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12 mars 2023

Comment les Français deviennent Argentins

“Nous attendons 80 enfants”, m’a informé la gardienne de la maison à notre arrivée.

La semaine dernière, l’idée a circulé de proposer un concert de piano et guitare aux habitants des alentours afin de rencontrer les familles.

Nombre d’entre elles tirent leur source de revenus du ranch où nous sommes, en travaillant à plein temps ou lors de besoins de main-d’œuvre, par exemple lorsqu’ils récoltent les raisins ou ont des travaux d’entretien des canaux d’irrigation pour les champs.

Bien sûr, l’idée a plu à tout le monde. En tant que joueur amateur de piano, ils m’ont proposé de jouer quelques morceaux pour les enfants après la sortie d’école, ce vendredi. La demande m’a parue simple sur le moment. Cependant, à l’arrivée au ranch, la gardienne nous a informés des préparations pour la fête. Elle a passé au moins toute la matinée à cuisiner des gâteaux et sucreries pour les enfants, semble-t-il.

Le nombre d’invités attendus n’est pas de 10 ou 15 élèves après l’école, comme prévu… mais bien de 80 personnes, adultes ou enfants, qu’elle attend pour le concert. Le spectacle aura lieu avec un vieux piano dans le salon (qui a juste assez de place pour deux canapés et quelques chaises au maximum). Si la gardienne a raison dans ses prévisions, les enfants écouteront depuis les fenêtres de la cour, tandis que les adultes les plus âgés prendront les quelques places assises.

Les gens des alentours du ranch vivent à 5 heures de route de la ville provinciale de Salta, et beaucoup n’ont pas de véhicule de toute manière. Ils ne voient donc pas beaucoup d’étrangers, qui sont peut-être aussi rares pour eux qu’un habitant de Buenos Aires.

L’occasion demanderait donc de la préparation. De l’entraînement. Mais ce n’était pas possible cette semaine, puisque nous avons rendu visite à une propriété d’investissement, dans l’est de la province.

Pendant ce temps, la gardienne a distribué à toutes les familles en question – pour la plupart ses parents proches ou éloignés – les invitations, et nous annonce que tous comptent venir. D’autres musiciens amateurs, mis à part moi, complèteront avec du chant ou de la musique tango.

La situation illustre peut-être comment “penser comme un Argentin,” un sujet qui m’occupe depuis mon arrivée dans le pays en mi-février.

Penser comme un Argentin

Les Argentins vivent avec l’imprévisible.

Ils ont une panoplie de règles, un peu comme la France. De plus, les règles changent tout le temps – et créent tant de surcoûts pour les citoyens que personne ne les respecte, sauf en cas de risque grave.

“La lutte contre l’inflation est l’affaire de tous”, a déclaré le ministre français, Bruno Le Maire, après des rencontres avec les responsables de supermarchés ce mois-ci. Il envisage de faire supporter aux magasins les dégâts de la chute de l’euro.

Ici, en Argentine, les autorités créent de même de la dévaluation – ils ont aujourd’hui un taux d’inflation de 100 % par an. La dévaluation provient des choix des dirigeants, qui tournent avec des déficits élevés, et empruntent en devise étrangère.

Ici, la perte de la valeur du peso est bien “l’affaire de tous”. En effet, tout le monde cherche en permanence comment éviter les contrôles de change, qui reviennent à une forme de taxe de 50 % lorsque vous avez des dollars en banque (ce qui explique que seuls 10 % des transactions dans le pays ont lieu via les banques, nous dit un contact).

Le peso vaut, selon le gouvernement argentin, environ 0,5 centimes de dollar. Cependant, pour les changeurs de monnaie sur les rues de Buenos Aires, le peso vaut seulement 0,25 centimes de dollar environ. Soit 1 dollar pour près de 400 pesos, au lieu de 200 pesos. Lorsqu’une entreprise change des dollars en pesos via le système bancaire, elle reçoit le taux dicté par les autorités, soit environ la moitié de la valeur du dollar. “Penser comme un Argentin”, nous a expliqué un avocat d’affaires, revient à trouver les moyens d’éviter de perdre 50 % de son argent en passant par le système bancaire, par exemple.

Bien sûr, vous pouvez toujours vous rendre ici avec des dollars liquides et les changer dans la rue (les changeurs, même s’ils sont hors-la-loi, opèrent en toute liberté depuis des années, souvent sous les yeux de la police). Par contre, si vous avez des dépenses importantes, la méthode devient risquée. Les autorités ne regardent pas pour les petites transactions. Par contre, elles relèvent la tête pour des montants plus importants.

Acheter un tracteur, par exemple, coûte environ 40.000 $. Mais si vous transférez vos dollars à une banque argentine pour faire l’achat, vous payez en réalité 80.000 $ en raison du contrôle des changes. Vous réfléchissez donc beaucoup avant de le faire. Vous achèterez peut-être un vieux tracteur, à un montant plus faible.

Jusqu’à récemment, un étranger avait la capacité (légale ou non en fonction des interprétations) d’éviter le problème du taux de change via le marché des obligations. Vous pouviez acheter des obligations argentines en dollars, puis les revendre en pesos au taux de marché libre. Aujourd’hui, disent les sources locales, la méthode ne marche plus.

En somme, à cause des choix des autorités, vous passez le gros de votre temps à éviter des ennuis avec les dirigeants.

Le pays offre sans doute un avertissement pour les Français…

L’UE accroît la quantité de règles autour de nous, et menace la valeur de la monnaie. La “protection du climat”, par exemple, requiert l’interdiction des véhicules thermiques, qui représentent 6 % des emplois européens, ainsi que le mode de transport le plus répandu aujourd’hui.

Au fil du temps, les gens vont “penser comme des Argentins.”

Ils vont non pas penser à l’avenir, mais tenter de passer entre les mailles du filet et éviter au mieux la ruine. Dans ma lettre quotidienne rédigée avec Simone Wapler, nous suivons l’avancée des dégâts… Et justement, nous proposons des manières de protéger votre patrimoine.

Henry Bonner

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