27 mai 2013

Humanité

Je me réjouis d'être invité, pour une fois.

Le mec qui invite, je le connais depuis une trentaine d'années. J'ai bossé avec lui à de nombreuses reprises. C'est pas dans les salons ou sur le ouèbe qu'on découvre les gens, mais dans la vraie vie.

Il est né en 1952; pour moi, c'est un grand frère. Pour moi qui n'ai eu ni oncle ni frères, c'est quelque chose comme ça, mon grand frère.

Il n'a jamais rien lu, et déteste la musique. Ignoré du baccalauréat. Mais c'est une pointure. Curieux et intelligent de tout, jamais dogmatique. Connait tout des bébètes et des plantes. Sait tout faire de ses dix doigts. En voiture, au restau, n'importe où, on parle de la vie, l'existence, ce truc qui nous englue tous.

Selon les critères sociaux, je suis dans la tranche au dessus. Selon nos critères à nous ? Il a des milliers de choses à m'apprendre. Il a construit sa maison, dans les années 1980. Je vous défie d'y trouver un défaut. Il a mis au point un chauffage central original : des tuyaux dans toutes les pièces, dont le départ est la cheminée du séjour.

Il a fabriqué de beaux meubles en matériaux naturels, bois rares, cormier, alisier, ramures de cerfs, celles qu'ils abandonnent en forêt chaque année, vrilles de chèvrefeuille. Il macère ses propres alcools de plantes sauvages. Ah oui, c'est interdit. Par la loi des imbéciles.

Ce gars là m'a invité, avec ma brune, à fêter ses soixante ans. C'est un honneur incomparable. Autant j'aurais trouvé un millier d'excuses pour me porter pâle à une réunion de trous du cul à compte en banque, autant là j'irais en me trainant, s'il le fallait.

Pour prévoir, je lui ai demandé : c'est quand, le samedi midi ? Le midi, le soir, et le lendemain pour les courageux, m'a-t-il répondu.

Peut-être qu'on mourra là-bas ? Que c'est précisément le jour où on va se faire péter l'aorte, à rigoler de cette immense connerie qui se prend pour, ou le foie, une dernière fois, à comparer les crus, mais ce serait un bon endroit pour mourir.

Il va prendre sa retraite, selon l'expression habituelle. Ça m'inquiète. J'ai demandé : je pourrai encore compter sur toi ? Tu vas faire un sacré trou dans le paysage, et pas que pour moi.

Lui, le grand frère, parlant au petit, m'a dit : t'inquiète pas.

Il y a quelque temps, il m'a dit ce mot, que je voudrais encadrer quelque part , ou clouer sur toutes les portes :

"Quand on peut faire plaisir à quelqu'un, faut pas se gêner".

Vieux Jade

3 commentaires:

  1. Les pages de Vieux Jade... A lire et à relire !
    Celle-ci est particulièrement belle.
    Ça fait chaud au cœur de constater que de tels gens existent.

    RépondreSupprimer
  2. Un rayon de soleil dans notre vie mouvementée. Ca fait drôlement du bien !
    Merci pour ces mots, VJ.

    Et merci Paul, bien entendu, de les placer là.

    RépondreSupprimer
  3. Ferait bien mieux de lire, dans les classes de tous ceux que l'E.N pense enseigner, de la Sagesse en tranches de Vie signée de Vieux Jade, plutôt que toutes les conneries annonées,radoteuses, et sans aucun sens du vivant dont on gave aujourd'hui la jeunesse ;
    bref, faut arrêter le "junk enseignement" et donner du consistant Grand Cru à tous" les bas de profil formatés"que
    fabrique industriellement le système!..
    Vieux Jade, c'est comme le pinard, y devrait être obligatoire!....

    Petit Colibri

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.