18 avril 2022

Poutine, le monde libre

Le protecteur de la sainte Russie contre la barbarie yankee et les hordes de l'OTAN.

"Ici (en Russie), il reste encore des racines vivantes. Elles sont en train de donner des pousses. Il y aura une restauration des valeurs civiques et spirituelles. Vous, en Europe, vous êtes dans une éclipse de l'intelligence. Vous allez souffrir. Le gouffre est profond. Vous êtes malades. Vous avez la maladie du vide. J'ai senti tout cela dans le Vermont. Le système occidental va vers son état ultime d'épuisement spirituel : le juridisme sans âme, l'humanisme rationaliste, l'abolition de la vie intérieure... Toutes vos élites ont perdu le sens des valeurs supérieures. Elles ont oublié que le premier droit de l'homme, c'est le droit de ne pas encombrer son âme avec des futilités." - Soljenitsyne
Poutine, le monde libre - par Philippe de Villiers

Je pousse Vladimir Poutine à m'expliquer la confrontation des visions du monde entre la Russie et l'Amérique : la Russie veut un monde multipolaire, m'explique-t-il, les États-Unis le veulent unipolaire — atlantiste, mondialiste. Les sanctions sont une aberration géostratégique pour la France. Elles coupent l'Europe de la Russie alors que les complémentarités sont évidentes, entre les biens industriels et les sources d'énergie, entre nos cultures et nos richesses spirituelles. L'Europe de saint Benoît et de saint Vladimir, celle de Pouchkine, de Tolstoï, de Balzac et de Victor Hugo.

— La Russie avait vocation à devenir l'interface entre la Chine et l'Union européenne. La crise ukrainienne a abîmé ce rêve eurasiatique. L'Amérique y a mis son veto.

Il me fait comprendre que la Russie n'a désormais d'autre choix que de se tourner davantage vers la Chine et l'Inde. Et nous, les Français, nous n'avons pas d'autre horizon, hélas, que l'américanisation de l'Europe.

— Vos dirigeants passent à côté de leur avenir. Comme on dit en Russie, ils ne cessent de marcher sur le même râteau. Trop souvent sans culture, ils ne connaissent plus les leçons du passé. Ainsi ignorent-ils que l'Ukraine est historiquement un pays lié à nos affections. Quant à la Crimée, revenue à la mère patrie, l'ancienne Chersonèse et Sébastopol ont une importance civilisationnelle et même sacrée, inestimable pour la Russie, comme le mont du Temple à Jérusalem pour les croyants de l'islam et du judaïsme. Le baptême du grand-duc Vladimir eut lieu à Chersonèse en Crimée ; et le baptême des Russes eut lieu à Kiev en Ukraine.

En réalité, en écoutant cet homme d'État qui cherche à embrasser l'avenir du monde et qui parle sans détour, je comprends que nous assistons aujourd'hui à une formidable inversion historique. Jusqu'à la chute du Mur, la Russie représentait le bloc soviétique, le bloc soumis, et l'OTAN le monde libre. Désormais, la Russie libérée de toute idéologie révolutionnaire, assiste en pays libre à l'instrumentalisation de l'OTAN pour asservir le monde à l'Amérique ainsi qu'à son modèle de société. Le monde libre, indépendant, ne serait-il pas désormais à l'Est, le monde asservi — sous domination américaine — désormais à l'Ouest ? 

Si l'Europe et les nations européennes veulent sortir de la récession, voire d'une disparition pure et simple — puisqu'on nie aujourd'hui les valeurs chrétiennes qui ont forgé leur identité —, elles doivent se tourner vers le monde orthodoxe qui résiste envers et contre tous à une forme de décadence occidentale reposant sur l'individualisme absolu, le nihilisme transgressif et le consumérisme globalisé.

Aujourd'hui la Russie, où je vais régulièrement, ne représente plus, selon moi, une menace, elle est même pour nous une opportunité remarquable sur le plan économique comme sur le plan moral, parce qu'elle est sortie de l'idéologie que nous avons fabriquée pour elle — Marx et Engels étaient des Européens. Elle peut donc nous aider à nous libérer nous-mêmes de nos dérives idéologiques, quelles qu'elles soient. Hélas, l'Europe n'est plus pensée comme un ensemble de nations aux cultures proches qui peuvent travailler ensemble de manière multilatérale, mais comme une idéologie, un absolu, un magma en fusion sans consistance et sous influence, l'Europe des Femen et du terrorisme médiatique.

Un an après cet entretien du 14 août 2014, j'ai pu constater que l'Histoire n'a pas traîné. Obama, qui tient Merkel et Hollande dans sa main, commande les destinées de l'Europe, tant sur le plan militaire que diplomatique. L'Amérique a besoin d'un ennemi pour tenir et cimenter l'Alliance atlantique, qui n'a plus de raison d'être depuis la disparition du pacte de Varsovie et la chute du communisme. Elle a donc besoin d'un diable. Et ce diable, c'est Poutine. S'il n'y a plus de diable, la brouette risque de perdre ses grenouilles en route. Nul ne pourra plus les retenir. Les Européens échapperont alors à la férule américaine.

