pas là. Non contente de définir M. Gourévitch comme « un auteur très marqué à droite », elle va multiplier les attaques en-dessous de la ceinture, tournant régulièrement 25 ans de travail en dérision.

Pour elle, l’ouvrage n’est autre que « 400 pages où se mêlent lexiques, chiffres et digressions sur la prostitution, l’islamisation ou l’insécurité ». Comprenez : un pur fantasme. Pour enfoncer un peu plus le clou, l’AFP se paie le luxe de citer sans modération différents chercheurs qui, bien entendu, ne partagent pas les observations de M. Gourévitch. Outre l’historien Benjamin Stora, qui estime que le coût de l’immigration est « un calcul impossible », la directrice de recherches au Centre d’études européennes de Science Po, Virginie Guiraudon, estime de son côté qu’« il y a une manipulation des chiffres » dans l’ouvrage.

Celle-ci n’hésitera pas à avancer sans rougir que l’auteur « utilise aussi des termes qui n’ont aucune rigueur scientifique, par exemple migration prénatale, comme si les fœtus décidaient de migrer », alors que n’importe qui est capable de comprendre que ce terme se rapporte évidemment aux abus liés au droit du sol, que l’on peut notamment constater à Mayotte.

Pour la sociologue, ce livre ne fait qu’alimenter « un discours anti-immigrés et anti-élites qui profite à l’extrême droite ». Et pour couronner le tout, le directeur de recherche à l’Institut national des études démographies (Ined) François Héran vient ainsi conclure la dépêche : « Le fait qu’un auteur comme celui-là soit chargé d’un livre d’initiation dans une collection aussi populaire est un signe révélateur de la lepénisation des esprits. »

Au milieu de ce torrent à charge, le lecteur lambda aura bien pu entrevoir une petite voix, celle de Gourévitch lui-même, clamant son indépendance d’esprit et sa rigueur, mais le bruit de la calomnie a tout emporté. Pour l’AFP, Jean-Paul Gourévitch s’est « exprimé plusieurs fois dans des cercles d’extrême droite, comme lors des “Assises contre l’islamisation de l’Europe” organisées en 2010 par le Bloc identitaire et l’association Riposte laïque, ou dans un entretien au site Égalité et Réconciliation de l’essayiste Alain Soral ».

Et si le malheureux rétorque qu’il va « partout où (il est) invité, que ce soit à l’extrême droite, à droite, à gauche ou au centre », le poids de la dépêche incendiaire tire irrémédiablement sa défense par le fond. Même lorsqu’il assure avoir été reçu par SOS Racisme ou la LICRA, l’article précise que les deux associations antiracistes n’ont pas retrouvé trace de son passage depuis au moins huit ans. Menteur, vous dit-on.

Mais au fait, une dépêche AFP ne se doit-elle pas d’être impartiale, brute de décoffrage et comportant le moins de subjectivité possible ?

L’épidémie

Dans un mécanisme effrayant, la moindre dépêche de l’AFP, placée au rang de parole d’évangile, est capable d’irriguer toute la presse aussi bien écrite que numérique et audiovisuelle. Le cas Gourévitch n’aura pas échappé à la règle : le jour-même, 51 médias diffusaient le texte accusateur sans même avoir pris la peine de s’interroger sur le bien-fondé de l’argumentaire ou de prendre connaissance du contenu du livre. Alea jacta est !

Du service public à la presse quotidienne régionale, des générateurs de flux comme Yahoo! ou Orange aux médias spécialisés dans l’édition ; tous ont repris l’information brute donnée en pâture à chaque client désireux de combler son vide éditorial. Plus révélateur, même des médias plutôt classés à droite, comme Le Figaro, ont hurlé avec les loups – ou en tout cas se sont nourris à la même gamelle.

Certains ne se sont pas privés d’en rajouter. C’est le cas par exemple de David Perrotin qui, en se basant sur la dépêche fraîchement parue, qualifie dans Metronews M. Gourévitch de « chouchou de l’extrême-droite » en rappelant sa participation aux Assises de l’islamisation ou encore ses conférences au Local de Serge Ayoub et auprès de l’Action Française. Traces d’analyse de l’ouvrage ? Aucune. M. Perrotin s’est contenté de reprendre la dépêche AFP en pimentant son article de quelques remarques ironiques mal placées.

