19 septembre 2013

Crocodile au repos


J'ai pris tout mon temps pour parler du jeûne. Que dis-je ? Pas du jeûne, vaste continent si j'en juge par le peu que j'en ai découvert, mais de mon expérience du jeûne.

Jeûner, c'est cesser de se nourrir.


Ayant l'habitude de dîner tôt (on s'est habitué à cette énormité sémantique : dîner signifie maintenant prendre le repas du soir, alors qu'étymologiquement, c'est celui du jour, dies) et de me contenter d'un verre d'eau au lever, je jeûne donc près de 18 heures par jour, depuis plusieurs années.

Cette fois-ci, sur plusieurs sollicitations, dont celles de mon corps chargé en toxines et en douloureux cristaux, j'ai sauté un grand pas : j'ai jeûné une semaine.

Mme VJ, au début, ne voulait pas m'accompagner. Elle s'y est ensuite résolue, mais un peu à reculons.

Comme il me paraissait impossible de jeûner sept jours chez moi, sans aucune notion de la pratique du jeûne, de ses difficultés, des éventuels risques qu'il peut induire, et que nous aimons marcher, nous nous sommes inscrits dans l'un des lieux affiliés à l'organisation "jeûne et randonnée", à Mouriès, dans les Alpilles.

Nul doute que le cadre et l'encadrement ont été une aide précieuse à la réussite de ce projet.

Car, disons-le tout de suite : ce fut un succès, à plusieurs titres.

Un succès ? Mieux : une véritable révélation.

Mais faisons d'abord le récit de cette aventure.

Pesant 94 kg pour 1.78 m, j'étais en surpoids. Lorsque je cessai de pratiquer les arts martiaux à 40 ans, pour cause de manque de temps, je passai de 75 à 95 kg. Peu d'activité physique, une nourriture riche (vin, fromage) mais plutôt végétarienne. Bureau, voiture, ordinateur, téléphone. Douleurs chroniques dans les épaules,les cervicales, les lombaires. Un point constant sous le nombril. Deux crises de calculs en 5 ans.

Les cures thermales améliorent un peu cela, mais je savais bien que l'alimentation était la cause principale de ces déboires.

L'adoption des jus de légumes il y a trois mois m'avait déjà permis de perdre 4 kg de graisse superflue, sans efforts ni effets secondaires désagréables.

Mais, et c'est à mon avis la question principale, qui se pose à tous, l'obstacle majeur : comment changer d'alimentation ? Facile à dire, demain j'arrête, mais difficile à faire, sauf à avoir une volonté de fer, pas trop rouillée. Et puis, il y a les restaus, les parents, les enfants, le milieu, quoi, qui continue sur sa lancée et vous entraîne, emportant toutes les bonnes résolutions comme une crue emporte des feuilles mortes.

Oyez, braves gens : une semaine de jeûne rénove tout, met tout à plat. La reprise alimentaire, si elle est bien faite, est l'occasion idéale de changer de trajectoire et d'habitudes.

Quelques jours avant le début, nous avons reçu les instructions pour la descente : sur plusieurs jours, diminuer puis cesser les aliments carnés (viande, oeuf, fromages), puis les protéines végétales (légumineuses), les féculents, pour peu à peu se contenter de légumes crus et cuits, et de fruits.

Puis, à J - 1 : une vigoureuse purge au jus de pruneau pour chasser le contenu des intestins; car, ça coule de source, quand on cesse d'engouffrer de la nourriture, rien n'appuie plus sur les fèces qui alors fermentent, se putréfient, et risquent de vous empoisonner.

Nous sommes partis un samedi matin en pleine chaleur, à jeun depuis la veille au soir. Sept heures de route ont été pénibles à cause d'une énorme circulation, mais pas de problèmes du côté de la sphère digestive, ni de l'humeur.

A l'arrivée, on a fait connaissance avec le staff, les GO, quoi, et les 11 autres jeûneurs, hommes et femmes (1/3 d'hommes pour 2/3 de femmes, comme toujours), de 25 à 71 ans.

Sur treize, huit n'ont jamais jeûné, une entame son huitième jeûne, un autre le cinquième.

N'étant pas journaliste, je n'ai pas tenu de journal. Je livre donc mes impressions en vrac.

Un tour de table sur les motivations de chacun fait ressortir des thèmes récurrents : se nettoyer, perdre du poids, retrouver la forme. Il y a peut-être d'autres motivations plus intimes, mais elles n'apparaissent pas. Moi, j'ajoute : faire une expérience inconnue, et surtout partir à la découverte des mécanismes de la faim.

Mes amis des premiers temps se souviennent peut-être que j'ai tenu un autre blog, sur le sujet pour moi éternellement sensible de la faim, cette pulsion torturante.

