On associe le plus souvent des conclusions fatalistes à la notion "d'Etats profond". Pour le trentième anniversaire du Traité de Maastricht - qui a lié notre pays plus que de raison à l'OTAN - Jean Goychman montre que l'histoire n'est jamais écrite. Actuellement, le scénario le plus probable est que, le Deep State n'ayant pas réussi son KO, se mette en place un CHAOS profond.
Nous vivons une période où l’Histoire s’accélère. Les plans concoctés à l’avance dans l’atmosphère feutrée des bureaux dont les occupants cherchent les moyens de « peser sur le cours des choses » commencent à produire leurs effets. Il demeure cependant difficile d’en percevoir la finalité, mais c’est, à l’évidence, étudié pour !
Pourquoi une telle discrétion, pour ne pas parler de secret, semble toujours de mise lorsqu’il s’agit de parler de la géopolitique planétaire ? On pourrait penser benoîtement que les gens que nous avons élu auraient à cœur de prendre en compte notre intérêt collectif et agir en conformité. C’est bien pour cela que nous avons voté pour eux, non ?
Ou alors faut-il comprendre que nos élus, une fois élus, obéissent à d’autres impératifs qui n’ont jamais été clairement évoqués durant les campagnes ?
Un anniversaire opportun
Le 20 septembre 1992, le peuple français approuvait (d’une courte tête, il est vrai) le traité de Maastricht. Tout le monde a retenu la « monnaie unique » plus que l’extension des pouvoirs des fonctionnaires européens, laquelle allait pourtant révéler son emprise sur nos vies au fil du temps.
Mais ceux qui ont, à l’époque, cédé aux « sirènes bruxelloises » se doutaient-ils de l’austérité paralysante, du repli industriel et de la régression sociale qu’elle allait entraîner. Personne, à ma connaissance, n’avait fait remarquer que 1992 avait immédiatement succédé à 1991. Et les effets de 1991, qui avait fait basculer dans l’ère post-URSS, étaient restés largement méconnus dans l’opinion.
30 après, les choses sont plus claires. La disparition de l’URSS en tant que puissance, qui devait ouvrir une période de paix prolongée, n’a pas tenu ses promesses. Comme l’avait parfaitement analysé Zbignew Bzrezinski dans son livre « le grand échiquier », les États-Unis étaient devenus et resteraient pour longtemps « l’hyper puissance mondiale ». En tant que telle, les dirigeants des Etats-Unis auraient dû agir, conformément à leur « destinée manifeste », telle qu’elle est définie par Yves Lacoste dans Hérodote :
« [le] destin, [le] rôle que Dieu aurait manifestement confié à l’Amérique de développer les valeurs de liberté, de justice et de progrès, de les étendre le plus possible et de les défendre contre toute tyrannie ».
Trois décennies marquées par des guerres d’ingérences
A la place, nous avons connu une suite incessante de conflits, en Europe centrale et dans le proche et le moyen-Orient, naturellement justifiés en déclaration par les valeurs citées ci-dessus. Force est de constater que certains pays européens, pas toujours les mêmes, ont pris part à ces interventions.
Petit à petit s’est dégagée une ligne de partage du monde qui n’est pas sans rappeler la guerre froide, en lieu et place d’un monde réunifié et paisible. Ce n’est que durant le mandat de Donald Trump qu’aucune guerre nouvelle n’a été engagée par les États-Unis, ce qui mérite d’être noté.
Parallèlement à ces événements, une autre bataille, beaucoup plus discrète, se déroulait.
Dans un précédent article, m’appuyant sur les écrits de l’historien Peter Dale Scott, je relatais la montée en puissance de ce qui est désigné aujourd’hui comme le « Deep State » (Etat profond).
Né dans les années 50 de la nécessité d’assurer la poursuite de la guerre le cas échéant, il a développé ses ramifications dans l’ensemble de l’appareil militaire, y compris dans les moyens de production, avant d’accéder aux différents niveaux du pouvoir, exécutif et législatif. Entré à la Maison Blanche (probablement à l’insu d’Eisenhower), il est entré dans le Bureau Ovale avec l’ancien patron de la CIA Georges H Bush sous Ronald Reagan. Ayant succédé à ce dernier, c’est sous son mandat qu’éclata la guerre en Irak en 1991.
