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16 mars 2023

Manipulation du climat

Longtemps considérée comme un projet démiurgique pour industriels et despotes rêvant de jouer aux apprentis sorciers, la géo-ingénierie apparaît désormais comme une option sérieuse – mais risquée – pour tenter de contrer l’emballement climatique.

Alors que le Mexique vient d’interdire officiellement toute expérimentation solaire sur son sol, nous vous proposons de (re)découvrir cet article issu de notre magazine papier, paru à l’été 2021 dans le cadre d’un dossier spécial de 20 pages. 

Été 2025. Une vague de chaleur d’une violence inouïe touche le nord de l’Inde. Le réseau électrique sature, les systèmes de climatisation plantent, les hôpitaux sont débordés. Pire : ce que les scientifiques appellent la « température humide », une unité qui combine la mesure de la chaleur et celle du taux d’humidité, se stabilise autour de 38 °C. Le chiffre paraît bas ; il est pourtant suffisant pour que le corps humain cesse de produire la sueur qui lui sert à se refroidir. Des citoyens ordinaires s’effondrent instantanément en pleine rue. Beaucoup ne se relèveront jamais : en une semaine, le pays dénombre 20 millions de morts. Le traumatisme est tel que le gouvernement indien se lance du jour au lendemain dans un projet à grande échelle de géo-ingénierie solaire. Des avions militaires indiens imprègnent le ciel du pays de particules de dioxyde de soufre, capables de renvoyer une partie des rayons solaires dans l’espace. Objectif : « reproduire » l’effet de l’éruption du volcan Pinatubo aux Philippines en 1991, qui avait (légèrement) fait baisser les températures mondiales durant quelques mois. La technique n’est pas « mûre », les effets secondaires pourraient être catastrophiques, avertit la communauté internationale. Trop tard, répond l’Inde : chez nous, la tragédie menace de se reproduire, voire de s’amplifier. Le jeu en vaut donc la chandelle.

Voilà, résumée à gros traits, l’intrigue qui ouvre le roman de science-fiction The Ministry for the Future (Orbit), sorti à l’automne 2020 aux Etats-Unis, pas encore traduit en français. Écrit par le célèbre auteur Kim Stanley Robinson (Trilogie de Mars, Chroniques des années noires, 2312), ce livre passionnant n’a, bien sûr, pas vocation à être particulièrement réaliste, ni à servir de programme « clé en main » pour l’avenir. Il n’en pose pas moins une question vertigineuse, qu’on peut voir comme un avertissement adressé à notre présent : et si, dans un futur proche, le déploiement d’un projet de géo-ingénierie de grande ampleur devenait inévitable aux yeux de certains pays afin de contrer l’emballement du dérèglement climatique ?

Juridiquement : possible

« D’un point de vue juridique, rien n’interdirait l’Inde de se lancer dans un tel projet », expose Sophie Gambardella, chargée de recherche au CNRS et spécialiste du droit international de l’environnement. Seule exception : la Convention Enmod, qui date des années 1970 et interdit à ses 76 États parties d’utiliser des techniques de modification de l’environnement « à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles » – ce qui ne serait manifestement pas le cas ici. « Même les moratoires adoptés par l’Omi (Organisation maritime internationale, ndlr) et par la Cop à la Convention sur la diversité biologique, qui sont deux organisations internationales de référence en matière de protection de l’environnement, sont facultatifs, poursuit la juriste. Un projet comme celui-ci peut éventuellement poser problème s’il a des effets sur le climat d’autres États. Et encore, il faudrait prouver le lien de causalité, ce qui est toujours très compliqué à établir en droit. »