Mon père me rappelait souvent les liens de notre famille avec l'Amérique. Notre ancêtre, qui fut ministre de la Guerre, le général de Ségur, participa à la guerre d'Indépendance. Ce qui nous vaut d'être membres de la prestigieuse National Society of the Sons of the American Revolution. Mais l'amitié ne doit pas entraver la lucidité. Mon père me répétait :

— J'ai vu de près les Américains pendant la guerre, je les aime beaucoup, ils ont de l'allant, mais ce sont de grands enfants. Ils jouent avec le monde.

Il faut croire qu'aujourd'hui les Européens sont aussi devenus puérils. La différence entre les enfants et les adultes, c'est le poids de l'Histoire et le prix de leurs jouets.

Pour l'heure, la brouette transatlantique accompagne, en queue de convoi, les pyromanes américains partout où il leur prend l'envie d'aller mettre le feu : le Kosovo, l'Irak, la Libye, la Syrie, l'Ukraine. Leurs voyages sont nos voyages ; leurs conflits, nos conflits ; leurs aventures, nos aventures. C'est la définition même d'un protectorat.

Notre président est un proconsul américain qui a choisi de rendre visite à Castro plutôt que d'associer la France à la grande commémoration patriotique du 9 mai 2015 à Moscou. C'est plus qu'une faute, une erreur stratégique. Qui est passée inaperçue, car beaucoup d'intellectuels français ont salué cette « entrevue historique » à la une des journaux. Sans doute avaient-ils la larme à l'œil à cause de leurs souvenirs de jeunesse. Ces gens-là en veulent à Poutine de ce qu'ils ne sont plus. Ils l'accusent d'être un ancien du KGB, quand eux-mêmes ont passé leur jeunesse chez Mao, Castro, Pol Pot.

La presse française a parlé de « l'isolement de Poutine », le jour de cette parade militaire qui célébrait le soixante-dixième anniversaire de la victoire de la Russie sur l'Allemagne nazie.

Un drôle d'« isolement ». Sur l'estrade officielle, le président de la Russie était entouré du président de la Chine et du Premier ministre de l'Inde. A la tribune, il y avait trois milliards d'hommes représentés. Le parti communiste chinois a ensuite déclaré : « Cette cérémonie a propulsé à un nouveau stade le partenariat stratégique global entre la Chine et la Russie. »

Bientôt, en Europe, on dénoncera chez Poutine cette dérive vers l'Asie. Ainsi lui reprochera-t-on ce qu'on a provoqué. Moscou est devenue la capitale du système polycentrique face au bloc unipolaire sous clé américaine. La diplomatie européenne, au contact des grands enfants yankees, est devenue infantile. Elle relève d'un monôme dans une cour d'école : Hollande met les mains sur les épaules de Merkel qui les dispose sur les épaules d'Obarna. Et en avant pour le tour du monde. Seul l'Américain sait où il va.

Au rebours de nos intérêts, les sanctions contre la Russie ont des conséquences stratégiques pour l'Europe. « Leur but caché n'est pas de mettre la Russie à genoux, mais d'empêcher que la coopération entre Russes et Européens n'engendre le premier concurrent de l'économie américaine. » Seule la France peut aider l'Europe au nécessaire retournement stratégique que le président russe appela de ses vœux à la fin de notre entretien :

— Pensez-vous, m'interrogea-t-il, qu'il puisse y avoir un jour un mouvement d'émancipation des vieilles nations européennes face à l'Europe technocratique et américaine ?

— Bien sûr que oui. Et plus tôt que nous ne le pensons. Un jour, Margaret Thatcher m'avait dit : « On s'est débarrassé des commissaires à l'Est. Ce n'est pas pour obéir à d'autres commissaires à l'Ouest. » Bientôt ce système oligarchique va s'effondrer. Mort, il faudra bâtir la grande Europe confédérale...

— C'est le bon sens, reprit Vladimir Poutine. Helmut Kohl et François Mitterrand nous l'avaient secrètement proposée après la chute du Mur de Berlin. Mais les Américains veillaient. Ils voulaient que l'Europe passe de l'atlantisme au mondialisme.

— De Gaulle, lui aussi, avait proposé la Grande Europe. Il avait même prédit : « Un jour viendra où la Russie boira le communisme, comme le buvard boit l'encre. »

Préparez-vous, monsieur le président, votre projet de « Grande Europe » sera bientôt à l'ordre du jour.

Alors, Vladimir Poutine, qui connaît ses classiques, d'un geste de la main, m'interrompit :

— Oui... Oui... L'Europe de l'Atlantique à l'Oural.


Philippe de Villiers, « Le moment est venu de dire ce que j'ai vu ».




"J'ai été un homme politique. Je ne le suis plus. Ma parole est libre. Je suis entré en politique par effraction. Et j'en suis sorti avec le dégoût.

Le désastre ne peut plus être maquillé. Partout monte, chez les Français, le sentiment de dépossession. Nous sommes entrés dans le temps où l'imposture n'a plus ni ressource ni réserve. La classe politique va connaître le chaos. Il n y a plus ni précaution à prendre ni personne à ménager. Il faut que les Français sachent. En conscience, j'ai jugé que le moment était venu de dire ce que j'ai vu."

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