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27 novembre 2022

L’incorrigible germanolâtrie des dirigeants français

"La crise allemande va faire plus mal encore à l'Allemagne qu'à ses voisins. Voilà pourquoi il faut, à la différence de Mitterrand paniquant devant la réunification, garder la tête froide, regarder uniquement nos intérêts. Et nous garder de répondre aux premières sollicitations allemandes(...) Pardon, je m'emballe: j'avais oublié que le président s'appelle toujours Emmanuel Macron. Il y a peu de chances que le grand tournant, indispensable, de la relation entre la France et l'Allemagne se produise de sitôt".

On nous dit que Madame Borne est à Berlin pour “recoller les morceaux”.  Les mêmes se félicitent de ce qu’Emmanuel Macron ait reçu Madame Baerbock et Bruno Le Maire Robert Habeck. Ouf ! Tout redevient comme avant ! C’est-à-dire que le Président, le Premier ministre, le Ministre de l’Économie et des Finances sont incorrigibles. Ils sont à l’image de ces milieux dirigeants français qui versent depuis des années dans la germanolâtrie – contre les intérêts français. 

Comme toujours chez Macron, çà fait pschitt! 

 Emmanuel Macron avait eu, comme ça lui arrive de temps en temps, un bon instinct. Il avait annulé un dîner gouvernemental franco-allemand. Mais Macron n’est qu’un tacticien. Cela lui permet de régner en politique intérieure. (“Aux royaumes des aveugles, les borgnes sont rois”). Mais Macron est un cyclope; il lui manque la vue en relief, qui permet la stratégie. Ce qui avait été gagné en tenant un peu les Allemands à distance a été reperdu en quelques semaines. 

+ Emmanuel Macron a manqué l’occasion d’une conférence de presse avec Scholz venu déjeuner à Paris. Le chancelier allemand aurait dû s’expliquer devant les médias français sur les désaccords avec la France. 

+ Emmanuel Macron a reçu Annalena Baerbock. Outre le manque de respect du protocole – un président français n’a pas à recevoir en tête-à-tête un ministre d’un autre pays – on ne peut pas imaginer plus hostile aux intérêts de la France que Madame Baerbock, qui n’est guère qu’une courroie de transmission des ordres de Washington au vassal allemand.  

+ Ensuite, quand j’entends que Habeck et Le Maire ont défendu une position commune face à l’Inflation Reduction Act de Joe Biden, je constate que Paris n’a toujours pas compris qu’on n’arrive plus à rien en Europe quand on fait seulement du “franco-allemand”. Au lieu de former une coalition de pays qui posent leurs conditions à Washington en Conseil Européen, Bruno Le Maire s’en remet avec son alter ego allemand à la Commission. Dont on peut être sûr qu’elle défendra – dans l’ordre – (1) les intérêts américains. (2) certains intérêts allemands. (3) mais certainement pas d’intérêts français. 

Les Allemands n’ont jamais voulu d’une “Europe européenne”

+ Et voilà Madame Borne à Berlin. Et là le masque berlinois est déjà tombé, comme Les Echos le racontent naïvement: “Il n’est pas question (…) de privilégier directement les produits européens. Il n’y a pas encore « d’accord avec Berlin, même si nous partageons la volonté d’avoir un véritable agenda industriel européen », reconnaît-on à Paris. Face au risque de « voir disparaître des emplois industriels dans notre pays, la solution n’est pas de s’isoler, mais de coopérer » commente aux « Echos » Verena Hubertz, la vice-présidente du groupe SPD, le parti d’Olaf Scholz, au Bundestag.

« Le gouvernement allemand s’est toujours prononcé en faveur d’un système commercial fondé sur des règles dans le cadre de l’OMC », rappelle pour sa part le ministère allemand de l’Economie en ouvrant néanmoins une porte : la résilience européenne et allemande pourrait prendre en compte « l’implantation et le développement compétitif de leur propre valeur ajoutée », commente un porte-parole.

C’est toujours la même histoire depuis que – sous l’influence néfaste de Jean Monnet – les députés allemands ont vidé de sa substance le traité de l’Elysée! Les Allemands veulent bien s’afficher avec les Français mais ils ne veulent pas, au fond, d’une “Europe européenne”. 

Tous ces cavaliers seuls allemands

(pour cette partie, on se référera aux trois ouvrages que j’ai consacrés aux relations franco-allemandes: en 1998; en 2005 et en 2019)

La liste est longue des cavaliers seuls de l’Allemagne: citons Franz Josef Strauss refusant de soutenir le franc en mai-juin 1968; Helmut Schmidt demandant l’installation de missiles américains de moyenne portée en Europe de l’Ouest (en 1977); Helmut Kohl lançant la réunification sans concertation préalable avec la France le 28 novembre 1989; le même Helmut Kohl poussant unilatéralement la reconnaissance immédiate de la Slovénie et de la Croatie indépendantes en 1992; Angela Merkel faisant sortir brusquement son pays de l’industrie nucléaire civile en 2011; la même ouvrant totalement ses frontières aux “migrants”; ou refusant pandant plusieurs années à Emmanuel Macron toute discussion sérieuse sur un budget de la zone euro…

Il n’y a rien de nouveau sous le soleil franco-allemand. Seuls de Gaulle et Pompidou avaient compris, après l’échec du Traité de l’Elysée, qu’on ne devait rien attendre d’une coopération franco-allemande approfondie. 