De son côté, L’Humanité titre carrément : « Les éditions First migrent vers l’extrême-droite » en pointant du doigt « un choix ahurissant au regard du passif de ce personnage ». L’Humanité se garde de citer la dépêche AFP qu’il ne fait que réécrire presque à l’identique. Sous la plume du Monde, Jean-Paul Gourévitch devient un auteur « de référence pour l’extrême-droite ». Et les exemples sont légion…

Début octobre, c’est Rue89 qui revient à la charge, avec cette fois-ci un recul sur les événements. Ce recul n’empêche pas la journaliste Nolwenn Le Blevennec de qualifier l’ouvrage de « tract politique déguisé en ouvrage pédagogique ». S’appuyant sur un « expert des migrations qui ne veut pas être nommé », Rue89 reproche à l’auteur de s’en référer à des sources jugées « nauséabondes », de parler sans gêne des « immigrationnistes » ou encore d’utiliser le terme de « Français de souche », que la presse reprendra pourtant quelques semaines plus tard à l’unanimité lors de l’affaire Hauchard.

Emboîtant le pas à l’AFP, la journaliste tourne en dérision le terme d’« immigration prénatale », feignant à son tour de ne pas le comprendre, et minimise l’immigration de charme (prostitution) qui, rappelle-t-elle, ne concerne « que » 120 000 personnes par an. Pourtant, 120 000, c’est déjà pas mal ! Mais passons.
La contre-attaque

Désireux de défendre son honneur et sa réputation, Jean-Paul Gourévitch s’est aussitôt rapproché de son avocat, Me Gilles-William Goldnadel, en s’attaquant directement à la source : l’AFP. Dans un courrier, que l’Ojim s’est procuré, l’avocat dénonce un article « totalement à charge » contre l’ouvrage, précisant que son client « s’étonne que la dépêche stigmatise sa participation sous forme d’entretiens ou d’interventions à des manifestations organisées par les uns en oubliant celles organisées par les autres ou en niant qu’elles aient eu lieu ».

L’avocat reproche également à la journaliste de « soumettre de façon tendancieuse des éléments de langage extraits du livre uniquement à des personnalités de gauche ou d’extrême-gauche », et termine son courrier en réclamant que l’injustice soit réparée.

Dans sa réponse, le rédacteur en chef-France de l’agence rétorque que « cette dépêche a fait l’objet d’un travail journalistique incluant une interview téléphonique avec (M. Gourévitch) de 45 minutes et le citant à plusieurs reprises ». Ainsi, celui-ci estime que le courrier de Me Goldnadel « ne démontre aucunement un préjudice subi » par l’auteur de l’ouvrage incriminé.

Autant dire que la messe est dite. Interrogé par l’Ojim, M. Gourévitch nous confie qu’il ne compte pas poursuivre l’AFP pour un procès qu’il serait extrêmement difficile de remporter au regard de l’importance et des moyens de l’agence.

Reste donc à tenter, autant que faire se peut, de stopper l’incendie. Mais là encore, il est bien trop tard. Parmi tous les médias contactés, rares sont ceux qui acceptent de toucher ne serait-ce qu’une ligne du papier, encore moins d’accorder à M. Gourévitch un droit de réponse. Une fois la machine enclenchée, il est impossible de renverser la vapeur.

Rue89, qui avait consacré un article assassin aux « Migrations pour les nuls », a cependant accepté un droit de réponse de l’auteur. Dans celui-ci, il explique que « dans sa volonté de démontrer une thèse, (la journaliste) en a oublié la simple déontologie journalistique ». Et après avoir brocardé le fameux « expert » de l’article de Nolwenn Le Blevennec qui ne voulait pas être nommé, le consultant international rappelle que « la seule recension des personnes remerciées page VIII fait apparaître, comme le lecteur pourra le constater, 33 sites, organismes ou personnes de gauche ou d’extrême gauche contre 12 de droite ou d’extrême droite et une cinquantaine d’inclassables ».

Aussi, il souligne que « le lecteur pourra constater que dans les dix débats de fond qui sont présentés sur les migrations, chacun est construit sur un modèle pédagogique indiscutable : historique- arguments du Oui- arguments du Non-Controverses, pour le laisser se faire sa propre opinion en toute liberté d’esprit ».

Et de conclure en insistant sur le fait que « si on veut combattre les thèses extrêmes ce n’est pas en camouflant des faits, des chiffres ou des données mais en les présentant sous leur éclairage parfois contradictoire à des lecteurs qui sont des adultes ».

Quant à Metronews, qui avait également commis un article à charge, le rédacteur en chef, Christophe Joly, avait tout d’abord accepté un droit de réponse de l’intéressé avant de revenir sur sa décision. Par ailleurs l’auteur de l’article, David Perottin, a menacé M. Gourévitch d’une contre-attaque en cas de droit de réponse…

« On peut en effet débattre démocratiquement d’un sujet sensible comme les migrations dans un journal grand public en faisant circuler une information honnête et sans essayer de diaboliser un auteur qui travaille depuis 25 ans sur cette question dans des organismes nationaux et internationaux et qui lutte contre les amalgames, les phantasmes et la désinformation quelles que soient leurs origines », pouvait-on lire dans le droit de réponse. Des propos dont les lecteurs du quotidien gratuit n’auront pas connaissance… Devant cet état de fait, l’écrivain a décidé de porter l’affaire en correctionnelle.

