18 juillet 2014

Jusqu’à la nausée et jusqu’à l’absurde...



 
Jusqu’à la nausée, et jusqu’à l’absurde. Ainsi pourrait-on résumer le non-renouvellement de notre élite intellectuelle officielle depuis 30 ans, qui a mené : à un dégoût de la chose intellectuelle assimilée à la production inepte de ces imposteurs, à un effondrement de leur influence médiatique, et à la dévaluation de l’idée méritocratique. On n’ajoutera pas la honte sur la scène internationale, où la France a perdu en une génération, celle des nouveaux philosophes et de leurs inspirateurs, un crédit intellectuel qu’elle avait mis des siècles à bâtir.


« Les pharisiens et les scribes ont pris les clefs de la gnose et ils les ont cachées. Ils ne sont pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, ils ne les ont pas laissé faire. Mais vous, soyez prudents comme les serpents et purs comme les colombes. »

(Évangile apocryphe de saint Thomas, retrouvé en Égypte)


Les élites intellectuelles françaises ont empêché tout renouvellement naturel par le bas, par le mérite et le talent brut, et les purs intellectuels refusés à la porte de ce club très privé font aujourd’hui les beaux jours du Net, vendant des livres, organisant des colloques, dans l’ombre des médias qui, pas avares de double peine, les punissent une seconde fois par l’indifférence forcée. Au silence, les refusés au banquet !

En lieu et place de vrais débats avec de vrais arguments émis par de vrais penseurs, on assiste, pour les plus courageux, à des partouzes de vaniteux consanguins décatis, physiquement et psychologiquement, tous ravis d’être là et de bloquer la porte. Faux débats, faux arguments, faux penseurs. Ils pensent la même chose, et mettent toute leur énergie à bloquer la porte à la relève, en se moquant bien de la connaissance à apporter aux gens. La vérité, la recherche fondamentale, l’avancée intellectuelle, elles repasseront. L’imagination devait être au pouvoir, disaient les « étudiants » de Mai 68. Aujourd’hui, ces escrocs sont les gardiens de la stérilité au pouvoir, et les exploiteurs du rabaissement moral et culturel. Car l’ignorance, ça rapporte.


La recherche de la vérité est quand même, en théorie, leur principale tâche, ce pour quoi ils ont été moralement mandatés… ou ce pour quoi ils se sont mandatés. Car on refile le poste au copain réseauteur, au fils de, à la maîtresse, à l’épouse (qui a toujours un double nom à rallonge, noblesse oblige), au thésard bien dans la ligne, au lieu de laisser monter les énergies nouvelles qui effectivement, balayent le vieux monde intellectuel, sclérosé, dépassé, puni par le réel. Laisser la place n’est jamais agréable.

Sokal et Bricmont ont merveilleusement portraité cette petite caste issue des sites de nidification de l’EHESS, Normale sup, la Sorbonne et autres doctorats de philo où, à défaut de concepts novateurs, on invente des mots incompréhensibles (le vocabulaire remplace la découverte). Pépinières à talents creux qui, malgré une grande culture (faite du talent un peu moins creux de leurs aînés) et une réelle agilité intellectuelle, se sont montrés incapables de penser, c’est-à-dire de penser le présent, et donc un peu le futur. La plupart de « nos » intellectuels se sont plantés. Certains se sont « excusés ». C’est le drame français.

« Elle vise plutôt à appréhender ce qui se passe avant ce moment où la conscience prend possession d’elle-même  : ce qu’il y a en deçà de l’intentionnalité comme mouvement de saisissement des choses. Elle invite à vivre dans un désarmement originel, un désintéressement antérieur à l’engagement dans le monde.  »

(Ariel Wizman de la philosophie de Levinas, philomag.com)

Quand on voit – un exemple parmi tant d’autres – un Finkielkraut faire toutes ces études, écrire tous ces livres, animer toutes ces émissions de radio, pour finir par hurler, après une telle accumulation de connaissances, au péril jaune (chinois) ou vert (musulman), on se demande si ça valait la peine. Il suffit d’ouvrir un « ouvrage » de Levinas, bible du grand reporter Ariel Wizman, lire « dire humain de l’homme », et on a compris. Compris qu’il y avait peu à comprendre. Les imposteurs parlent aux imposteurs. Imposteurs, le mot est fort, car on parle ici d’imposture inconsciente : personne dans ce groupe n’a conscience de cette limite, ou de cette faillite. Ce qui fait défaut, c’est la fertilité intellectuelle, la créativité. C’est ça ou les postes. On ne peut servir Dieu et l’Argent, la Vérité et les Honneurs.


