09 septembre 2012

Les farces et attrapes du "bio" industriel accommodé à toutes les sauces



Comme si les fraudes n’existaient pas, la réglementation européenne autorise désormais toutes les dérives.


C’est une affaire dont la presse n’a pas fait ses choux gras. En décembre, la police italienne a démantelé un énorme trafic de faux produits bio. Les margoulins, soupçonnés d’être liés à la mafia, avaient trouvé la combine: acheter en Roumanie des céréales et des fruits secs bon marché, transformés en produits bio grâce à de faux documents, et revendus quatre fois plus cher à des grossistes qui n’y voyaient que du feu. Neuf pays européens, dont la France, ont profité de ces marchandises pleines de pesticides, dûment étiquetées « bio ».
Depuis cinq ans que durait le trafic, des milliers de tonnes de faux produits bio auraient ainsi été écoulées pour un paquet d’oseille, au moins 220 millions d’euros. Parmi les fraudeurs, cinq dirigeants italiens d’entreprises agroalimentaires et ça ne s’invente pas – deux responsables d’organismes de certification censés contrôler la filière bio…
Question : quelles quantités de céréales, pâtes alimentaires, farine de froment, raisins secs ou huile de tournesol faussement bio les consommateurs français ont-ils ingurgitées ? Huit mois après ce joli coup de filet, on n’en sait que pouic. Comme d’habitude, la Répression des fraudes, dont la mission est de traquer les tricheurs, est dans les choux. Incapable d’apporter la queue d’une précision. Au ministère de l’Agriculture, on parle de 7 000 tonnes importées en deux ans.
Ça la fiche mal quand on sait que 32 % du bio qui est dans notre assiette est importé. Même si les prix sur l’étiquette sont de 20 à 50 % plus élevés, les ventes de bio, chez nous, ont quadruplé en dix ans.
Pour ne pas tuer la poule aux oeufs d’or – un marché annuel de 4 milliards –, les tenants français de l’agriculture biologique font valoir que leur filière est archi contrôlée.

« AB », ah bon ?

Au fait, comment ça marche, les contrôles du bio en France ? Neuf organismes certificateurs sont chargés de repérer les tricheurs parmi les 22 500 producteurs et 7 400 transformateurs qui arborent le fameux logo « AB ». Ces gendarmes du bio épluchent les dossiers de candidature et renouvellent, ou pas, les licences octroyées pour un an. On compterait chaque année une petite centaine de suspensions ou de retraits de licence. Dans sa chasse aux filous, la Répression des fraudes intervient en deuxième ligue, sur les étals. Ou plutôt sur le papier, parce qu’elle n’a pas les troupes suffisantes pour veiller au grain. D’ailleurs, quand on demande le nombre et le résultat des contrôles à la chef de cabinet du patron, responsable de la com’, c’est silence radio.
Mais, qu’on ne s’y trompe pas, la vraie menace qui pèse sur le bio, ce n’est pas la fraude mais une entourloupe parfaitement légale, et même encouragée par l’Europe : le bio « industriel ». Un oxymore inventé par de puissantes coopératives agricoles liées aux géants de l’agroalimentaire.
Une nouvelle réglementation, pondue par Bruxelles, a rendu possible cette dérive. Quand vous achetez votre poulet bio, vous n’imaginez pas un instant qu’il ait pu être élevé dans un poulailler de 25 600 places. C’est pourtant ce qu’autorise, depuis 2009, le logo « AB » revu par la Commission européenne. Et, du côté des pondeuses bio, il n’existe aucune limite de taille pour les ateliers.
Privilège du bio, les poulets profitent toutefois, dès leur âge adulte, d’un parcours extérieur où ils peuvent s’ébattre en journée sur… 40 cm2 chacun. Mais la promiscuité leur tape sur les nerfs, et ils sont souvent « ébecqués » pour ne pas s’étriper. Enfin, le poulet bio a désormais droit, une fois par an, à des antibiotiques et, sans aucune limite, aux traitements antiparasitaires.

Poulet ou pigeon ?

Autrefois, la réglementation imposait qu’au moins 40 % du menu des volailles soit cultivé dans la ferme. Aujourd’hui, l’éleveur bio n’a plus à se décarcasser pour faire pousser lui-même blé ou maïs : il peut acheter toute la pitance à l’extérieur. Exit, le sacro-saint « lien au sol »qui garantissait la traçabilité et une transparence sur le contenu de la gamelle.
Tout cela permet de faire du poulet bio en système « intégré », pour le plus grand bonheur des monstres coopératifs qui ont investi le créneau. Comme Terrena (4 milliards de chiffre d’affaires annuel) ou Maïsadour (1,2 milliard), filiale du géant suisse de l’agrochimie Syngenta. Simple exécutant,l’éleveur bio se contente d’engraisser en quatre-vingt-un jours des volailles qui ne lui appartiennent pas, nourries avec des aliments fournis par la coopérative. Comme son cousin industriel, le poulet estampillé « AB » se goinfre désormais de soja importé, certes bio, mais qui peut contenir jusqu’à 0,9 % d’OGM sans perdre son label. Un aliment hypercalorique moins cher que le maïs ou le blé. Sauf qu’en s’approvisionnant à bas coût sur les marchés internationaux on n’y voit pas toujours plus clair sur la qualité du produit. Il y a quatre ans, Terrena s’est fait refourguer par les Chinois 300 tonnes de tourteaux de soja bio contaminé à la mélamine…

