24 janvier 2014

"La soif de gloire est une épidémie qui dérobe les Hommes de leur jugement, séduit leur vanité, trompe leurs intérêts et corrompt leur conscience"

En 1899, le grand intellectuel libertarien William Graham, de l'université de Yale, a prononcé un discours dans lequel il nous mettait en garde du fait que la guerre Hispano-Américaine allait franchir le Rubicon pour finalement transformer la république constitutionnelle en un empire. L’empire est ce qu’ont fui les pèlerins, ce contre quoi s’est dressée la révolution. Au sein d’un empire, le citoyen n’est aux yeux de ses souverains rien de plus qu’un esclave des taxes et de la chair à canon. Les Américains, a-t-il dit, deviendraient bientôt exactement ce que leur pays avait été fondé pour combattre.

Il intitula son discours ‘The Conquest of the United States by Spain’ pour souligner le fait que la guerre Hispano-Américaine, un conflit de conquête impérialiste, n’était pas différent des conflits agressifs qui ont divisé les vieilles nations de l’Europe des siècles durant. Ayant dévoué sa vie d’adulte à des fins intellectuelles en matière de politiques économiques, William Graham Sumner était un visionnaire. Il savait ce que deviendraient les Etats-Unis une fois qu’ils auraient emprunté le chemin de l’empire. Voici certaines de ses observations :

La guerre Hispano-Américaine, comme les autres conflits impérialistes, a été justifiée par des affirmations sensationnelles qui pouvaient aisément être démenties. L’Espagne n’a jamais menacé les intérêts des Etats-Unis, et aurait été la dernière à vouloir manigancer le sabotage du navire de guerre Le Maine, calamité qui a propagé la fièvre de la guerre et poussé les masses à supporter l’idée de conflit. Les intellectuels tels que Sumner ont aisément su lire entre les mensonges du gouvernement, mais cela n’a pas été le cas de la population ignorante.

Est-il approprié pour un homme d’état de mentir et de manipuler le public pour qu’il le soutienne dans une guerre d’agression ? C’est bien entendu là la définition la plus récente des qualités d’un homme d’état, qui est apparue alors que Lincoln poussait les citoyens des états du nord à croire qu’un conflit était nécessaire avec les citoyens des états du sud pour forcer ces derniers à verser des impôts à l’Etat, comme il l’a promis dans son premier discours d’investiture. Jusqu’à ce jour, la propagande du parti Républicain est diffusée par le Claremont Institute, et Hillside College prétend offrir des cours sur le sujet de la gouvernance du type de celle que moquait Sumner.

Si l’auto-gouvernance des citoyens de l’empire Espagnol était la raison ostensible de la guerre, pourquoi le public Américain n’a-t-il pas été impliqué dans l’instigation de la guerre ? Aucun sondage n’a été mené. Voilà qui rend encore plus frappants l’essai de Randolph BourneLa Guerre est la Santé de l’Etat’, dans lequel il souligne que le public n’est jamais mêlé aux préparatifs de guerre. Ceux qui la pensent ne sont jamais qu’une douzaine d’hommes de la branche exécutive du gouvernement, cachés même des membres élus du Congrès et du Parlement, qui complotent pour la guerre.

La guerre n’était-elle rien de plus qu’un exemple de cours d’éducation civique digne de l’école publique ? Sumner se moquait de l’idée promue par le parti de la guerre qui voulait que les Américains ne soient intéressés qu’à apprendre la démocratie et l’auto-gouvernance aux Philippins, puis partir une fois que ce serait fait. Sumner ne pensait pas que les Américains quitteraient un jour les Philippines. Et ils y sont encore aujourd’hui.

Les conflits impérialistes détruisent le principe de démocratie. Bien que l’interventionnisme Américain ait été présenté au peuple Américain comme un moyen de répandre la démocratie, Sumner souligne que de telles tactiques ont forcé l’Espagne vers la monarchie et la banqueroute. Ces faits sont bien entendu ignorés par le parti Américain de la guerre.

Pourquoi les Américains pensent-ils avoir une mission de civilisation ? La réponse à cette question rhétorique se cache derrière la déification d’Abraham Lincoln par le parti Républicain au cours de ces trente-cinq dernières années. Sa déification nous a amenés à la déification de la présidence en général, mais aussi à celle du gouvernement fédéral. Comme Robert Penn Warren l’a écrit dans son livre The Legacy of the Civil War, le parti républicain d’avant-guerre disait posséder un ‘trésor de vertu’ supposé justifier les actions du gouvernement quelles qu’elles soient. C’est ce qui a justifié la participation des Etats-Unis à la seconde guerre mondiale, par exemple. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui "l’exceptionnalisme Américain". Sumner a souligné l’absurdité de la rhétorique de Lincoln selon laquelle ‘tous les Hommes sont égaux’, puisque, semble-t-il, il est libérateur pour les autres que d’être gouvernés par les États-Unis.