Techniquement : (très) risqué

De fait, impossible d’imaginer qu’un pays aussi grand que l’Inde projette du dioxyde de soufre dans « son » ciel sans affecter celui de ses voisins. « Quoi qu’on fasse à grande échelle avec la géo-ingénierie, les conséquences sont toujours massives, rapporte l’historien des sciences James Fleming. Refroidir un pays grâce au dioxyde de soufre, c’est théoriquement possible, mais ce sont alors toutes les températures mondiales qui chuteraient. » Autre limite de ce scénario : envoyer des particules en haute atmosphère ou dans la stratosphère pour atténuer les effets des radiations solaires suppose de le faire… constamment, sous peine que l’atténuation climatique provoquée ne revienne par la grande porte en cas d’interruption. « Or, on ne peut pas exclure que l’on doive arrêter à un moment ou à un autre un tel projet, que ce soit pour des raisons techniques ou géopolitiques. Et dans ce cas, le remède serait sans doute pire que le mal », alerte-t-on du côté de l’association Sciences Citoyennes, qui voit dans la géo-ingénierie une « boîte de Pandore qu’il vaut mieux ne pas ouvrir ».

« Envoyer en continu des ballons ou des missiles dans l’atmosphère pendant des dizaines ou des centaines d’années pour éviter l’effet boomerang… Ça me paraît complètement fou, sans compter les effets secondaires potentiellement catastrophiques sur la santé respiratoire des populations, les moussons ou encore la biodiversité », renchérit Amy Dahan, directrice de recherche émérite au CNRS et coanimatrice, avec son collègue Olivier Boucher, d’un groupe de recherche sur la géo-ingénierie au début des années 2010.

Philosophiquement : à déterminer

Reste que l’idée générale semble bien partie pour s’installer dans certains esprits, y compris les moins susceptibles a priori de verser dans la « disruption » expérimentale façon Bill Gates. Car au-delà de l’hypothèse de Kim Stanley Robinson, qui se défend de tout solutionnisme technologique et se présente comme un éco-socialiste pragmatique (voir notre interview p. 132), la géo-ingénierie est désormais de plus en plus acceptée chez les penseurs écologiques se réclamant de « l’hypothèse Gaïa » (qui fait de la Terre un organisme vivant complexe et imprévisible). C’est en tout cas l’analyse du philosophe des sciences Sébastien Dutreuil, qui s’est intéressé de près à ce basculement intellectuel dans une récente étude. « La géo-ingénierie a longtemps été considérée comme une entreprise prométhéenne : beaucoup de physiciens de la guerre froide imaginaient pouvoir modifier la nature, dans une sorte de perspective hyper moderne, raconte Sébastien Dutreuil. Mais récemment, cet imaginaire d’apprentis sorciers du climat s’est déplacé. Certains héritiers de Gaïa comme le scientifique Oliver Morton voient désormais dans la géo-ingénierie une option possible pour soigner la Terre de manière raisonnée, intelligente et sereine. » Dit autrement : il ne s’agit plus de dominer la planète, mais de la réparer. De la « géo-supplication » (geobegging, en anglais), pour reprendre une citation d’un personnage de The Ministry for the Future.

« Les grands projets de géo-ingénierie ne sont pas du tout à l’ordre du jour proche mais, si on dérape totalement, il n’est pas exclu qu’on arrive à de telles extrémités dans les prochaines décennies »
- Amy Dahan, directrice de recherche émérite au CNRS

« Est-ce qu’il nous reste encore le luxe de dire “Non, la géo-ingénierie, on n’y va pas” ? C’est toute la question », résume Sophie Gambardella. La preuve : d’après une note de synthèse de l’Onu publiée en février 2021, les nouveaux plans climat déposés par 75 pays permettraient de faire baisser les émissions de CO2 de seulement 0,5 % d’ici à 2030, très loin des 45 % nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. Même en réduisant les émissions à la source selon les calendriers prévus, la communauté internationale pourrait bien ne jamais atteindre ses objectifs, préviennent déjà certains scientifiques. « Les grands projets de géo-ingénierie ne sont pas du tout à l’ordre du jour proche mais, si on dérape totalement, il n’est pas exclu qu’on arrive à de telles extrémités dans les prochaines décennies », reconnaît prudemment Amy Dahan. Comprendre : il est urgent d’attendre. Mais pour combien de temps encore ?

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Blablabla, déjà en cours et depuis longtemps déjà, levez les yeux...

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