17 juillet 2014

C’est la guerre, la guerre civile et cela devrait nous faire peur...

Les deux textes ci-dessous complètent la thèse de Dagmar Henn (Le gouvernement allemand n’est pas le vassal des États-Unis, c’est de son propre chef qu’il agit comme leur complice), que nous avons publiée le 10 juillet 2014.

Elle nous paraît intéressante, car elle reflète un point de vue sur l’Allemagne depuis l’intérieur de l’Allemagne, ce que nous ne sommes pas habitués à lire dans la presse francophone.

The french Saker

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Editorial [extrait]

C’est la guerre, la guerre civile – et la majorité de la gauche dans ce pays suit les événements avec inquiétude, mais s’abstient d’agir. Un pays est livré aux hommes de main (sbires) de l’Impérialisme et livré aux bandes de tueurs fascistes – et la majorité des gens de gauche de ce pays ne s’y opposent en rien. Il ne s’agit quand-même pas de la première guerre civile, ce n’est pas la première fois que des fascistes font partie d’un gouvernement dans un pays européen.

Il y a aussi l’effet de la résurrection d’une ancienne image d’ennemi (le bouc émissaire) : depuis les despotes russes jusqu’à la tyrannie de Staline, et il y aurait donc maintenant un nouveau dictateur qui sévit, on le compare à Hitler [NDLT : Poutine] , alors la gauche se détourne, mal à l’aise, sans contredire.

On avait encore besoin de parler d’Auschwitz, pour pouvoir gagner la participation des membres du SPD (NDLT : Sozialdemokratische Partei Deutschlands, alias Parti social-démocrate d’Allemagne) et des Grünen (NDLT : les Verts) à la guerre menée pour écraser la Yougoslavie. Depuis ce temps là, la Bundeswehr (NDLT : l’armée allemande) se bat de façon responsable pour les droits de l’homme dans le monde entier.

Alors : « Business as usual » (NDLT : Affaires courantes) au regard de l’Ukraine ? Quelle dose de fascisme pouvons-nous accepter dans ce nouveau partage du monde ?

Le capital Allemand n’a peur de rien. Même le danger d’une guerre est accepté. La gauche allemande est paralysée, peu d’entre-eux trouvent les paroles justes. Mais de bonnes paroles ne suffisent pas. La déclaration du Comité directeur de parti de DKP (NDLT : Deutsche Kommunistische Partei, alias Parti communiste allemand) doit être mise en œuvre, des groupes du Parti et les mouvements de la Paix doivent être activés, utilisons la fête de la Presse pour discuter les questions brûlants !

Réfléchissons aux moyens qui peuvent mobiliser les gens contre les massacres dans l’Est de l’Ukraine : des moyens accessibles à tous pour pouvoir se mobiliser contre le gouvernement allemand, qui s’engage avec le fascisme et prend le risque d’une guerre pour défendre les intérêts des monopoles.

Hans-Günter Szalkiewicz et Klaus Lindernehmen prennent position ici en donnant beaucoup d’arguments. Dagmar Henn nous informe sur les rebelles, dont les circonstances les emmènent à faire des pas vers le socialisme.

Le thème du fascisme est là, tout près de nous. Nous devons contrôler les défauts et la mauvaise tournure que le mouvement antifasciste prend en Allemagne vis-à-vis de l’Ukraine et trouver les moyens de les contourner.

Touchez-pas à l’Ukraine ! [Extrait]

Le fascisme est de retour en Europe – non, ce n’est pas la première fois que des fascistes font partie d’un gouvernement dans un pays européen. Mais le nouveau gouvernement de l’Ukraine, arrivé au pouvoir après un coup d’état, dévoile sans gène sa nature terroriste, il poursuit les juifs, les antifascistes et les communistes, il les persécute et les brûle, les frappe à mort, tout en se vantant orgueilleusement de ces massacres. Le fait même que ces acolytes des oligarques et des impérialistes ont pu prendre l’ascendant sur le gouvernement est intimement et crucialement lié à la participation de l’impérialisme allemand.

Le « bloc néolibéral-fasciste », c’est à dire l’organisation ukrainienne Union Borotba, n’aurait jamais pu emmener l’Ukraine dans sa perte sans l’Union européenne dirigée par l’Allemagne.

Malgré cela, ce n’est pas leur représentant, comme c’était planifié, qui se trouve à la tête, mais celui de l’impérialisme US.

L’impérialisme US cherche à transformer toute l’Ukraine en un territoire de crise permanente (1), promouvant l’impérialisme allemand. Cette stratégie double, faire d’un coté des affaires avec la Russie tout en essayant de positionner agressivement autour de la Russie autant de pays que possible, est de plus en plus dangereuse.

Contrairement à la propagande selon laquelle « l’Occident » serait totalement uni pour promouvoir la liberté et la démocratie en Ukraine, il règne en réalité une concurrence très forte entre les États-Unis et l’Allemagne. L’enjeu est de dominer, non l’Ukraine, mais tout l’Est de l’Europe. Les impérialistes sont en compétition entre eux, dans une surenchère.