William Graham Sumner nous a expliqué que le fait même de percevoir d’autres comme étant des sous-humains mène à la tyrannie et à la cruauté. Cela a été le cas avec le gouvernement des États-Unis, mais également d’autres gouvernements qui, au cours de l’Histoire, ont régné sur d’autres empires. C’est bien sûr ainsi que fonctionnent les empires. Les citoyens des états du sud étaient démonisés pour que soit justifié le génocide de dizaines de milliers d’enfants, de femmes et de vieillards et le bombardement de villes comme Atlanta et Richmond tout au long de la Guerre Civile. Les Indiens d’Amérique ont été présentés comme des sauvages alors que les braves hommes des Etats-Unis les assassinaient par milliers entre 1865 et 1890. Et aujourd’hui, c’est le tour des Philippins. Plus de 200.000 Philippins ont été massacrés par les Etats-Unis pour avoir voulu se séparer de l’empire Américain. Selon l’historien Joseph Stromberg, seuls 15.000 d’entre eux étaient des combattants.

L’idée de devoir concevoir un gouvernement pour les autres peuples est une propagande de guerre que Sumner trouve arrogante et hypocrite. Cet argument a été utilisé à de nombreuses reprises au fil des générations de politiciens impérialistes. Un récent exemple en est le discours d’Obama le 25 septembre 2012 devant les Nations Unies, lors duquel il gratifiait le membre de la CIA Chris Stevens, assassiné lors de l’attaque de l’ambassade Américains de Benghazi, en Lybie, après y avoir été envoyé en tant que représentant du président. Il y avait été envoyé, nous a dit Obama, pour imaginer ‘un futur pour la Lybie et les Lybiens".

La prochaine fois que vous verrez un drapeau Américain géant couvrir le terrain de foot avant un match de la NFL ou des avions de chasse avant un quelconque autre évènement sportif, ou que vous verrez des gens vêtus de t-shirts à l’effigie du drapeau Américain regarder le tournoi de golf ‘President’s Cup’, ou que vous verrez des Américains ivres crier ‘USA ! USA !’ du fond du bar, ou les verrez dans une église écouter un sermon en l’honneur des ‘héros’ Américains qui ont assassiné des hommes dans d’autres pays, pensez à ce commentaire de William Graham Sumner : "la soif de gloire est une épidémie qui dérobe les Hommes de leur jugement, séduit leur vanité, trompe leurs intérêts et corrompt leur conscience".

L’essence du militarisme est de haïr les constitutions, d’ignorer les parlements et d’observer les populations civiles avec mépris. Les néo-conservateurs, de Limbaugh à Hannity en passant par Levin, ont adopté le slogan ‘le 11 septembre a tout changé’, et le brandissent à chaque fois que quelqu’un comme le juge Andrew Napolitano prétend que le gouvernement a ignoré la constitution en mettant en place son réseau d’espionnage de lignes téléphoniques et internet et le Patriot Act. Tous les présidents Américains ont simplement ignoré le Congrès et observé pour la plupart leur populace avec le plus profond dédain.

Sumner nous a expliqué comment le parti de la guerre a adapté l’argument qui veut que les temps aient changé à la guerre. Il est similaire à l’argument de Lincoln selon lequel nous devons "penser d’une manière nouvelle", qui signifie aussi "ignorons la Constitution".

Le militarisme détruit la prospérité capitaliste. Sumner a observé qu’à la fin du XIXe siècle, les Européens étaient affairés à travailler, à investir, à monter des entreprises et à améliorer leur niveau de vie pacifiquement sous un système capitaliste qui ne se souciait que très peu du militarisme. Un tel comportement est un véritable poison pour l’état, qui le considère être un ennemi mortel. Quand les partis de la guerre Européens ont commencé à militariser la région, Sumner a décrit la manière dont les dépenses gouvernementales ont étouffé le secteur privé au point d’handicaper le capitalisme Européen jusqu’à le rendre inefficace. C’est là l’effet direct de la militarisation en particulier et des gouvernements en général. A l’époque de Sumner, les Etats-Unis étaient sur le point de se lancer dans la même voie de destruction économique que les Européens.

Comment saurons-nous que les Etats-Unis seront devenus tels les vieux empires d’Europe ? La réponse qu’apporte Sumner à cette question est que les Etats-Unis se noieront sous la dette, la taxation, la diplomatie, la gloire, l’armée, les dépenses et l’impérialisme. Voilà qui définit depuis un certain temps déjà la société Américaine.

Le grand ennemi de la démocratie est la ploutocratie. Le militarisme nourrit la ploutocratie au travers du capitalisme de copinage, de la diversion du regard du public loin des problèmes économiques réels, des dépenses qui bénéficient une poignée de corporations, et de dépenses et de dettes qui renforcent la puissance des puissants et affaiblissent les faibles. C’est là bien entendu la définition exacte de l’état providence et guerrier des Etats-Unis financé par la Fed, qui a enrichi les 1% aux dépens des autres comme l’expliquent David Stockman dans The Great Deformation: The Corruption of Capitalism in America, et Hunter Lewis dans Crony Capitalism in America. C’est également le thème principal de mes livres The Real Lincoln; Lincoln Unmasked; Hamilton’s Curse; et How Capitalism Saved America.

Au vu de tous ces points, il est facile de comprendre pourquoi l’une de mes connaissances, qui est un diplômé de Yale, m’a récemment dit que, parmi toutes les peintures et photographies de professeurs de l’université de Yale qui décorent la bibliothèque et les autres bâtiments du campus, aucune ne porte le visage de William Graham Sumner.

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