10 août 2021

Déglobalisation & protectionnisme

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• Conversation entre deux économistes hors des courants conformistes de la bienpensance, et qui énoncent paisiblement quelques vérités-de situation que nos simulacres ne parviennent plus à dissimuler. • Jacques Sapir et Yves Perez vous parlent donc de la “démondialisation” (ou “déglobalisation”) que le Covid vient d’achever, et de ce qui suit : retour des nations et du politique, protectionnisme bien tempéré. • L’économie du monde est bien entendu également plongée dans la Grande Crise, mais à visage découvert désormais, sans masques.

Dans notre ‘F&C’ du 8 août 2021, nous abordions le thème de la globalisation définitivement vaincu par la crise sanitaire, d’abord en nous référant à une intervention de Jacques Sapir dans sa chronique ‘RussEurope express’ du 3 août, sur Spoutnik-France. Nous écrivions ceci, qui introduit le sujet général de cette chronique sur lequel nous revenons plus en détail en raison de son intérêt comme un des faits majeurs mais assez peu exploré, nous qui sommes occupés à compter les seringues, de la crise-Covid :

« Jacques Sapir, dans sa dernière intervention de la chronique qu’il tient avec Clément Olivier sur Spoutnik-France, le 3 août avec son invité le professeur Yves Perez (auteur de ‘Vertus du protectionnisme’, éditions de L’Artilleur, 2020), prenait comme thème ‘la démondialisation’ (je dirais ‘la déglobalisation’, mais bon...). Ainsi tout le monde s’entend-il pour désigner la crise Covid comme “le dernier clou dans le cercueil de la globalisation” (selon Carmen Reinhardt, Cheffe Économiste au FMI et amie de Sapir, dès janvier 2020 : “Cette crise sanitaire, c’est le dernier clou dans le cercueil de la globalisation”).

» Sapir rappelle évidemment que l’invasion-Covid a commencé en Europe dans les zones industrielles (Italie du Nord, Ruhr, etc.) très actives dans les échanges commerciaux, économiques et technologiques avec la Chine. Ainsi nous vinrent par cargaison entière de Boeing et d’Airbus des régiments de Coronavirus, matricule Covid19. »

Dans cette chronique, Sapir et le professeur Pérez, économiste et enseignant à l’Université Catholique de l’Ouest (Angers) s’appuient sur deux parutions d’eux-mêmes : la réédition du livre ‘La démondialisation’ de Sapir, édité en 2010 et réédité amendé au Seuil/Points (2021), et ‘Vertus du protectionnisme’, de Perez, déjà signalé. Les deux auteurs s’entendent à merveille pour plaider le dossier dans le même sens, dans la mesure logique où la “démondialisation” implique d’une façon ou l’autre, en plus ou moins renforcé, le retour du protectionnisme.

(Ici, nous faisons un aparté pour expliciter une fois de plus la question de l’emploi général par les français du terme “mondialisation” alors qu’il dispose dans leur langue, également, du terme “globalisation”. Il y a au moins deux textes, qui nous ramènent à des périodes plus ou moins anciennes de ce site, montrant que cette remarque linguistique et conceptuelle est pour nous essentielle et de longue date : le 6 janvier 2005 et le 29 août 2011. A notre sens, les Français n’exploitent pas assez l’avantage d’avoir les deux termes dans leur langue : la “mondialisation” est une conception géographique, à l’origine sans aucune connotation idéologique et désignant dès les temps les plus anciens une mesure [variable, avec allers et retours, sans le moindre sens idéologique] des échanges internationaux ; la “globalisation” est un concept idéologique, enfermant la “mondialisation” dans une course vers le toujours-plus et arguant, selon la doctrine du globalisme, que la somme des actes qui le composent donnent un effet de nature différente, idéologique et prétendument sans retour : ce qui est “globalisé” est verrouillé dans une nature différente qui ne peut plus être changée ; les faits comment à démentir cette affirmation, faisant de la globalisation ce qu’elle est : un simulacre catastrophique.)

Le point essentiel à la lumière de ce rappel sémantique nous permet, – et devrait permettre aux Français s’il en usait, – de comprendre et de mesurer la puissance extraordinaire de l’événement qui s’est clos avec Covid19 et « le dernier clou dans le cercueil de la globalisation ». Cela signifie que ce qui était considéré comme intangible, conformément à l’idéologie du globalisme, – “ un effet de nature différente, idéologique et prétendument sans retour : ce qui est “globalisé” est verrouillé dans une nature différente qui ne peut plus être changée”, – a été brisé complètement, signifiant un renversement total de l’idéologie générale de “notre”-civilisation (globalisme dans le cade du néolibéralisme et de la modernité). Il s’agit d’un événement réellement formidable.