Ces démarches, en plus d’être titanesques (il est en effet impossible de se justifier auprès de 51 médias, voire plus), coûtent cher à l’intéressé. Bien plus cher en tout cas que les droits d’auteur liés à l’ouvrage lui-même, nous confie-t-il. Un chemin de croix qui n’est donc pas à la portée de tous.
Une bouteille à la mer

À défaut de pouvoir vider la mer avec un dé à coudre, l’auteur s’est contenté d’y jeter une bouteille.

Dans une tribune publiée sur le site Contribuables Associés, il estime qu’il y a « une tentative de déstabilisation d’une collection pédagogique de haut niveau et de grande audience en prêtant à un de ses auteurs des engagements qu’il récuse lui-même ».

Et de s’interroger : « Pourquoi n’a-t-on interrogé que des gens situés à gauche ou à l’extrême-gauche et non Gérard-François Dumont, directeur de Population et Avenir et professeur à l’Université Paris IV (qui depuis a d’ailleurs publié un article élogieux sur Atlantico) , Dominique Reynié , professeur des universités à Sciences-Po, directeur de la Fondation pour l’Innovation Politique, Michèle Tribalat directrice de recherches à l’INED, Malika Sorel, spécialiste des migrations et membre de l’ex- Haut Conseil à l’Intégration…. ? » Réponse : parce que le point de vue de ces auteurs ne convient pas à l’AFP, tout simplement.

Après avoir répondu point par point aux accusations de la dépêche AFP, le spécialiste s’indigne que l’on remette en cause aussi ouvertement son indépendance. « Là nous sommes carrément dans la diffamation puisqu’on laisse entendre que je ne travaille que pour l’extrême droite ou l’UMP et que mes autres allégations sont fausses », souligne-t-il.

« Cet article malveillant et tendancieux écrit par une journaliste qui n’a interrogé que des gens situés à gauche ou à l’extrême-gauche pour étayer ses dires passe volontairement sous silence l’aspect pédagogique de l’ouvrage pour diaboliser l’ auteur et l’éditeur et inciter à ne pas le lire », ajoute M. Gourévitch avant de conclure : « Quand le communiqué de presse de l’ouvrage signale que cet ouvrage entend lutter contre les fantasmes, les amalgames et la désinformation, il ne pouvait trouver de meilleure cible. »

Cette tribune esseulée, et les rares droits de réponse et modifications obtenus, c’est tout ce que Jean-Paul Gourévitch aura su tirer de ce combat de David contre Goliath.

La toute-puissance de l’AFP

C’est ainsi que le pouvoir insensé d’une agence de presse omniprésente vient, un matin, frapper à la porte de quiconque aura eu le malheur d’attirer l’attention d’un journaliste de l’AFP en conférence de rédaction. Face au fait accompli, un retour en arrière relève presque de l’exploit. Le cas Gourévitch en dit long sur le parcours du combattant qu’il faut entreprendre, à condition d’avoir l’énergie et les moyens, parcours qui ne permet en outre généralement pas d’obtenir gain de cause.

Suite à cette polémique née dans un bureau parisien, le peu d’effort des éditions First pour promouvoir l’ouvrage fut visible. Pas sûr non plus, après cette marque d’infamie collée sur son dos, qu’une autre maison d’édition « généraliste » ne fasse appel à M. Gourévitch sans y réfléchir à deux fois, et ce malgré sa grande expérience et ses compétences jamais remises en cause. C’est ce que l’on pourrait appeler « l’effet AFP ». Un effet dévastateur face auquel il n’existe, pour l’instant, aucun remède.

L’AFP est un rouleau compresseur redoutable que rien n’arrête et, surtout, que rien ni personne ne semble pouvoir contrôler. Dans une société démocratique qui se respecte, un organe de presse fournissant près de 80 % de l’information des médias nationaux ne devrait-il pas souffrir d’un contrôle plus strict et d’obligations déontologiques accrues ? En soi, cet état de quasi-monopole est-il tolérable ? Des questions qui demeurent pour l’heure bien inaudibles.

Aujourd’hui, Jean-Paul Gourévitch a fait les frais de cette créature toute-puissante qui, chaque matin, remplit la gamelle de médias affamés avides de dépêches portées au rang de vérité absolue. Demain, en allumant votre télévision ou en ouvrant votre journal, vous pourrez, qui sait, découvrir qui vous êtes ou, en tout cas, ce que tout le monde est sommé de penser de vous.

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