29 février 2024

Rail : pour en finir avec le catastrophisme ferroviaire britannique

Nous sommes entrés dans un mois de mai particulièrement intense sur le plan social, entre commémorations de Mai 1968 et une grève des cheminots qui se poursuit, mais périclite. Revenant de vacances sur la terre des Lumières éponymes et comme 227 000 personnes par jour, j’ai pris le réseau local de train, la fameuse ScotRail, en partie privatisée et de ce fait honnie par la doxa française. L’occasion de constater qu’on est loin du chaos que certains évoquent…

Retour sur le rail écossais

La ScotRail est créée au milieu des années 1980 par la partie écossaise de la British Rail afin de donner une marque distincte au réseau ferroviaire local. De 1993 à 1997, la British Rail est privatisée et divisée en 26 concessions régionales pour un marché d’un milliard de voyageurs par an.

ScotRail connaîtra trois opérateurs. Entre 1997 et 2004 le service est exploité par la société National Express. Créée en 1972 comme affiche commerciale d’une entreprise publique de transport urbain, la NBC, elle devient totalement autonome à la fin des années 1980 et obtient la première concession ferroviaire en 1997, exploitant les lignes sous le nom ScotRail.

En 2004 et jusqu’en 2015, c’est la compagnie First qui exploite les lignes ScotRail sous le nom First ScotRail. La concession est attribuée par un organisme public de régulation et l’apparence des trains est régulièrement sujette à discussions afin d’éviter toute autopromotion des compagnies exploitantes, gardant le service le plus neutre possible.

En 2014, la société Abellio est choisie pour reprendre la franchise ScotRail pour 7 ans et une extension de 3 ans en cas de bons résultats, après avoir été en concurrence avec 4 autres opérateurs : Arriva, FirstGroup, MTR et National Express.

Abellio propose les mêmes services que le groupe First avant elle à l’exception des trains de nuit transférés à la Serco. Elle assure 353 stations, soit toutes les stations écossaises à l’exception de Glasgow Prestwick Airport, Glasgow Central et Edinburgh Waverley et dispose de 6 stations de maintenance.

Le parc ferroviaire actuel d’Abellio est composé à moitié de trains diesel, mais devrait sous peu se réorganiser afin de ramener cette part au tiers des effectifs, ramenant d’anciens modèles courant de l’année 2018. À titre comparatif, le réseau français se partage équitablement entre diesel et électrique.

Du système britannique en général, nombreux sont ceux qui font preuve de catastrophisme. S’il est vrai que la grande majorité des opérateurs est subventionnée par manque de rentabilité des lignes, incluant Abellio, les critiques sur la mauvaise qualité du service et les prix exorbitants sont circonscrites au sud du royaume. Le déraillement de Hatfield, au sud-est du pays a permis à la presse locale de faire ses choux gras sur une privatisation pourtant incomplète. La catastrophe a entraîné une demande de subventions de la compagnie Railtrack propriétaire du réseau, aux fins de rénovation de celui-ci, mais qui a surtout servi à payer ses actionnaires. Bienvenue à Crony Land

Ces critiques ne semblent pas toucher le réseau écossais dont 90 % des usagers semblent satisfaits, contre 58 % pour la SNCF. Les critiques contre le réseau britannique dans son ensemble font assez largement écho à celles touchant l’opérateur 100 % public qu’est la SNCF. Cette dernière, connue pour un grand nombre d’annulations et de retards, a réussi à provoquer en 2011 une grève de ses propres usagers sur certaines lignes entre la Normandie et la région parisienne.

Il n’est pas utile d’évoquer le rapport Spinetta et les critiques qu’il a formulées : mauvais état du réseau, irrégularité des correspondances, recul de l’offre, dette abyssale de 46,6 milliards d’euros payée par le contribuable en plus des 60 % déjà payés par ce dernier sur chaque billet. Ajoutez à cela les désavantages classiques des situations de monopole et au clientélisme électoral qu’il provoque et vous constaterez que la situation britannique n’est guère si catastrophique que ce qu’en disent certains.

Lignes régulières et entretenues, tarifs intéressants

Je suis donc devenu le temps d’une journée usager de cette compagnie, direction le Loch Lomond, au sud des magnifiques Highlands. Le trajet jusqu’à la petite ville de Balloch dure 1 h 30 pour 114 km et suppose une correspondance à Glasgow.

Le prix, jugé exorbitant de l’autre côté de la Manche, m’étonne déjà : 21 livres aller-retour, soit 23,81 euros1 soit 10 centimes par kilomètre. À titre de comparaison, un trajet aller-retour Mulhouse-Strasbourg, de distance équivalente, coûte 36 euros soit 16 centimes par kilomètre. Compte tenu du coût de la vie en Grande-Bretagne, l’usager écossais est gagnant. Apportons une nuance puisque la ligne Mulhouse-Strasbourg ne met que 56 minutes entre deux agglomérations de taille moyenne à grande sans correspondance là où le trajet Edimbourg-Balloch lie une capitale à un bourg de moins de 2000 habitants avec une correspondance. La vitesse des trains, quant à elle, est sensiblement équivalente, autour de 160 km/h.

Autre point d’étonnement : la régularité des trains. Les trains de semaine entre la capitale, Édimbourg et la plus grande ville, Glasgow, séparées par 72 kilomètres circulent toutes les 6 minutes entre 5 h 52 et 23 h 30, impensable en France.

L’intérieur des trains semble également de bonne facture, avec très peu de dégradations pour la ligne qui doit probablement être la plus fréquentée d’Écosse.

Notez également la présence du Wi-Fi à bord, là où la SNCF ne propose ce service que dans les TGV.

Enfin, la validation du ticket sur le modèle de ce qui se fait dans le métro parisien est particulièrement plaisante, n’ayant pas le souvenir d’avoir vu cela dans une gare française, y compris les gares parisiennes.

Puisque la perfection n’existe pas, notez le manque de nettoyage dans les rames. Les attentats de Londres auraient amené à baisser drastiquement le nombre de poubelles dans les rames, et la place prise à l’aller était remplie de restes d’une soirée arrosée. Peut-être un coup de malchance, puisque les autres places ne me semblaient pas dans un tel état.

Un bilan loin d’être catastrophique

Qu’il s’agisse d’un modèle public ou hybride, les désavantages semblent donc être les mêmes. Les choix sont donc affaire de bénéfices, et force est de constater qu’ils sont loin d’être aussi inexistants que ce qu’évoque la doxa française.

Probablement l’occasion d’enfin sortir de la facilité pour concentrer son regard sur un autre réseau privatisé qui constitue pourtant le plus performant du monde : le réseau japonais.
 

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