Ça ne s’élève jamais, et on y confond nébulosité et complexité. Or la complexité peut s’approcher de manière simple, mais progressive, et sans mettre le public à la porte : elle n’est pas exclusive de la clarté. C’est cette privatisation de la philosophie, cette science des sciences, qui est dommageable. Non qu’il faille tout simplifier, comme sur TF1, mais ce qui se conçoit bien s’énonce bien, tout bêtement. L’obscurité croissante des « concepts » de la philosophie française de ces 40 dernières années est un aveu d’escroquerie. C’est pour cela qu’en dessous, au niveau de l’application, dans les think tanks des partis politiques, qui auparavant s’abreuvaient aux grands courants de pensée, on ne pense plus, car d’en haut il ne tombe plus que de la poudre d’os. Il n’y a plus de vision, de lumière, d’énergie. Seul du plâtre tombe du plafond. Allez faire une politique efficace, qui emporte l’adhésion avec ça… La privatisation de la production des idées – étouffant en réalité toute idée politisable – a mené à un rétrécissement politique, qui punit en cascade tout le pays. La droite « économise » tout, tandis que la gauche s’enfonce dans le clientélisme de minorités vengeresses. Un résidu d’humanisme mâtiné de « plus jamais ça », c’est vraiment la fin de la pensée !

« Pauvres d’eux, les pharisiens ! Ils ressemblent à un chien couché dans la mangeoire des bœufs : il ne mange ni ne laisse les bœufs manger. »

Ce petit monde fermé se condamne tout seul, simplement il met du temps à sortir de scène, et l’agonie des imposteurs est doublement insupportable. Un monde qui se condamne par la consanguinité et le formatage des idées, forcément malformées. Car ces gens ne peuvent penser que leur milieu, et le maintien de leur pouvoir sur ce milieu : la production d’idées vagues et leur diffusion par les canaux de la propagande qui, notons-le, sont tout à fait compatibles. Cette pensée affadie est systémo-compatible. C’est dire… Nous voilà représentés malgré nous par une élite, non pas des Lettres ou des Idées, car rien de leur production ne résiste au Temps, même pas de leur vivant, mais du parasitisme médiatique. Ils occupent les médias comme d’autres le terrain, et ne cooptent que ce qui les sert ou leur ressemble. Imaginez, un Mehdi Belhaj Kacem déclaré « intellectuel » par BHL et ses obligés… ou Pascal Bruckner, dont la thèse d’étudiant a été dirigée par l’immense Julia Kristeva, justement piégée par Sokal et Bricmont… Il ne reste qu’à en rire.


« Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformatrice
de la gravitation quantique »

C’est le titre de l’article qui va tout déclencher. Tout part d’un canular publié dans Social Text, une revue américaine intello de gauche. Sokal, prof de physique, arrive à y refourguer une étude truffée de conneries et… de citations des intellectuels dits majeurs de l’époque, qui sont tous malheureusement français : Lacan, Kristeva, Irigaray, Latour, Baudrillard, Virilio, Deleuze et Guattari. Leur « erreur » ayant été d’emprunter des concepts neufs issus des mathématiques ou de la physique, auxquels ils ne comprenaient rien (leurs textes le prouvent de manière comique), pour appuyer leurs thèses de sciences humaines. Un renouvellement syntaxique aussi parasitaire que dangereux…

La révélation après publication de l’imposture par Sokal provoque un tremblement de terre à Paris. Aussitôt, l’intelligentsia fait bloc et vole au secours des éléphants tombés dans les trous à piques. Car c’est un massacre. Pour se défendre, on invoquera un plan anti-français, une attaque des sciences dures contre les sciences molles, la jalousie américaine (d’après Kristeva), un dérapage de la scientificité… Aucun des intellectuels visés n’avouera l’inanité de ces emprunts douteux. Michel Serres avec « sa » théorie du chaos ou le principe d’incertitude d’Heisenberg, Lacan avec son « organe érectile… égalable à la racine carrée de moins 1 de la signification plus haut produite... »

Une véritable dérive, autorisée par la sacralisation de ces Grands Maîtres, choisis par le système pour leur inoffensivité, car ils ne remettent finalement, derrière leur rébellion de façade, rien en cause. Et surtout pas eux. On n’est pas loin des bûchers de Muray, pourtant issu de l’écurie Sollers. La chute de la pensée 68 sera d’autant plus dure. Mais elle aura mis 40 ans à s’effondrer sur elle-même…



