28 avril 2022

IHU de Didier Raoult : l'ANSM saisit la justice et engage des poursuites

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Le nouveau directeur de l'AP-HM veut la peau du Pr Didier Raoult et surtout qu'il quitte la tête de l'Institut hospitalo universitaire Méditerranée Infection.

Après plusieurs mois d'enquête, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a enfin rendu son verdict. Et ce n'est pas peu dire qu'il devrait provoquer quelques secousses à Marseille. Le rapport de 293 pages de "la police de la santé française", rendu public ce mercredi 27 avril, est loin d'être tendre envers l'Institut hospitalo-universitaire de Marseille (IHU), dirigé par Didier Raoult. Ces derniers sont épinglés pour de "graves manquements et non conformité à la réglementation des recherches impliquant la personne humaine (RIPH)", dont une partie avait été révélée dans deux enquêtes de L'Express publiées en juillet et en octobre 2021 et une enquête de Mediapart, également publiée en octobre dernier. 

En conséquence, l'ANSM annonce qu'elle a une nouvelle fois saisi la justice et qu'elle engage, en plus, des poursuites administratives à l'encontre de l'institut marseillais. L'avenir de Didier Raoult à la tête de l'IHU, déjà poussé à la porte par son organisme de tutelle, l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), est encore plus menacé. Selon une source proche du dossier, les inspecteurs ont découvert un monde de "cow-boys qui bidouillent leurs études".  

Des essais cliniques menés sans autorisation

Et la liste des infractions mises en évidence par l'ANSM est longue : modalités de mise en oeuvre des RIPH, conditions de prélèvement et d'utilisation des échantillons des personnes incluses dans des recherches, modalités de recueil du consentement et d'information des participants... "Les règles éthiques n'ont pas été systématiquement respectées, ne permettant pas d'assurer la protection des personnes à un niveau suffisant et tel que la réglementation le requiert", indique l'ANSM, qui "compte tenu de la gravité des manquements constatés", a décidé de saisir à nouveau la procureure de la République de Marseille au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.  

L'Agence précise que les faits pénalement répréhensibles concernent la mise en oeuvre d'essais cliniques sans avoir obtenu préalablement les autorisations obligatoires d'un comité de protection des personnes (CPP). Sont notamment visés un essai visant à rechercher une bactérie (Tropheryma whipplei) chez de jeunes enfants, ainsi qu'un essai visant à rechercher des pathologies associées au voyage et l'acquisition de pathogènes chez les étudiants en médecine.  

Cette recherche, épinglée par L'Express en juillet dernier, s'est déroulée en deux parties et portait sur la prévalence de bactéries respiratoires, gastro-intestinales et vaginales de 134 (puis 382) internes de la faculté de médecine d'Aix-Marseille. Les étudiants étaient invités à prélever eux-mêmes des échantillons nasopharyngés, fécaux et vaginaux une semaine avant leur départ en vacances et la semaine de leur retour en France. Les résultats ont été publiés en 2019 dans une revue scientifique, puis diffusés en ligne le 24 septembre 2020. Dans ces deux études, les auteurs (dont Didier Raoult) indiquent que le protocole des études "a été autorisé" par le comité de l'IHU... Sauf que cet accord, qui ne peut pas se substituer à un CPP, n'a aucune valeur légale. 

Pire, le rapport final de l'ANSM indique que, dans le cadre de son enquête, l'IHU a falsifié un document concernant cette recherche. Interrogé lors de l'inspection sur les essais portant sur les étudiants et étudiantes en médecine, Didier Raoult a en effet adressé à l'agence du médicament une note de son comité d'éthique interne portant la mention "avis favorable". Mais au cours de leur contrôle, les inspecteurs ont découvert que le signataire - membre du comité d'éthique de l'IHU - contestait ce document, avant de produire l'original. Ce dernier indiquait que le comité d'éthique n'avait pas donné d'avis favorable pour la recherche citée, mais enjoignait l'IHU à soumettre l'essai à un comité de protection de personnes, auquel il conditionnait sa décision.  

