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19 août 2023

L’Amérique en pire


"La chute de l’empire est proche si une refonte démocratique d’ici 2024 n’émerge pas..."  Photo de Robert Guss sur

Une amie m’avait dit : "Lis ce livre et tu comprendras tout". Effectivement, L’Amérique empire de Nikola Mirković, fresque historique des débuts jusqu’à aujourd’hui, peut se comprendre comme étant L’Empire américain et L’Amérique en pire tant le cynisme est devenu nihilisme : "Son autorité provient non de la volonté du peuple mais de sa puissance financière et de ses relations médiatiques et militaires" (p. 312).

Influence

L’idée maîtresse du livre, c’est le constat d’un empire qui s’est créé en n’empruntant pas les chemins habituels de la domination par la conquête territoriale : influence et présence secrètes, déstabilisation, machiavélisme sans scrupule – le rictus luciférien sous le masque d’un ange.

La technique employée et répétée si souvent au cours du XXe siècle et jusqu’à maintenant fut celle utilisée pour annexer le Texas jusqu’au Rio Grande dans les années 1830 : agresser tout en jouant les victimes (p. 30). Pour Hawaï, il s’agira de renverser un pouvoir en bout de course - la reine Lili’uokalani - en s’appuyant sur de riches planteurs étasuniens installés sur l’archipel : une rébellion avec le soutien de l’armée américaine (p. 45).

On songe évidemment aux divers coups d’États fomentés de par le monde au siècle suivant : de l’Iran de Mossadegh en 1953 à l’Irak de 2003, sans oublier bien évidemment le Chili d’Allende en 1973. Mais il y en eut tant d’autres, notamment, suivant la doctrine Monroe, le droit que s’arrogea dès 1823 le jeune État américain d’avoir la mainmise sur tout le continent, ce qu’Eduardo Galeano avait fortement dénoncé dans son célèbre ouvrage Les veines ouvertes de l’Amérique latine. Ici on renverse au nom de la démocratie, là, sans scrupules, on installe un monarque ou une dictature militaire…

Le livre est impossible à résumer tant il contient d’informations, tant il est documenté. Le passionné d’histoire y trouvera une excellente analyse et mise en perspective de la genèse et de l’évolution de la future hyperpuissance mondiale au cours du XIXe siècle, événements, dates qui sont autant de jalons sur la route de la domination américaine jusqu’à nos jours, mais une domination et une hyperpuissance qui n’aboutissent qu’à une désintégration programmée.

Car la thèse du livre est de montrer que le deep state, "l'État profond", qui n’a fait que se raffermir depuis l’assassinat de John Kennedy en 1963, a enterré les idéaux premiers des pionniers américains originaires d’Europe : "Ce peuple qui fit sécession des monarchies européennes pour s’en venir fonder une république d’avenir" s’est vu dépossédé progressivement de sa liberté par "une caste élitiste qui se désintéresse du citoyen" (p. 296).

L’élection de Trump fut la réaction à cette dépossession, celle de Biden une contre-réaction et une réaffirmation de l’État profond. Nous en sommes là en 2023 avec l’émergence de Robert Kennedy Jr qui souhaiterait refermer la longue page d’histoire faite de complots qui commence avec l’assassinat de son oncle, puis de son père alors présidentiable, et vient jusqu’à la guerre en Ukraine.

Les 5M

Telle Carthage pour Rome, la Russie représente l’ennemi à abattre pour s’ériger en puissance incontestée (p. 281-282). Mais à la différence de l’empire antique, l’empire américain est très loin de parvenir à écraser sa rivale. Pourtant la stratégie des "5M" (p. 229-263) a bien été mise en place : faire du rival un Monstre (Poutine = Hitler), s’appuyer sur une Milice (coup de force de Maïdan), propager des Mensonges éhontés (la Russie est un danger pour l’Europe), Mainmise militaire et politique (instructeurs américains auprès de l’armée ukrainienne et président ukrainien tout acquis à la cause dans ses vêtements kakis) et Multinationales prêtes pour la reconstruction du pays (BlackRock est dans les startings-blocks).

Il faut ajouter à ces 5 M, les Mass Media chargés de répandre la propagande en feignant d’être de l’information. Comme le chanta Prince, dans un album posthume, lui victime comme tant d’Américains de la crise des opioïdes* - voilà un pays qui n’hésite pas à empoisonner sa population pour du profit (comment faire confiance à Big pharma lors de la crise Covid ?...) :

Welcome 2 America, Mass media, in4mation overload… Where everything and nothing that Google says is hip… The truth is a new minority…**

On trouvera dans le livre une excellente analyse des aspects financiers de l’État américain, soumis aux banques d’affaires, ce contre quoi le président Jackson s’était opposé dès les années 1830 (p. 29), l’endettement colossal rendu possible par la mainmise du dollar sur l’économie mondiale.

Une excellente analyse de la force du complexe militaro-industriel, si impliqué dans les guerres de la Guerre froide (Vietnam) et après (guerre du Golfe), de l’immission des cabinets de conseil (McKinsey), de la surveillance mondiale par la NSA (affaire Snowden), de l’aspect invasif de la culture industrielle hollywoodienne, etc. Mais nous voudrions nous arrêter sur un aspect : l’USAID (United States Agency for International Development).

Nous ne citerons qu’un passage suffisamment éclairant :

"C’est une vitrine bienfaisante états-unienne censée donner une image de l’Oncle Sam généreux et soucieux du bien-être humain. Mais derrière les sacs de riz et l’aide humanitaire se cache aussi l’aide aux gouvernements afin de 'moderniser' (entendre américaniser) leurs systèmes bancaires et juridiques ou des programmes de réingénierie sociale pour déculturer les pays convoités afin qu’ils s’adaptent aux nouvelles mœurs américaines : individualisme, gay pride, racialisme, ségrégation sociale, cancel culture, enseignement du gender à l’école…" (p. 207).

C’est-à-dire que ce que l’Amérique diffuse est une non-culture qui vise à déculturer les autres sociétés pour mieux les vampiriser. Nous en sommes là avec le wokisme et le transgenrisme, derniers avatars d’une société américaine perdue dans sa violence interne, ses écarts de richesse grandissants et ses indicateurs démographiques et sanitaires alarmants (p. 292).

La chute de l’empire est proche si une refonte démocratique d’ici 2024 n’émerge pas : "Le Minotaure insatiable et va-t-en-guerre, perdu dans le labyrinthe oligarchique, technocratique, woke et financier qu’il a lui-même crée, finira décapité par son propre peuple ou les peuples qu’il a cherché à asservir" (p. 324).

Malheureusement, nous serons entraînés, nous peuples, sociétés, États européens, dans cette chute. Nikola Mirković, L’Amérique empire, Temporis éditions, Paris, 2022, 331 p., 20€.

Notes :

(1) Le chanteur et musicien Prince a été retrouvé mort dans ses studios du Minnesota en 2016 après une overdose de Fentanyl. L'enquête de police indique qu'il n'était pas au courant de la présence de cette substance dans son cachet anti-douleur.

(2) Prince, Welcome 2 America, dont les titres ont vraisemblablement été écrits vers 2010. 2 = to, 4 = for.

*Christophe Lemardelé est enseignant - chercheur en sciences sociales

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