Lopez et Safir voient les signes de cette “démondialisation” (nous employons leur terme avec les réserves évidentes) dans des faits négatifs qui ont marqué le début de la pandémie :

• Perez (08’20” de la vidéo : « Ce qui est frappant dans cette pandémie... Moi, il y a une première image qui m’est restée en mémoire, c’est l’attente des Français et des Européens des masques et des appareils respiratoires en provenance de Chine. On attendait les avions en provenance de Chine avec angoisse, et là on a tout d’un coup découvert les inconvénients de la dépendance et les limites de la mondialisation... »

• Sapir, répondant à Nicolas Baverez affirmant au printemps 2020 que la pandémie n’était pas une crise de la mondialisation, répond au contraire (13’05”) : « Mais il faut rappeler que la crise de la pandémie est aussi un produit de la mondialisation. Ce qui est intéressant... Si on regarde comment le virus est arrivé de Chine en Europe, où est-il présent ? En Italie du Nord, là où les entreprises ont beaucoup de relations avec les entreprises chinoises ; en Allemagne, et dans l’Allemagne industrielle, dans la Ruhr et ses environs, là aussi une région qui a beaucoup de relations avec l’économie chinoise. Tout ça montre bien qu’il y a un lien entre cette crise et la mondialisation, mais aussi, point important, qu’il n’a pas seulement un lien entre la mondialisation et cette crise, mais que les facteurs de la démondialisation étaient déjà antérieurs à cette crise [de la pandémie]... »

Ainsi, les deux intervenants sont d’accord pour faire naître le processus de démondialisation à la crise des subprimes aux USA de 2007-2008, aggravée depuis par diverses autres crises (crise grecque, Brexit, élection de Trump et affrontement sino-américaniste).

Là-dessus, Sapir ajoute un autre élément, qui est peu connu dans la forme où il le décrit et qui a, selon nous, une importance considérable. Il en  parle d’autant plus précisément qu’il a joué un rôle direct de consultation et de négociation (en tout bien tout honneur) avec les spécialistes de la section “Russie” de la CIA, qui consultèrent le spécialiste de la Russie qu’il est, et qu’il était encore plus à cette époque, lors de l’effondrement de 1998 de la Russie convertie de force en 1992-1993 à l’hyperlibéralisme dévastateur par un interventionnisme direct technique et de l’expertise économique US.

Sapir (à partir de 15’00”) explique d’abord que l’effondrement russe de 1998 a fait réaliser à certains services et officiels US que les USA avaient commis un certain nombre d’erreurs, qui risquaient de faire s’échapper la Russie de leur imperium (au profit d’une fraction plus nationaliste et souverainiste, Primakov d’abord [Premier ministre d’Eltsine], puis Poutine bien entendu [d’abord Premier ministre d’Eltsine puis successeur d’Eltsine]). Puis loin (31’20”), Sapir y revient en détails à la lumière justement des entretiens qu’il eut avec la direction “Russie” de la CIA :

« [L’événement Primakov-Poutine de l’effondrement russe et de la montée des nationalistes] a été vécu aux États-Unis, et particulièrement au sein des services de renseignement [comme un événement colossal]... A cette époque-là, j’avais des réunions avec des dirigeants de la CIA, avec le chef de la division “Russie-Eurasie”, qui était George Colt, et sa première réaction [devant l’évolution russe] a été “cela [l’arrivée au pouvoir des nationalistes] va être un événement du même ordre d’importance que la prise du pouvoir en Chine en 1949, par Mao Tsé-toung.” Et le débat “We Lost China” qui suivit fut un débat essentiel pour la façon dont la pensée de sécurité nationale américaine se réorganisa dans les années 1950... Et là, il m’a dit, il m’a dit très nettement, “on va avoir le même débat avec ‘We lost Russia’, et là, on va être complètement perdu”... Je signale qu’il était contre l’intervention en Irak [de 2003] »

(Pour saisir l’importance de cette “révélation”, – pas d’autre mot, – il faut savoir que l’effondrement russe de1998 fut au contraire salué par les milieux neocons, méritant jamais polus leur nom, comme une victoire décisive de l’américanisme menant à uner hégémonier mondiale.)

Ainsi, pour Sapir, les premiers signes de la démondialisation (“déglobalisation” !) sont déjà là à la fin du XXe siècle, renforcés par l’absurde guerre irakienne qui suit. Sapir précise qu’à partir de là, les USA ont tenté de développer l’extérioralisation de leur système juridique pour tenter de réaffirmer leur puissance sans se faire beaucoup d’amis, d’autant qu’entretemps la crise de 2007-2008 portait un coup terrible à la supériorité US dans la globalisation, – on commençait à planter les premiers clous dans « le cercueil de la globalisation ».

