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13 mars 2023

L’Occident est déconnecté du reste du monde

Le contraste entre les visions du Milliard Doré et le Grand Sud au sujet des événements de l’année passée, de l’état actuel des affaires, et de l’avenir proche renforcent les conclusions tirées par le Conseil européen des relations internationales, selon lesquelles l’Occident est véritablement déconnecté du reste du monde, chose qui reste un tabou pour les élites occidentales.

Les « Exceptionnalistes occidentaux » qui croient en la suprématie de leur civilisation seront choqués de découvrir qu’un groupe de réflexion européen de haut niveau a reconnu il y a peu que leur bloc de Nouvelle Guerre Froide est déconnecté du reste du monde. Le Conseil européen des relations internationales (ECFR), que l’on saurait qualifier de « marionnette russe » ou même d’entretenir des amitiés envers la Russie, vient de publier un rapport accablant sous le titre : « L’Occident Uni, divisé du reste du monde : opinion publique mondiale à l’issue d’une année de guerre russe en Ukraine« .

Faisant état de données issues d’un récent sondage mené par la prestigieuse Université d’Oxford, ils décrivent que la rhétorique « pro-démocratie » et d’« ordre basé sur des règles », épousée par le Milliard Doré, États-Unis en tête, a consolidé au sein de leur bloc tout en les déconnectant du Grand Sud. Comme tout observateur objectif aurait pu s’y attendre, les habitants de ce Grand Sud ne perçoivent pas le conflit ukrainien de la même manière que ceux du bloc occidental.

Si le Milliard Doré se montre prêt à soutenir la guerre par procuration menée par l’OTAN contre la Russie en Ukraine aussi longtemps que nécessaire pour que Kiev récupère les territoires par elle revendiqués, le Grand Sud veut que le conflit cesse aussitôt que possible. Le bloc occidental en est arrivé comme prévu à détester la Russie au cours de l’année écoulée, alors que le Grand Sud continue d’entretenir des sentiments très positifs envers la Russie, surtout en Inde où l’énorme proportion de 80% de la population considèrent ce pays soit comme « un allié », soit comme un « partenaire nécessaire — avec lequel nous devons coopérer stratégiquement ».

De même, le Grand Sud estime que la Russie n’a rien perdu de ses forces au cours de l’année écoulée depuis le début de son opération spéciale, voire s’est renforcée au cours de cette période. Autre point majeur de divergence entre le Grand Sud et le Milliard Doré : les États du Grand Sud se considèrent déjà comme des démocraties décentes, le sous-entendu étant qu’ils n’ont pas besoin que l’Occident les « conseille », et ils se montrent sceptiques quant aux intentions de l’Occident en Ukraine. Ils ne distinguent en outre aucune différence entre les États-Unis et l’UE sur ce point.

Alors que le Milliard Doré s’accroche à un avenir bipolaire, largement façonné par la compétition mondiale entre les États-Unis et la Chine, le Grand Sud estime que l’avenir sera véritablement multipolaire. Ces visions contraires sur les événements récents, l’état actuel des affaires, et l’avenir proche renforcent la conclusion du ECFR, selon lesquelles l’Occident est véritablement déconnecté du reste du monde, d’où la recommandation quelque peu surprenante qu’il émet : il faut respecter la souveraineté de ces États du Grand Sud.

Pour reprendre les termes du rapport : « À notre avis, l’Occident serait avisé de traiter l’Inde, la Turquie, le Brésil et les autres puissances comparables comme de nouveaux sujets souverains de l’histoire du monde, plutôt que comme des objets que l’on peut pousser du bon côté de l’histoire… L’Occident va devoir vivre comme un pôle parmi d’autres au sein d’un monde multipolaire, avec des dictatures hostiles comme la Chine et la Russie, mais également avec des puissances majeures indépendantes comme l’Inde et la Turquie. »

Les « Exceptionnalistes occidentaux » mentionnés au début du présent d’article vont probablement continuer à se bercer d’illusions au sujet de la conclusion à laquelle est parvenu l’ECFR, et vis-à-vis de ses recommandations, puisque qu’ils sont dans l’incapacité d’approuver les décisions souveraines prises par les autres pays, surtout au sujet de leurs systèmes de gouvernement et des partenariats internationaux. Quoi qu’il en soit, même s’il est peu probable que les conseils prodigués par ce groupe de réflexion seront parfaitement suivis, il faut féliciter l’ECFR d’avoir présenté cette vision, qui reste largement taboue en Occident.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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