La qualité aux fraises

Le consommateur, lui, ne décèle aucune différence sur l’étiquette quand il achète son poulet bio. Le gallinacé élevé dans une ferme traditionnelle, où il picore ce qui pousse sur place, et la volaille produite en élevage intensif ont droit au même logo « AB ».
Avec les fruits et légumes bio, au moins, il ne devrait pas y avoir de mauvaises surprises. Eh bien, si ! Grâce à l’Europe, on peut produire hors-sol dans des serres géantes. La mode du bio a même gagné la province de Huelva, en Espagne, l’usine à fraises de l’Europe, avec 7 000 hectares de serres qui produisent toute l’année. « Un des plus gros maraîchers du coin, qui faisait de l’intensif, produit aujourd’hui des fraises bio en exploitant les mêmes immigrés et avec quasiment les mêmes techniques agricoles dans les mêmes serres », raconte Philippe Baqué, coauteur du décapant livre La bio entre business et projet de société. Au lieu de plonger les racines dans du gravier ou de la laine minérale, on utilise du sable, isolé du sol par une enveloppe en plastique, le tout irrigué au goutte-à-goutte. Et rebelote : aucune différence de logo entre une tomate bio cultivée en plein champ par un producteur local et une autre élevée hors-sol et hors saison.
C’est bio comme l’antique !

Jérôme Canard
Le Canard enchaîné, 22/08/2012
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4 commentaires:

  1. Reste à produire soi-même lorsqu'on peut, ou acheter à un paysan/agriculteur local que l'on connait bien ...

    Asca.

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  2. Je pense sincèrement qu'en France, nous avons un système de contrôle bureaucratique, tâtillon, et très répressif, en tout cas un des plus efficaces d'Europe. Les produits vraiment Français sont certainement moins risqués, à cause de la crainte de l'administration. Les "Fraudes" et la "DSV" sont des emmerdeurs caricaturaux qui sévissent surtout dans les petites entreprises.

    Dans la plupart des autres pays, où l'administration est traditionnellement moins puissante (pas de "colbertisme") les magouilles sont la règle. Et la société marchandisée par excellence, voulue par les Oligarchies Européennes ultra-libérales, ne fait qu'encourager toutes les fraudes et les trafics :
    "Libre circulation des hommes et des marchandises".

    Ceci inclut le blanchiment d'argent, la finance criminelle, paradis fiscaux, trafics de drogue, d'armes, prostitution, immigration, et bien sûr, produits à valeur ajoutée comme le "Bio".

    Bref, rappelons nous que de nombreux scandales sanitaires ont eu pour origine des denrées alimentaires importées : vache folle, huile frelatée à l'huile de moteur Ukrainienne, Bio roumain aux pesticides...finalement, la bureaucratie tatillonne et souvent arrogante de la France avait du bon pour protéger le consommateur Français.
    Mais Sarkozy, et derrière lui Hollande, vont démanteler l'administration, dans la logique ultra-libérale de l'UE, la traque budgétaire et de réduction des déficits...

    L'ami Pierrot

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  3. Vous voulez du 1000% bio? Culmtivez votre jardin! ET ceux qui comme moi habitent en appartement, renseignez vous pour savoir si il y a des jardins familiaux dans votre ville. Face à la forte demande, de plus en plus de villes s'y mettent!

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  4. Sans parler à proprement dire du "bio", mais juste des étiquettes collées sur tout ce que nous mangeons ou presque... extrait de l'Express du mois de juin 2012 (13 au 19)"alimentation, comment l'industrie nous manipule" :

    "...que les accros aux plats sous vide se rassurent : le projet a été enterré. Il s'agissait d'indiquer sur l'emballage du produit, dans une pastille verte (sain), orange (moins sain), ou rouge (pas sain du tout), les quantités de graisse, de sel et de sucre contenues dans chaque produit. Impensable ! A force d'invitations à déjeuner dans les meilleurs restaurants de la ville, de conférences d'experts et de publications scientifiques, les industriels ont réussi à convaincre une majorité des 736 élus européens de renoncer à cette idée..."

    Voilà comment réagissent les "élus" pour la protection du consommateur. Des incorruptibles, quoi !
    Nous ne sommes pas sortis de l'auberge ("l'auberge de la malbouffe")

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