Jean-Pascal, le guide de la cordée, nous décrit les symptômes possibles qui risquent de survenir, dans ce qu'il appelle un "jeûne détox", pour le différencier des jeûnes dits "longs", et/ou "thérapeutiques".

Nous risquons d'avoir des migraines, la langue chargée, l'haleine pourrie, des nausées, des fatigues, et une crise d'acidose.

Pour faire bref, tout le monde a eu plus ou moins, plus ou moins rapidement, plus ou moins longtemps, tout ou majeure partie des symptômes.

Et, remarquable unité, personne n'a eu faim. Pour être plus précis, c'est important : les corps n'ont jamais souffert de la faim. Les mentaux, eux, n'ont cessé de tourner autour de ce sujet fascinant : la bouffe. Moi, j'ai rêvé de moules, au curry, parce qu'en froissant une fleur séchée d'immortelle trouvée sur le chemin, son puissant parfum m'y a fait songer. Puis de mouclade, au vu des aiguilles de pins que les ouvriers communaux ratissaient en tas, dans les rues de Mouriès. D'autres parlaient d'andouilles, de choucroute, de recettes, de délices un jour dégustés, de vins, de Troisgros. Il paraît que c'est LE sujet de conversation, les premiers jours.

Mais donc, et cela est important : le corps ne souffre à aucun moment de cette terrible sensation : la faim.

Nous avions quand même, parce que nous ne sommes pas des héros, un verre de jus de fruits pressés le matin à 8 heures, avant de partir marcher 3 ou 4 heures, et un bol de bouillon clair de légumes à 17 heures. Tisanes et eau à volonté. Évidemment, il faut aider le foie à se débarrasser des agrégats que lui envoient les muscles sollicités par l'exercice.

Je passe, ce n'est pas mon propos, sur les soins complémentaires : sauna, jacuzzi, massages, irrigation du côlon, etc. qui ajoutent à la detox.

Bien sûr, le sujet est à la mode. Nombreux sont ceux qui rêvent de se nourrir de prana. Difficile d'accès, à mon avis, sans passer au préalable par un exercice suffisant du jeûne. Arte a diffusé un film en 2012 et le rediffuse ce soir, sur ce dernier sujet. Ce film a contribué à relancer fortement le débat. C'est un film orienté, favorable au jeûne, fait par des adeptes de la privation volonataire de nourriture. Le mot "volontaire" est important. Subir la privation est complètement différent.

En face, comme on le voit à 6.17 de cette video déjà ancienne, des gens qui n'ont aucune expérience personnelle, et qui déclarent que le jeûne est dangereux, voire extrêmement, et même mortel.

J'ignore s'il s'agit de sottise, ou d'une tentative malodorante de faire peur, encore et toujours, pour garder le pouvoir.

Mais regardez le public, vous verrez ce que je rencontre à chaque fois que je parle de mon expérience : doute, incrédulité, découragement (moi, j'pourrai jamais; déjà, si je saute un repas, j'ai des migraines), méfiance, etc.

Facile donc d'attiser la peur, comme on soufle sur un feu de brindilles.

A la fin de notre expérience, Jean-Pascal nous a félicités : bravo, a-t-il dit, car pour vivre cela, il faut déjà avoir bravé l'entourage, la coutume, le fardeau des habitudes, sa propre peur.

C'est vrai. Si nous avons déclaré à quelques amis notre projet, nous l'avons tu à d'autres personnes, à mes beaux-parents, par exemple, pour lesquels manger est le pivot de l'existence. Leur dire, par dessus, qu'on paie pour ne pas manger !

Oui, on paie, bien sûr : le gîte, et ses commodités, le cadre, l'accompagnement dans les randonnées, l'heure de yoga ou de qi gong du soir, les conférences sur la nutrition, la naturothérapie, les plantes, les huiles essentielles, et puis on permet à des gens comme Jean-Pascal de se former, d'être disponibles malgré les tracasseries : deux descentes de gendarmeries en un an, avec interrogatoires des jeûneurs, diligentées par ces gens qui vous aiment tant, la Miviludes, qui veulent votre bien, malgré vous, contre votre propre volonté, votre propre sagesse, l'ordre des médecins, seul détenteur de l'art de guérir, contre la sagesse de votre propre corps, dans le contexte de la suspicion des voisins, du dépit des restau et des épiciers qui ne vendent et ne vendront jamais rien à ces putains de membres de secte, de la jalousie et de la rancune de ceux qui ne sont jamais sortis et ne sortiront jamais de leur marécage.

Alors moi, mon pognon, celui que me laisse l'Etat, je le donne à des gens comme ça, qui savent de quoi ils parlent, parce qu'ils l'ont longuement et souvent expérimenté eux-mêmes. C'est mon oeuvre de bienfaisance. Je protège ainsi les navigateurs en solitaire et les espèces menacées. Mais expliquer ça à mes beaux-parents, j'y renonce.