L’intervention offensive impérialiste en Ukraine en faveur des forces ultra réactionnaires et fascistes est le deuxième volet du tabou de l’impérialisme allemand au niveau de sa politique étrangère depuis 1990, l’année de l’annexion de la DDR [NDLT : Deutsche Demokratische Republik alias L'ex-Allemagne de l'Est]. Depuis sa participation à la guerre offensive contre la Yougoslavie, contrairement au droit des peuples, et à la destruction de ce pays (un État qui a vu le jour après la bataille contre le fascisme allemand), l’Allemagne revendique de nouveau une place sur la tribune politique internationale. Et avec l’installation d’un gouvernement dominé par des fascistes et qui leur donne la main-mise sur la police et l’armée, il devient évident au public que le capital allemand ne recule devant rien dans ces batailles d’influence et de pouvoir contre ses concurrents impérialistes.

Cela devrait nous faire peur. Cela nous concerne.

La journée d’action du 31 mai 2014 était un bon prélude, mais elle a prouvé que la gauche (Die Linke) n’est pas en mesure d’exposer la politique de ceux qui règnent, de briser l’hystérie des médias contrôlés par l’État et de mobiliser suffisamment les mouvements démocratiques et des travailleurs. En cause, un manque de connaissance inquiétant, qui a minimisé l’importance des fascistes Ukrainiens et les a même idéalisés, et surtout un manque de clairvoyance concernant la Russie. Les responsables sont tous les impérialistes, on insinue aussi des intérêts impérialistes en Russie.

C’est ainsi que la gauche (Die Linke) participe à la construction d’une image de la Russie comme celle d’un ennemi (Feindbild), comme c’était déjà le cas avant 1914, quand Bebel [NDLT : August Bebel, figure majeure de la social-démocratie révolutionnaire allemande à la fin du XIXème siècle] trouva qu’une guerre contre la Russie des Tsars était justifiée, étant donnée la situation de barbarie existante. Mais l’Ukraine est aussi un test, avec comme cible la Russie : « Celui qui possède Kiev pourra contraindre la Russie » (2)

Il existe aussi des contradictions à l’intérieur du DKP, comme l’énonce clairement Hans-Günter Szalkiewicz dans une lettre du 25 mai 2014 adressée notamment aux dirigeants du DKP, du KPD, de l’Alliance amicale révolutionnaire et à l’orateur de l’initiative communiste Gera 2010.

Hans-Günter Szalkiewicz demande une discussion sur la situation conflictuelle en Ukraine et sur les instigateurs de ce conflit. La lettre ne pourra être représentée ici de façon brève. Sa conclusion déterminante est que la Russie n’est pas l’agresseur et ne porte aucune responsabilité, même partielle dans la situation actuelle.
Mettre la Russie au même niveau que les puissances hégémoniques impérialistes est nettement réfuté, et serait contraire aux intérêts des antifascistes avec la Russie, particulièrement en ce qui concerne la question Ukrainienne.

Cela ne doit nous ammener à conclure que la Russie soit en règle général une puissance de paix. On n’a même pas besoin d’être accord avec tous les aspects de la lettre pour pouvoir constater qu’il s’agit d’un pas en avant en face de la confusion régnante, quand une position claire est prise contre l’assertion que la Russie serait l’agresseur, qu’un appel de soutien pour les antifascistes en Ukraine est lancé et que le danger grandissant d’une guerre est clairement énoncé.

Si la lettre constitue une base importante de discussion, nous voulons par contre ne pas anticiper la discussion à laquelle appelle l’auteur. Car la preuve que la Russie n’est pas un pays impérialiste, a malgré tout besoin d’une analyse fondée sur les bases de la théorie léniniste de l’impérialisme et donnera pas mal de travail.

L’enjeu est la survie de la population, et aussi de déjouer une dictature fasciste. Il s’agit de contrer un développement, qui pourrait provoquer un « feu mondial » (Weltbrandes), comme constate Hans-Günter Szalkiewicz. Sevim Dagdalen a cité Brecht au Bundestag : « Celui qui ne connaît pas la vérité est simplement un idiot, mais celui qui la connaît et qui l’appelle un mensonge est un criminel ».

On pourra continuer ici la logique : « Celui qui sait et qui n’agit pas ne prend pas sa responsabilité envers sa classe. » Entendez donc l’appel à l’aide : « Ne permettez pas qu’ils nous tuent ! »

Renate Münder
Traduit par Michel pour vineyardsaker.fr


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Sources et remarques :

(1) Rainer Rupp, Ziel Moskau, in jW vom 15.5.2014, S.10

(2) Le futur secrétaire et Président (Reichskanzler) Bernhard von Bülow 1887.
(selon Reiner Zilkenat, historien : « Wer Kiew hat, kann Russland zwingen » (celui qui tient Kiev peut contraindre la Russie), tiré de : « Weltkriege, Beilage der jW vom 7.5.2014 : Die Ukraine und die Deutschen Kriegsziele im Ersten Weltkrieg » (L’Ukraine et les objectifs de guerre allemands lors de la première guerre mondiale).

Source de l’article traduit : Hände weg von der Ukraine, revue Theorie und Praxie, édition 36, juin 2014 [PDF - allemand]

Editeur : Groupe de travail science-politique socialiste. Erika Beltz, Michael Beltz, Achim Bigus, Johannes Magel, Renate Münder, Tina Sanders, Hans-Günter Szalkiewicz, Wolfram Triller, Hans -Heinz Holz (1927-2011)

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