Il est intéressant, dans le chef de cette chronologie et à partir de témoignages directs, – on comprend qu’un Colt, interlocuteur de Sapir, un de ces analystes sérieux de la CIA, fut très vite balayé au profit des fous sanguinaires amenés par la cohorte des neocon conduite par l’imbécillité-en-chef de GW Bush ; puis plus tard confirmé pompeusement par Obama-Saint, qui aggrava encore les choses, – jugement qu’il faut sans cesse répéter pour mesurer la scandaleuse différence entre le simulacre progressiste-wokeniste qu’Obama interprète avec tant de brio au milieu des magnifiques fêtes de son 60e anniversaire qu’il donne, – stupéfiants maîtres du monde, – et la vérité-de-situation :

« Lorsque Barack Obama a pris la tête des États-Unis, les gens ont été amenés à imaginer que les choses seraient différentes. Ils lui ont même décerné le prix Nobel [par avance] [...] En réalité, il fut le tueur américain en chef par drone...

» Obama a largué plus de bombes que Bush au cours de sa présidence. Cela inclut 26 171 bombes en 2016, sa dernière année complète de mandat. Cela représente environ 72 bombes par jour - pendant une année entière. Et il ne s'agit que des bombardements connus publiquement. Les morts civiles sont rarement reconnues par le régime américain. »

C’est-à-dire qu’à la lumière des propos de ces deux économistes, la puissance américaniste proclamée au pinacle à la fin du XXe siècle n’était effectivement qu’un monstrueux simulacre qui allait achever de précipiter cette puissance sur la voie de la décadence et de l’effondrement. Les petits génies de Bush nous répétait donc cette comptine mille fois dites et que quelques esprits tourmentés par les complots continuent à prendre pour du comptant :

« Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité. Et alors que vous étudierez cette réalité, – judicieusement, si vous voulez, – nous agirons de nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pourrez à nouveau étudier, et c’est ainsi que continuerons les choses. Nous sommes [les créateurs] de l’histoire... Et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à étudier ce que nous avons [créé]. »

... Ce faisant, l’équipe Bush et “l’esprit de GW” préparaient avec une dextérité et une inconscience bien peu ordinaire la crise des subprimes de 2007-2008, puis l’enchaînement qui suivit de déglobalisation-démondialisation. Yves Perez remarque qu’à partir de là, les USA perdirent de plus en plus vite leur rôle de leader dictant les règles internationales de la globalisation (à leur profit, certes), pour une attitude de plus en plus unilatéraliste, tandis que leur puissance suivait la pente qu’on sait, et que la Chine et la Russie s’affirmaient. On plantait les derniers clous du cercueil avant le dernier que fut Covid19 en précisant que la “déglobalisation” signifiait également la “désoccidentalisation”, – on s’en serait douté, non sans une certaine satisfaction.

Désormais, disent nos deux économistes, la route est prise, qui se marquée par la retour de la politique et le retour de la nation. Les pays européens ont appris, – très vite, il fait le reconnaître, – à se passer des directives de Bruxelles pour réguler le flots des migrants à leur guise, et faire circuler les vaccins qui leur importent, ouvrir ou fermer leurs frontières,... Bruxelles n’est pas très content, mais cela n’est vraiment pas le sujet du jour.

Accessoirement, il s’agira de protectionnisme (« qui n’entrave nullement le commerce, bien au contraire », précise Sapir, comme une évidence que tous nos zombies politiques devraient avoir à l’esprit) ; le libre-échange n’est pas banni, non, il évolue sous la forme d’accords régulés sur zones, entre des pays bien identifiés, avec leurs produits bien tarifés et encadrés. C’est la tendance qui domine aujourd’hui, mais bien sûr dans un monde dévasté, où nombre de circuits de fabrication et de production ont été gravement perturbés sinon interrompus par la crise-Covid, faisant peser des pénuries sectorielles ou plus, ici et là. La globalisation a dévasté le monde et, naturellement, la déglobalisation se fait dans des conditions horribles. Rien n’est résolu, tant le désordre est grand. Le politique est de retour, mais qui s’en servira, avec des structures détruites, un personnel politique zombifiés ?

On dira, c’est notre appréciation personnelle, que le désordre règne après ces folles années et dans cette folle crise-Covid sans fin au milieu de la folie-wokeniste. Le seul avantage (!) est bien qu’ainsi apparaissent tous les composants de la Grande Crise, et par conséquent s’impose la conscience de cette Grande Crise après la destruction d’un nombre respectable de simulacres. Cela ne résout rien, absolument rien, mais au moins cela dissipe les folles illusions de la modernité-tardive désormais au seuil de la démence-sénile, dont par exemple un Joe Biden est la parfaite illustration, et dont le mini-gadget Macron la caricature complètement invertie comme venue d’une bande dessinée. Ne vous étonnez donc pas qu’un Poutine ou qu’un Xi honnis par la balbutiante moraline américaniste-occidentaliste, au milieu des problèmes qui les assaillent eux aussi, laissent parfois percer un sourire ironique.

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