Côté bénéfices : après avoir évacué les symptômes, donc les toxines, après avoir eu la bouche pâteuse et infecte, la langue jaune, verte, blanche, des flatulences, une douloureuse crise d'acidose une demi-journée durant, une recrudescence des douleurs lombaires et cervicales, après cinq jours de marche tranquille dans les Alpilles - là, tout devient facile -, de jeûne tranquille, de tranquilles conversations avec nos amis jeûneurs, pour la plupart des gens qui travaillent, s'assument, sont doux et prévenants et n'ont pas le profil des dangereux sectaires endoctrinés qu'on présente aux foules endormies, après cinq jours de détente mentale, aussi, c'est bien de jeûner aussi du boulot, des responsabilités, des différents contextes habituels, j'ai atteint un degré de santé encore inconnu.

Un degré de santé jamais atteint, je pèse mes mots. Une forme physique éblouissante. Plus aucune douleur articulaire.

Sans oublier cette curieuse sensation d'être devenu libre de choisir. Choisir quelle serait dès lors ma nourriture. Et donc mon existence. Libre, quelle drôle de sensation !
Au moment de la reprise alimentaire, nous envisagions sereinement de continuer l'expérience. Pour certaines raisons, ce n'était pas possible. Mais nous avons déjà décidé de jeûner 21 jours, ce qui, compte-tenu de la préparation et de la reprise, nécessite une quarantaine de jours disponibles, ce qui repousse le projet à quelques années, après la date fatidique de la "retraite". 21 jours, ou plus, pourquoi pas ?

Car, si le corps exulte déjà, nous avons bien senti que d'autres découvertes sont à portée de main, un peu plus loin.

L'expérience n'est qu'à son début. Au delà, nous pressentons une acuité des perceptions, externes et internes, qui est le moyen unique de nouer le contact avec l'Être essentiel qui nous sous-tend.

Qu'on rencontre parfois dans la vie diurne par "hasard", par la méditation, la transe, les plantes sacrées, la contemplation de la beauté, l'amour.

Mais cette voie proposée, comme l'est l'expérience du silence, ou de la continence sexuelle, tout le panel des techniques qu'ont toujours utilisé les "chercheurs de Dieu" a un charme particulier : elle procède à l'inverse de tout ce que le monde nous sert de force.

Au gavage, voir au viol de toutes les portes de la perception, elle substitue la privation. Et, miracle, la privation n'est pas douloureuse. Ce n'est même pas une privation. Quel vilain mot. A moins qu'on n'entende : moyen de se retrouver en privé.

Le jeûne - mon expérience du jeûne, j'insiste sur ce point, il ne s'agit que de la mienne -, c'est une expérience de détachement, de légèreté, de liberté, et, pour finir, de parfaite santé.

Je pesais 85 kg le jour du départ. Depuis, je n'ai pas repris. Mes douleurs ne sont pas revenues. Mes filles m'ont trouvé superbe. Mme VJ est resplendissante. Lila m'a trouvé un air de jeunesse qu'elle n'avait pas encore remarqué. Nous nous nourrissons de fruits et de légumes. Bien sûr, il faudra aussi participer aux repas familiaux, professionnels, mais un peu de diète après y remédiera. Rien d'inquiétant.

Voici ce que je voulais dire : mon expérience. Limitée, certes, une seule fois, une semaine seulement.

Mais une réussite éclatante. Mme VJ est exactement de cet avis pour ce qui la concerne. Nous comprenons très bien que sur 13 jeûneurs, cinq revenaient, tant c'est bénéfique.

Alors, quand de sombres agitateurs d'épouvantails qui n'ont pas la moindre expérience personnelle en ce domaine vous diront, en fronçant les sourcils, que c'est extrêmement dangereux, que vous êtes un irresponsable, une victime du discours sectaire, que vous pouvez mourir, posez-vous cette simple question : Qui croire, celui qui a fait le pas, a expérimenté sur lui-même, et n'a rien à perdre ni à gagner en termes d'avoir et de pouvoir, ou celui qui ne sait rien par lui-même, colporte des rumeurs, brandit l'anathème et des menaces, et a tout à perdre à ce que les humains s'engagent sur le chemin de leur liberté ?

Vieux Jade

2 commentaires:

  1. J'ai pris connaissance de ce billet de Vieux Jade qui m'a rappelé des connaissances à moi qui le font et sincèrement ils sont 'men sane in corpore sano'. Cela me plairait d'essayer une telle expérience en tous cas.

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  2. Bonjour,

    Pour une recherche des expérimentations dans d'autres pays :
    http://www.franceinter.fr/emission-la-tete-au-carre-le-jeune-une-alternative-therapeutique

    Je témoigne qu'une amie a guéri de son cancer du sein après 8 semaines de jeûne avec tisanes et jus de légumes.

    Edouard

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