22 février 2014

Pourquoi le Venezuela explose maintenant ?

Les (Paul : étudiants) Vénézuéliens descendent dans les rues, à Caracas et en province, pour exprimer leur ras-le-bol, malgré la brutalité de la répression. Pourquoi maintenant ? Il y au moins trois motifs d'insatisfaction.

D'abord, les pénuries des denrées de première nécessité : le manque de papier toilette est devenu un symbole, mais les rayons d'aliments sont également assez mal fournis. Le Venezuela, jadis pays d'agriculture et élevage, importe aujourd'hui presque tout. Le pays n'a jamais été aussi dépendant du pétrole, malgré les discours « souverainistes » de l'ancien président Hugo Chavez. Les importations dépendent du contrôle des changes, soumis à des autorisations discrétionnaires, qui favorisent les combines. La gabegie d'une gestion concentrée dans des mains incompétentes et la corruption sont les principales raison de la crise économique.

Deuxième motif d'insatisfaction : l'inflation record (56 % en 2013) ronge le pouvoir d'achat, surtout des plus pauvres. La flambée des prix limite la possibilité de recourir au marché noir pour s'approvisionner.

Troisième facteur : l'insécurité croissante. Le chiffre de 25 000 homicides par an est un indicateur terrifiant : il y avait 5 000 en 1998, lors de la première élection de Chavez. Il faudrait y ajouter les extorsions, les cambriolages, les enlèvements, les agressions.

Ces trois facteurs touchent toutes les couches de la population, ils ne sont pas l'apanage de la classe moyenne, qui a certes d'autres motifs de mécontentement (ainsi, le contrôle des changes entrave les possibilités de voyager à l'étranger).

Il y a enfin un effet cumulatif : quinze ans au pouvoir ne permettent plus de rejeter toutes les fautes sur l'ancienne Quatrième République, comme avait l'habitude de le faire Chavez. Impossible de se dérober.

L'économie et l'insécurité sont donc les principaux carburants des manifestations, qui ont trouvé dans le mouvement étudiant un détonateur et un catalyseur. Partie de province, la mobilisation des universités a atteint Caracas et l'ensemble du pays.

Contrairement à l'image de privilégiés qu'en donnait Chavez, les universités publiques sont depuis longtemps un lieu de brassage social. D'ailleurs, le nom de l'ancien dirigeant étudiant Stalin Gonzalez (devenu député) ne dénote pas vraiment une origine bourgeoise. L’Université centrale du Venezuela, à Caracas, a toujours penché à gauche et même à l'extrême gauche, à l'époque des guérillas.

Outre les difficultés du présent, la jeunesse exprime aussi son inquiétude concernant l'avenir. Quelles perspectives et débouchés peut lui offrir une économie exsangue, soumise à l'irrationalité et au pillage ? Le Venezuela est une puissance pétrolière aux pieds d'argile.

L'après-Chavez

Le président Nicolas Maduro marche-t-il sur les pas de Chavez ? Maduro n'a ni le charisme ni le talent de son mentor. Chavez était un animal politique et médiatique, capable de retomber sur ses pieds après chaque déconfiture. Maduro, lui, est incapable à la fois de rassurer ses partisans et de se faire entendre de l'opinion en général. Il paye le prix de la personnalisation à outrance du chavisme, typique du populisme nationaliste (tout comme le péronisme ou le castrisme). A l'entendre, on a parfois l'impression que Maduro évolue dans une bulle, croyant sa propre propagande, comme si le Venezuela vivait vraiment dans le « suprême bonheur ».

Le gouvernement vénézuélien n'a jamais été aussi pléthorique, il comprend une centaine de ministres et vice-ministres, sans compter les dirigeants d'entreprises publiques. Si le lieutenant-colonel Hugo Chavez a désigné un civil comme successeur, Maduro, l'emprise des militaires s'est accrue. Au sommet de l'Etat on trouve aussi bien les anciens officiers putschistes de la réserve, qui avaient suivi Chavez dans les deux tentatives de coup d'Etat de 1992, que la hiérarchie actuelle. Maduro n'a pas sur l’institution militaire la même autorité que son prédécesseur. Ni les mêmes contacts que le numéro deux du régime chaviste, le capitaine Diosdado Cabello, président de l'Assemblée nationale.

Nicolas Maduro avec sa femme et le capitaine Diosdado Cabello, président de l'Assemblée nationale, le 4 février à Caracas.
Photo: Carlos Garcia Rawlins/Reuters

Quand Maduro et Cabello évoquent le danger d'un coup d'Etat, parlent-ils vraiment de l'opposition ou bien d'une déstabilisation provenant de l'intérieur du chavisme ?

Un putsch militaire n'est pas possible sans les forces armées. L'opposition n'en a pas les instruments ni les moyens.

Au Venezuela, le pouvoir contrôle étroitement l'armée ; en outre, il s'est doté d'une milice paramilitaire, rattachée directement à la présidence de la République. En plus de ces deux corps, les « collectifs » et autres organisations armées chavistes sévissent à l'occasion, comme on a pu le constater lors des dernières manifestations.

L'environnement régional

Pas plus la Colombie voisine que les Etats-Unis ne cherchent le renversement du régime vénézuélien. Washington a bien d'autres soucis. En revanche, il faudrait s'interroger sur la partition jouée par Cuba dans la crise. Il n'y a pas que des médecins cubains sur le terrain. Les services de renseignements cubains sont très actifs, les conseillers de La Havane sont présents à toutes les instances.

Maduro était l'homme formé et choisi par les Cubains, mais il n'est pas à la hauteur. Pour parer à toute éventualité, la direction cubaine cherche à sortir de sa dépendance à l'égard du pétrole vénézuélien et diversifie ses partenaires. Dans une certaine mesure, elle se situe dans l'après-Chavez. Le problème à Cuba est que l'orientation politique est hypothéquée par la Sécurité de l'Etat, incapable de se projeter dans l'après-guerre froide et de sortir des vieux schémas. Les « segurosos » cubains, dans l'île et à l'étranger, jouent la politique du pire, car ils croient à leur survie uniquement en eaux troubles.

« Le Venezuela n'est pas l'Ukraine », a déclaré Maduro, néanmoins solidaire de son homologue Viktor Ianoukovitch. Certes, mais il n'empêche que leurs mentalités ont été formatées au même moule. Un modèle peu enclin au dialogue, à la négociation, à la recherche du consensus, aux concessions, bref à toutes les vertus indispensables pour panser les blessures d'un corps social écartelé.

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