« Dans le nouveau monde, on ne retrouve plus trace du Mal qu’à travers l’interminable procès qui lui est intenté, à la fois en tant que Mal historique (le passé est un chapelet de crimes qu’il convient de réinstruire sans cesse pour se faire mousser sans risque) et en tant que Mal actuel postiche. C’est évidemment dans ce second cas de figure que l’on entend le mieux grésiller, tout au fond de la gorge des vertueux accusateurs, les flammes de l’enfer qu’ils ont recueilli en eux-mêmes, tout en l’épurant à la surface du monde, et qui crépitent haut et clair dans les vocables antiques qu’ils emploient (“populisme”, “fascisme”, “réactionnarisme”, “archaïsme”, etc.), sans cesse et sans fatigue, avec un acharnement troublant et gâteux, troublant parce que gâteux, dans le but qu’aucune question ne soit posée sur la réalité actuelle, c’est-à-dire sur leur œuvre. »


(Entretien avec Philippe Muray sur Parutions.com)
Ils ont apporté beaucoup de choses… à eux-mêmes


La contradiction, pourtant sève du monde intellectuel, est bannie. Se développe alors un système intellectuel parallèle, éloigné des médias, qui touche plus sûrement les gens, ceux qui n’ont pas le temps de travailler concepts et idées, comme le boulanger travaille pâte et pâtons. Chacun son boulot. L’intellectuel lui, est jugé sur sa capacité à produire des articulations abstraites qui tiennent la route, un temps au moins, celui d’une vie, et qui changent la vie des gens, de manière directe (le marxisme, le christianisme) ou indirecte et au départ invisible (la conscience).

L’inventeur de la déconstruction a fini
par se déconstruire lui-même

Ce n’est pas du populisme intellectuel, simplement le job de l’enseignant professionnel hors structure. Car un intellectuel est seul : même s’il a des amis, dans sa recherche il est seul. Avec une prise de risque majeure : prendre un chemin foireux, et s’y enfoncer. C’est arrivé à plus d’un, qui ont largué en route leur atout numéro un : l’humilité. Humilité et travail sont les plus sûrs outils de l’intellectuel non aligné. C’est d’ailleurs la seule option-refuge des bannis. Sinon, il devient un de ces ectoplasmes publics, qui viennent soigner leur vanité sous les lumières des médias. Le vrai chercheur, lui, doit abandonner toute vanité : non seulement c’est la bonne et seule attitude pour la réception du savoir, mais les vanités prennent toutes le même chemin. La vanité, avec son cortège de récompenses officielles, bloque toute productivité intellectuelle. On ne travaille alors plus pour la connaissance mais pour la récompense, ce qui n’est pas la même chose, même si elles peuvent se croiser. Comme la morale croise parfois la route de l’intérêt (le capitalisme humaniste, ou durable). La caste intellectuelle française officielle ne produit donc plus rien de solide, à part ce qui conforte un système qui les valorise et satisfait leur vanité. Les tuyaux imposent le contenu, le média fait le message. Le message a perdu. C’est le prix à payer, le petit prix faustien. L’abandon de découvertes originales socialement et économiquement douloureuses pour leur créateur contre un peu de propagande bien payée. Ces gens ne sont pas méchants, ils sont juste humains.

La faillite de notre philosophie, qui a mené à BHL, c’est-à-dire à rien, c’est l’histoire d’un langage qui ne se connaît pas et qui prétend englober les autres pensées, scientifique, religieuse, politique. Loupé. Les philosophes devront muscler leur jeu pour retrouver crédibilité et contact avec les gens simples.


« Il existe une contribution majeure des sciences humaines françaises à la culture moderne, d’inspiration linguistique, psychanalytique et phénoménologique : les auteurs de cette contribution – qu’on appelle French Theory et à laquelle appartiennent des chercheurs comme Barthes, Lacan, Foucault, Derrida, Deleuze, voire même Kristeva – ont opéré ce que Mallarmé appelle “un démontage impie de la fiction”. Autant dire que nous avons essayé d’analyser les mécanismes du sens qui constitue le mystère de l’aventure humaine, en la désacralisant sans doute, mais sans la dévaloriser ; au contraire, en reconstituant, en ranimant sa vitalité. Des structures élémentaires de la parenté aux mythes des peuples primitifs, mais aussi aux mythologies des médias français, en passant par la folie, les prisons, la poésie, le langage enfantin, les pouvoir de l’horreur, le discours amoureux ou les nouvelles maladies de l’âme, nous avons démontré comment se fait et se défait le Sujet et ses significations. »

(Extrait de la lettre à la ministre)

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