Dans le même temps, il a affermi son emprise sur les médias de grande diffusion, les transformant de moyens d’information en moyens de communication.
L’Etat Profond est-il belliciste ?
Peter Dale Scott répond sans ambiguïté à la question. Le deep state a toujours agi dans le sens du conflit, que ce soit à Cuba, au Vietnam ou partout ailleurs. Un passage caractéristique le l’analyse du « Grand Echiquier » effectuée par le site d’Olivier Berruyer « Les Crises » mérite d’être cité :
« Si les États-Unis ont pu exercer une prépondérance économique mondiale, ils le doivent à « la nature cosmopolite de [leur] société (…) qui [leur] a permis (…) d’asseoir plus facilement leur hégémonie (…) sans pour autant laisser transparaître [leur] caractère strictement national ». Il est peu probable qu’un autre pays puisse faire de même ; « pour simplifier, n’importe qui peut devenir Américain, mais seul un Chinois peut être Chinois ». Il transparaît dans ces propos une négation radicale de l’altérité. Les Etats-Unis ne veulent pas « l’autre », ils ne le conçoivent même pas ; ils ne connaissent que l’autre en tant que « même », un clone en quelque sorte ; piètre intelligence du monde, de la richesse, de la diversité de l’homme que ce rapport à l’autre, spécifiquement américain. Comme la puissance Américaine ne saurait durer sans fin (nous ne sommes pas arrivés avec le triomphe de l’Amérique et de ses « idéaux » à la fin de l’Histoire, pour reprendre les mots d’un illuminé nommé Francis Fukuyama), Brzezinski nous trace « l’après domination états-unienne ». Le legs de l’Amérique au monde, à l’histoire, doit être une démocratie planétairement triomphante, nous dit-il, et surtout, la création d’une « structure de coopération mondiale (les Nations Unies sont « archaïques ») (…) qui assumerait le pouvoir de « régent » mondial ». Voilà donc un testament établi pour la poursuite mondiale, et jusqu’à la fin des temps, du « rêve américain ».
Il transparaît dans ces propos des certitudes immuables qui sont inquiétantes. Elles rappellent les propos prêtés aux jeunes Anglais du « Groupe de Milner » décrits par Carol Quigley dans son livre « l’Histoire secrète de l’oligarchie anglo-américaine »
« Cecil Rhodes croyait, comme John Ruskin, que seule l’élite pouvait et devrait diriger le monde pour le bien et le bonheur de l’humanité » (note de la page 39)
L’analyse de Brzezinski sur l’Ukraine vient renforcer cette vision hégémonique :
…] L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. Et quand bien même elle s’efforcerait de recouvrer un tel statut, le centre de gravité en serait alors déplacé, et cet empire pour l’essentiel asiatique serait voué à la faiblesse, entraîné dans des conflits permanents avec ses vassaux agités d’Asie centrale.[…] Pour Moscou, en revanche, rétablir le contrôle sur l’Ukraine – un pays de cinquante-deux millions d’habitants doté de ressources nombreuses et d’un accès à la mer Noire-, c’est s’assurer les moyens de redevenir un Etat impérial puissant, s’étendant sur l’Europe et l’Asie. La fin de l’indépendance ukrainienne aurait des conséquences immédiates pour l’Europe centrale. La Pologne deviendrait alors le pivot géopolitique sur la bordure orientale de l’Europe unie.
La Russie est ainsi identifiée comme une menace pouvant empêcher cette domination mondiale des Etats-Unis dès 1997. On constate que la disparition de l’URSS n’a pas changé la vision de l’Etat Profond et la Russie est toujours désignée comme l’ennemi à abattre, ce qui peut expliquer beaucoup de choses, depuis l’extension de l’OTAN vers l’Est jusqu’à la guerre en Ukraine.
