07 avril 2024

Iran : la clef du Moyen-Orient

Syrie, Gaza, Irak, Caucase, les théâtres d’opérations de l’Iran sont nombreux. Le pays des mollahs est la clef de la région, rien ne peut se faire en dehors de Téhéran.

Vu de France, on a beaucoup de mal à comprendre ce régime qui nous parait obscur et mystérieux, avec ses mollahs et ses femmes voilées, son idéologie islamiste, mais aussi ses femmes qui étudient les mathématiques et qui deviennent ingénieurs, son développement technique et sa civilisation millénaire. En dépit des nombreuses manifestations de la population civile, le régime tient encore. La répression est sanglante, la terreur est quotidienne, la police du régime contrôle et surveille. Nous sommes très loin de l’Iran des années 1950-1970, à l’époque où le pays était ouvert et se modernisait. Trop peut-être. Khomeiny a joué sur la corde du nationalisme en s’attaquant aux Américains et en tenant un discours anti-corruption et nationaliste qui a séduit une partie de l’opinion. Le Shah renversé, les liens diplomatiques rompus, il ne restait plus à l’Iran que la voie du ban des nations pour jouer les boutefeus au Moyen-Orient.

Le sel dans les plaies

Quand l’Iran n’ouvre pas les plaies, le pays y met du sel pour les entretenir et fragiliser la région. Au Yémen, en soutenant le groupe des Houthis, Téhéran maintient le feu de la guerre des clans et entretient la crainte en mer Rouge en déstabilisant le commerce mondial. Habile guerre par proxy qui permet d’atteindre ses adversaires non de façon directe, mais par des tiers. Cela permet à la fois de nuire aux Occidentaux, de conserver la main dans la péninsule arabique, de regarder de l’autre côté du détroit, c’est-à-dire vers l’Éthiopie et la Somalie et de fragiliser l’Arabie saoudite. Le Yémen, cette ancienne « Arabie heureuse » d’où viennent la myrrhe et l’encens, est aujourd’hui un carrefour de déstabilisation du Moyen-Orient.

Autre intervention iranienne, la plus notable, le Liban et la Syrie, via le Hezbollah. Ce mouvement n’est rien sans l’Iran, qui lui fournit des armes, de l’argent, des bases de replis et un contenu intellectuel et idéologique. Le Hezbollah a pris le contrôle du Liban, il est incontournable en Syrie, il menace Israël, il est l’une des épines dans la chair de la paix. Rien ne peut se faire au Proche-Orient sans passer par le Hezbollah, qui lui-même n’est rien sans l’Iran. Parfaitement structuré, en ordre de combat, fidèle et discipliné, le groupe armé bénéficie en plus du soutien non négligeable d’une partie de la population grâce à ses actions caritatives et humanitaires. La « destruction » d’Israël demeure un mythe fédérateur, capable de canaliser les énergies et de mobiliser la jeunesse. Par ce mythe politique, l’Iran démontre une nouvelle fois qu’il faut disposer d’un ennemi, afin d’orienter la politique et de fédérer les populations.

Dans le Caucase, l’Iran surveille de près ce qui se passe au Karabagh et ce que trame son voisin azéri. Comme en Iran, la population y est chiite, mais la nation l’emporte sur l’appartenance religieuse, le watan sur l’oumma.

La même problématique se pose en Irak, où la population chiite y est aussi nombreuse (près de 20% de la population). Qu’est-ce qui prédomine ? La nation, c’est-à-dire le fait d’être Irakien, où la religion, c’est-à-dire le fait d’être chiite ou sunnite ? C’est un débat porté depuis la naissance de l’Irak et la fin de la monarchie, que le parti Baas, celui de Saddam Hussein, avait tenté de régler en se positionnant sur une ligne nationaliste et laïque. Si c’est la nation qui l’emporte, alors les minorités ethniques et religieuses ont une place dans le pays, en tant que citoyen à part entière. Si c’est la religion, elles seront aux mieux tolérés, au pire chassé ou exécuté.