Du côté des suites administratives, la procédure en cours vise à suspendre toutes les recherches réalisées sans la sollicitation préalable - et obligatoire - d'un CPP, ce grâce à une "décision de police sanitaire", mais aussi de forcer l'IHU et l'AP-HM, grâce à une injonction, de se mettre en conformité avec la réglementation des RIPH par des actions correctives et préventives. 

Les ennuis ne font que commencer pour l'IHU et Didier Raoult

Avertie par des lanceurs d'alerte, puis par les enquêtes de L'Express et Mediapart, l'ANSM a mené une inspection au sein de l'IHU et l'AP-HM fin novembre 2021. Elle a, dans un premier temps, laissé la possibilité à Didier Raoult de répondre à ses suspicions et de mettre en œuvre les changements nécessaires au sein de l'IHU. Dans sa stupéfiante lettre de réponse, publiée par le blog complotiste France Soir, le professeur Marseillais a tenté de rejeter l'intégralité de ses erreurs sur l'AP-HM tout en reconnaissant, sans doute malgré lui, avoir enfreint la loi qui encadre la recherche sur les êtres humains. Une ligne de défense qui n'a pas convaincu l'ANSM, comme en témoigne son rapport final. 

Et le futur devrait encore s'assombrir pour l'IHU et Didier Raoult, puisque l'ANSM annonce qu'elle poursuit son enquête. L'agence vise d'autres études qui pourraient, elles aussi, être en infraction avec la loi et l'éthique scientifique. De nombreux essais cliniques pourraient être concernés, dont trois expérimentations sur des greffes fécales impliquant notamment des patients atteints de schizophrénie, que L'Express avait épinglées en octobre dernier. Ces essais nécessitent normalement un double accord d'un CPP et de l'ANSM, mais les études publiées par l'IHU ne mentionnent aucune de ces autorisations.  

L'IHU est également sous le coup d'une investigation de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGAS/IGESR), menée en partenariat avec l'ANSM. Cette fois, c'est l'ensemble des pratiques de la gestion du personnel et des ressources humaines, mais aussi celle des protocoles sanitaires et réglementaires, voire des prescriptions de médicaments, qui sont visées. Si les autorités ne donnent pratiquement aucune information concernant cette enquête, elle s'annonce "croustillante", selon une source proche du dossier.  

L'institut de Didier Raoult est aussi visé par une enquête menée par un Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), déclenché après une autre enquête de L'Express faisant état d'un cluster de Covid-19 à l'étage de Didier Raoult - qui critique vivement les normes sanitaires du gouvernement, dont le port du masque en intérieur -, mais aussi de l'ambiance délétère régnant au sein de l'Institut. "Il y a toute une partie de l'IHU qui fonctionne en vase clos, avec un chef qui n'est jamais contredit et qui exerce une véritable emprise, qui n'hésite pas à écraser et à mépriser publiquement ceux qui ne sont pas d'accord avec lui. C'est quelqu'un d'indéniablement intelligent et charismatique, mais il faut voir la force mentale qu'il exerce sur le personnel et en particulier sur son cercle rapproché qu'il a constitué depuis des années", nous confiait notamment une employée de l'IHU.

Enfin, comme l'a rappelé l'ANSM, le rapport complet - comprenant le rapport préliminaire, les réponses des inspectés et les rapports finaux - a été transmis à la procureure de Marseille, qui devrait accélérer sa propre enquête en attendant, probablement, celles de l'IGAS/IGESR et du CHSCT. Didier Raoult est, en plus, directement inquiété par le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), qui a fait appel du blâme infligé le 3 décembre pour avoir promu l'hydroxychloroquine comme traitement du Covid-19. Un appel "a minima", précise le CNOM, ce qui signifie qu'il demande l'aggravation de la sanction, ou à ce qu'elle demeure au minimum la même. 

Victor Garcia

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