On constate aussi le manque d’objectivité de l’ONU, dont le rôle tel qu’il était prévu par la Conférence de San Francisco, était justement d’arbitrer les conflits entre nations. Depuis plusieurs années, cette dernière demeure impuissante à se faire entendre et ne sert plus que de théâtre à la comédie dramatique qui est en train de se jouer. Et cette impuissance peut entraîner la catastrophe car elle était la seule « soupape de sécurité »
La guerre de communication qui veut démontrer l’absolue culpabilité de la Russie ne sert à rien, car elle ne réussira à convaincre que les alliés des États-Unis. Telles que les choses s’engagent, l’escalade devient inévitable. Il y a deux jours, sur Cnews, Caroline Galactéros était l’invité d’Yvan Rioufol. Géopolitologue renommée, elle a parlé du « Pacte de Kiev » qui est en cours de gestation. Pourquoi est-elle la seule (à ma connaissance) à en parler ? Cela concerne le peuple français au premier chef car il s’agit -ni plus ni moins- que de garantir à l’Ukraine sa sécurité comme si elle faisait partie de l’UE et de l’OTAN. Comment va réagir la Russie si une telle démarche prospère ?
Au nom de quoi devrions-nous mettre en jeu notre propre sécurité pour garantir celle d’un pays avec lequel nous ne sommes liés par aucun acte ? Il y a quelques jours, la Présidente de la Commission Européenne s’est arrogée le droit d’engager l’Union Européenne dans une aide inconditionnelle à l’Ukraine. Au nom de qui et de quoi ? Sur quel traité européen peut-elle s’appuyer pour tenir un tel discours ? A moins que l’on ait tout simplement oublié de nous prévenir que nous étions dorénavant partie intégrante d’une coalition qui allait déclarer la guerre à la Russie en représailles à son action envers l’Ukraine ?
Le temps semble jouer contre l’Etat Profond
D’un côté, les pays qui ne veulent plus de l’hégémonie américaine sont en train de s’organiser. Et les choses avancent. L’Assemblée générale de l’OCS représentait 3 milliards de personnes et plus de 30 nations différentes. De plus en plus de pays font acte de candidature pour rejoindre les BRICS et le dernier en date est la Turquie. Jusqu’à présent, pratiquement tous ces pays utilisaient le dollar pour leurs échanges internationaux. Certains avaient déjà commencé à réfléchir sur l’utilisation d’une autre monnaie et, incontestablement, le conflit en Ukraine a accéléré les choses. Or, l’hégémonie américaine repose en grande partie sur le dollar, comme celle de l’Angleterre reposait sur la livre Sterling. Il y a donc une course de vitesse qui est en train de s’engager et le temps profite à ceux qui ne veulent plus de la « Pax Americana ». Nous rentrons maintenant dans ce que Graham Allison décrivait comme étant « le piège de Thucydide » qui, malheureusement, s’est souvent terminé par une guerre.
De l’autre côté, les pays occidentaux payent maintenant le prix de leurs contradictions et de leurs dogmes érigés en modes de gouvernement. Le conflit ukrainien met en lumière une faiblesse structurelle de l’UE en matière énergétique, et celle-ci aura des conséquences désastreuses sur la production industrielle. Le choix d’entrer également dans la décroissance, qui est la conséquence des choix liés à la transition énergétique viendra cumuler ses effets avec ce qui précède et nous allons réussir à, côté français, après avoir délibérément décidé unilatéralement et constitutionnellement de renoncer à toute prospection en matière de gaz ou de pétrole de schiste, utiliser ce produit honni en provenance d’autres pays. Jusqu’à présent, le commerce depuis et vers l’UE se faisait en dollars, mais la baisse prévisible de la production industrielle va encore affaiblir le dollar (et l’euro)
D’une façon analogue, les puissances militaires suivent le même mouvement. Les potentiels russes et surtout chinois s’accroissent avec leur activité économique et la Chine commence à « reprendre des couleurs » après l’épisode du COVID. Tout ceci va dans le même sens et le risque d’un conflit généralisé devient de plus en plus probable par le jeu des provocations. Peut-être même est-il déjà souhaité par certains qui pensent depuis très longtemps que la présence de la Russie constitue une menace permanente pour eux ?
Dans ce cas, le choix de notre avenir se réduirait entre le chaos généralisé ou le K.O.d’une des deux parties, voire des deux.
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