La milice et la communauté

Le géographe Fabrice Balanche, l’un de nos meilleurs connaisseurs de cette région et auteur d’un livre remarquable Les leçons de la crise syrienne (Odile Jacob, 2024) fait remarquer que l’Orient n’est pas compliqué et finalement assez simple à comprendre. Le problème ne vient pas de sa complexité, mais des mauvaises grilles de lecture appliquées à la région. En Orient, ce qui prime, ce sont les communautés. On est d’abord chrétiens, arméniens, druzes, alaouites, chiites, sunnites, avant que d’appartenir à un État et à un pays. La compréhension de l’existence des communautés, leurs interactions, leurs alliances, leurs combats et leurs oppositions, est essentielle pour comprendre le fonctionnement de l’Orient. Aux communautés s’ajoute un autre phénomène, qui se superpose et souvent prend appui sur elles, celui de la naissance et du développement des milices. Le Hezbollah en est une, comme le Hamas. Il y a des milices de grande ampleur (les deux précédemment citées) et des milices qui contrôlent uniquement une ville ou un quartier. Les milices n’ont pas qu’une fonction sécuritaire. Elles jouent aussi un rôle humanitaire, social, de politique locale. Elles se substituent à des États défaillants ou évaporés, elles encadrent les populations, elles se font, pour certaines, États à la place des États. L’Iran en finance beaucoup et, en retour, les milices protègent les flux financiers qui vont vers l’Iran, déstabilisent ses adversaires, luttent pour les projets de Téhéran.

Le grand reporter Emmanuel Razavi vient de publier un ouvrage remarquable d’enquête sur le fonctionnement de l’Iran, La face cachée des mollahs (Le Cerf, 2024). Il y démontre notamment comment ce pays vit du trafic de drogue, recycle l’argent sale, inonde les pays occidentaux de ces produits néfastes. Les drogues sont l’un des piliers économiques de l’Iran, lui permettant de palier les sanctions économiques (là aussi inefficaces, comme en Russie) et c’est en s’appuyant sur les milices que les trafics sont possibles, à la fois celui de la drogue et celui des flux financiers et de leur recyclage. Les flux de la drogue passent par la Palestine, le Liban, la Syrie, nourrissent des familles, enrichissent les chefs locaux, remplissent les caisses de l’État iranien. On mesure mal en Europe à quel point les drogues sont une arme de destruction massive contre les Occidentaux, comment elles sont utilisées par des États ennemis pour se financer et détruire les populations européennes. L’Iran fait partie de ces moteurs-là.

Que faire ?

Les sanctions économiques n’ont servi à rien, si ce n’est à affaiblir des populations civiles, victimes innocentes de ces affrontements. Comme en Syrie, comme à Cuba, comme en Corée. Les Européens et les Américains doivent trouver un autre levier. Le premier élément est de définir l’objectif à atteindre : est-ce le renversement du régime des mollahs ? Si c’est le cas, il faut trouver un remplaçant, or il y a peu de monde dans l’opposition iranienne, si ce n’est le descendant du dernier Shah. Il faudra trouver des fonctionnaires et des administrateurs capables d’assurer les rouages de l’État et s’appuyer sur la diaspora iranienne, en Europe et aux États-Unis, pour développer les liens économiques et relancer la machine. Avec son histoire très riche, sa population éduquée et bien formée, ses ingénieurs et ses scientifiques, l’Iran pourra facilement être remis sur pied et devenir un grand pays du Moyen-Orient. Mais il n’est pas certain que les Occidentaux aient vraiment envie d’aider à mettre un terme à ce régime. Eux aussi ont intérêt, ou avaient intérêt, à disposer d’un ennemi dans la région, pour tenir les autres pays arabes, pour bénéficier d’un précieux bouc émissaire, pour financer le réarmement. Finalement, l’Iran convenait à beaucoup. Face aux défis du monde, notamment en Asie, il est peut-être temps désormais de passer à autre chose et de prendre le dossier iranien au sérieux.

Jean-Baptiste Noé

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