Ajoutons que, faisant cavalier seul, l’Allemagne se met souvent dans  des mauvaises situations.  Dont malheureusement les présidents français les tirent régulièrement, au lieu de se préoccuper de rétablir, grâce aux faux pas allemands, l’équilibre entre les deux pays. 

La mauvaise habitude des présidents français de sortir l’Allemagne du fossé. 

+ les gouvernements de Helmut Schmidt et Helmut Kohl avait suscité des manifestations pacifistes monstres en voulant installer les euromissiles sur leur territoire. Au lieu de laisser Kohl se dépétrer de cette crise, Mitterrand alla lui sauver la mise au Bundestag par un discours aussi mauvais que célèbre (avec une formule digne de Monsieur Homais: “Les fusées sont à l’est; les pacifistes sont à l’ouest”). 

+ Kohl avait fait un très mauvais choix de parité monétaire entre le mark est-allemand et le deutsche mark en lançant la réunification (un pour un alors que la compétitivité de la RDA était au mieux le tiers de celle de la RFA). Eh bien que fit Mitterrand, il proposa l’euro, alignant les taux d’intérêt français sur les taux d’intérêt allemand et cassant la belle reprise française du début ders années 1990. 

+ L’industrie allemande paie aujourd’hui pour s’être couchée devant Madame Merkel et ne plus disposer de l’outil qui lui aurait permis de se passer, au moins en partie, du gaz russe: le nucléaire civil. 

Si nos gouvernants avaient de la mémoire et du jugement, ils devraient se préoccuper de relancer le nucléaire civil français à plein régime et laisser l’Allemagne se débrouiller un temps avec sa propre crise. 

La crise allemande va être terrible

Car la crise allemande va être terrible. Comme le résume très bien le blog H16:

On apprend qu’Uniper, la principale société allemande de vente de gaz et premier distributeur de l’entreprise russe Gazprom, doit faire appel à l’État allemand à hauteur de 55 milliards d’euros suite à une perte nette kolossale établie à 40 milliards d’euros depuis le début de l’année.

Un milliard d’euros par-ci, un milliard d’euros par-là et, rapidement, on commence à parler gros sous. En tout cas, à 55 milliards d’euros, voilà une somme rondelette qui va peut-être faire réfléchir Olaf Scholz sur les choix énergétiques opérés ces dernières années par l’Allemagne : manifestement, multiplier les efforts sur les énergies renouvelables revient un peu trop à multiplier aussi les approvisionnements en gaz et à se retrouver en fâcheuse posture lorsque la conjoncture internationale change un tantinet.

Et s’il y a bien transition énergétique, ce n’est pas exactement vers de nouvelles formes d’énergies, mais plutôt vers pas d’énergie du tout : en somme, tout ne se passe vraiment pas comme prévu en Europe : en quelques mois, des choix très politiques se sont traduits par des conséquences quasi-immédiates aussi économiques que palpables, avec des grosses faillites à la clé.

Pour une fois, l’Allemagne ne s’en sort pas mieux que les autres, et peut-être même au contraire : ces faillites se multiplient à un rythme réellement inquiétant. Ainsi, le fabricant de meubles allemand Hülsta est insolvable, 80 ans après sa fondation. La chaîne de boulangeries Thilmann atteint le même point 85 ans après ses débuts. Pour Wolff Hoch und Ingenieurbau, entreprise de construction, il aura fallu 125 ans, alors que Bodeta, le fabricant de confiseries, aura tenu 130 ans. Borgers, l’équipementier automobile, ferme ses portes après 156 ans et Kappus, le fabricant de savon, après 170.

Ces quelques exemples, étalés en quelques jours seulement, donnent à réfléchir : ces entreprises ont survécu à deux guerres mondiales, des changements politiques et sociaux majeurs, pour finalement toutes mourir en 2022 parce qu’essentiellement, les Allemands ont cru dur comme fer que les moulins à vents et les miroirs magiques, tous doublés de turbines à gaz russe, allaient leur éviter de taper dans le charbon, le pétrole et le nucléaire“.

Il faudrait garder la tête froide mais notre problème, c’est Macron

La crise allemande va faire plus mal encore à l’Allemagne qu’à ses voisins. Voilà pourquoi il faut, à la différence de Mitterrand paniquant devant la réunification, garder la tête froide, regarder uniquement nos intérêts. Et nous garder de répondre aux premières sollicitations allemandes.  

Les Allemands créent un fonds de dotation de cent milliards pour la défense et veulent acheter avec du matériel américain? Aucun problème, la France prend acte de la mort de l’Europe de la défense et fera ses choix militaires.  

Le gouvernement allemand a des problèmes avec son modèle énergétique? Qu’il assume ses choix! Nous avons nous-même à réparer les bêtises de la présidence Hollande et du premier quinquennat Macron, où l’on a aussi rêvé “fin du nucléaire”. 

Les Allemands sont déboussolés par l’attitude américaine, qui vise à les couper complètement de la Russie? Eh bien ils n’avaient qu’à nous écouter quand nous parlions “d’Europe européenne”. A présent, nous allons faire comme le Général de Gaulle à partir de 1964, avoir notre propre politique étrangère. 

Pardon, je m’emballe: j’avais oublié que le président s’appelle toujours Emmanuel Macron. Il y a peu de chances que le grand tournant, indispensable, de la relation entre la France et l’Allemagne se produise de sitôt. 

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