Dans un énième entretien, Macron explique pourquoi il a raison et comment la France doit être remodelée pour que l’efficacité et la cohérence de sa présidence sautent enfin aux yeux des Français. L'analyse de Philippe Mesnard.
Or donc, le Président parla. Il y eut un soir, il y eut un matin ; et le Président reparla.
Il parla des plages, il parla d’ADP, il parla des champs et des rues, il parla des collines, il ne s’arrêta plus jamais de parler. Les médias l’aimaient car le Président faisait de l’audience. C’est ainsi, certains présidents font leur métier de gouvernant, d’autres font l’histoire, Macron fait de l’audience. Il a fait treize des vingt meilleures audiences à la télé en 2020 : chacun son talent. Il n’avait besoin que de ruiner la France pour réussir cet exploit. France 2 lui dit merci.Où les Français comprennent qu’ils ont tort
Et les Français ? Justement, Macron parla dernièrement de la France et des Français dans L’Express. Les Français ont ainsi appris qu’ils sont un peuple «vocal», manière polie de dire qu’il gueule (le Président, lui, parle ; il vocalise autrement ; c’est plus complexe), ou qu’il parle pour ne rien dire, en tout cas rien que le Président veuille entendre. Mais le Président a rassuré les Français : si la France est «un pays très politique, perclus de passions contraires», c’est précisément «ce que [Macron] aime profondément en nous. Cette tension créatrice», qui est «notre belle névrose», car «ces doutes sont une énergie politique très rare» et si certains se demandent «de quel côté va tomber cette énergie» (l’énergie tombe, c’est bien connu ; elle tombera sans doute en Guyane, qui est une île, comme chacun sait depuis que Macron nous l’a appris) et «comment allons-nous métaboliser cette crise que nous vivons», eh bien le Président le sait : «nous sommes à présent pris par notre volonté farouche, absolue, de reprendre le contrôle de notre vie, de notre vie intime et de la France comme nation».
Pour bien nous aider à reprendre le contrôle de notre vie intime, le Président et ses amis – les gens-qui-savent-mieux, homo melior sapiens ou homo macronensis – ont décidé de nous interdire de bouger, de sortir, de nous réunir à plus de six, de nous exprimer, de manifester, de voter et méditent de nous interdire d’exister sans vaccin. Personnellement, je ne sais toujours pas où notre belle énergie va tomber mais on sent bien qu’on va la prendre dans la face, en fait, avec un président animé par la volonté farouche, absolue, de prendre le contrôle de nos vies, certes, mais lui tout seul avec ses amis. En nous dissolvant dans l’Europe, qui n’est «plus une Europe-marché mais une Europe géopolitique, une Europe de projet». Et en nous interdisant de penser qu’il pourrait en être autrement.
Car Macron, dans son entretien de L’Express, ne cesse de dire, entre trois sinuosités et deux complexités (bien nécessaires même si «nous sommes entrés dans une société de l'émotion permanente et donc de l'abolition de toute acceptation de la complexité», pas de bol), qu’il est le seul légitime, le seul qui sait, le seul qui maîtrise la bonne narration : le Président qui parle ne croit qu’en l’histoire qu’il invente et qui est supposée créer la réalité, l’unique réalité, la seule qui ait droit de cité. Et le Président pointe ceux qui se «raccroche[nt] à une narration collective qui, même si elle est fausse, infondée, a le mérite de sembler robuste» : on jurerait qu’il parle des députés macronistes, mais non, il parle de tous ceux qui le contredisent, ne veulent pas admettre que sa manière catastrophique de gérer la France est la seule voie possible. Il rend ceux qui commentent responsables de sa faillite, parce qu’en commentant ils empêchent que le «commun» se réalise : si nous étions tous d’accord avec son projet, quel qu’il soit, nous irions mieux puisque nous partagerions la même narration créatrice de cette réalité alternative où la France reprend son destin en main, aussi bien que le Liban, et grâce à Macron, comme au Liban (mais c’est peut-être un mauvais exemple...).
Où les Français comprennent qu’ils doivent obéir
Volontairement insensible à tous les signes d’échec, Macron proclame que le temps long lui donnera raison, manière d’expliquer qu’il fonde tout sur l’usure du temps : la belle énergie va se dissiper. Il compte créer la confiance à force de déceptions. Alors même qu’il fait pleuvoir sur le pays d’une part une avalanche de décrets, de lois et de règlements, tous justifiés par un état d’exception qu’il s’emploie à pérenniser (et ce depuis 2017) et d’autre part une pluie de reproches rendant sans cesse les Français responsables d’une épidémie qu’il a mal gérée et d’une défiance politique qu’il a suscitée comme aucun président avant lui, il affirme d’une part qu’il ne croit pas en l’Etat légal («Surtout, en quelque sorte, l'Etat "légal" l'a emporté. Ce qui compterait au fond serait de changer les textes, les lois, plus que de changer la vie des Français ») – lui qui n’existe que par la force du pays légal, contre le pays réel –, d’autre part qu’il croit en l’action des Françaises et des Français qui «ont réussi à casser le cycle du virus». Va comprendre, Charles.
Pour bien nous faire saisir qu’il est le seul à discerner le chemin, Macron se lance dans le périlleux exercice qui est de définir la France (où existe, selon lui, bourgeois, fils de bourgeois, passé par les grandes écoles et la banque, un «privilège blanc» dont l’immense majorité des ouvriers au chômage, des caissières sans ressources et des restaurateurs au bord du suicide n’ont jamais entendu parler). Visiblement, c’est un fleuve, dont la source se confond avec la République, ce qui rend un peu difficile de s’inscrire dans un temps plus long, et un fleuve dont l’extraordinaire richesse vient de ses affluents qu’il faut reconnaître comme des fleuves à part entière eux aussi puisqu’il faut «compléter notre histoire» : formule saisissante qui évoque immédiatement l’idée de rebâtir une Notre-Dame «plus belle encore» et fait surgir les mêmes craintes d’une histoire si bien complétée qu’elle sera en fait travestie, adultérée, macronisée, transformée en projet plastique permanent pour justifier n’importe quel abandon de souveraineté ou recul sociétal au nom d’une cohérence miraculeuse droit sortie d’un âge fabuleux où Macronic régnait sur les Francs.
On ne sait plus de quel pays fantasmé Macron est le président. Mais il est clair que nous ne partageons plus la même réalité. Dans notre France, les gens ont peur de vivre, peur de mourir et peur d’un Etat qui les flatte d’une main et les frappe de l’autre. La situation n’a rien de complexe. C’est celle de tous les régimes autoritaires qui n’ont d’autre fin que de se maintenir au pouvoir.
Philippe Mesnard
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