21 octobre 2020

L’étrange contrecoup de la Bolivie


TheMoonofAlabama (Moa) écrivait hier, à propos des résultats de l’élection présidentielle en Bolivie de ce week-end dont on avait appris quelques heures plus tôt l’issue qui est celle d’une victoire très large et superbe, au premier tour, du candidat du parti de l’ancien président Evo Morales, déposé par un coup d’État (ou un pseudo-coup d’État) en 2019 :


« Il semble bien qu’Elon Musk ait perdu les élections présidentielles en Bolivie :

» Même la tourmenteuse de Morales, la présidente intérimaire de droite, Jeanine Áñez, a concédé que la gauche était arrivée en tête. “Nous n'avons pas encore le décompte officiel, mais les données dont nous disposons montrent que M. Arce [a] ... gagné l'élection. Je félicite les vainqueurs et leur demande de gouverner en pensant à la Bolivie et à la démocratie”, a tweeté Mme Áñez.
» Félicitations au Movimiento al Socialismo, à son candidat Luis Arce et au peuple bolivien qui a résisté aux intimidations et à la violence de la droite et de l’armée. Même si la démocratie est maintenant rétablie en Bolivie, il serait erroné de laisser la droite et l’armée s’en tirer comme ça. Autrement, ils essaieront de tenter à nouveau leur coup. Les leaders du coup d'État devraient être traduits devant un tribunal. La Bolivie devrait demander au Venezuela des conseils sur la manière de mettre ses forces militaires à l'épreuve des coups d'État. »

Nous tendrions à être plus nuancé que cet avis très court (le reste de l’article de “b” étant consacré aux chances de réélection de Trump), en raison des traits extrêmement particuliers de la situation bolivienne depuis le départ de Morales. Il y a un mois, le 20 septembre 2020, nous accordions une place spécifique à cette situation bolivienne dans des Notes d’Analyse consacrées à une situation générale de revers enregistré par le système de l’américanisme.

« Comme on l’a vu précédemment, la Bolivie, anciennement [dirigé par Morales et] liquidé par un coup d’État d’ailleurs assez soft, est dans la liste de la clientèle de CLS-Strategies, particulièrement la présidente ad interim Jeanine Anez, qui s’est auto-proclamée avec l’aide de l’armée bolivienne et en suivant les conseils, sans doute de la CIA ou de l’affreux Elliott Abrams. On pensait donc la Bolivie verrouillée sous toutes les coutures, retombée dans l’escarcelle de l’oncle Sam, alias Mike Pompeo.
» Il n’en est rien... On découvre qu’une élection présidentielle a lieu en Bolivie le mois prochain (normal, puisque la Bolivie est [re]devenue une démocratie) et que la présidente Anez est en très mauvaise posture, en si mauvaise posture qu’elle abandonne la compétition. Elle déclare même, comme dans une bonne vieille démocratie française où l’on appelle à l’union pour “faire barrage” à une Le Pen, qu’elle se retire pour que les autres concurrents “fassent barrage” à Luis Arce, candidat du parti de Morales, en tête largement dans les sondages avec 40% des voix. Qui nous a donc arrangé cette élimination de Morales pour le bien de la démocratie Made In CIA, sans veiller à ce que la véritable candidate démocrate l’emporte démocratiquement ?
» “‘Aujourd'hui, j’abandonne ma candidature pour la liberté et la démocratie. L’enjeu de cette élection n'est pas mince. La démocratie est vraiment en jeu en Bolivie‘, a déclaré [Jeanine Arez], avertissant qu’un vote avec la division actuelle pourrait permettre l’élection du candidat du MAS, le parti de Morales. [...]
» “Un récent sondage en Bolivie indique que le candidat Luis Arce, – un ancien ministre de l'économie fermement dans le camp des pro-Morales, – pourrait obtenir plus de 40 % des voix lors des élections du 18 octobre. L'ancien président Carlos Mesa arrive en deuxième position avec 26,2 % des voix, ce qui pourrait donner la victoire à Arce au premier tour. Pour éviter un second tour en vertu de la loi électorale du pays, un candidat doit obtenir au moins 40 % des voix et conserver une avance de 10 points sur le second. Anez, quant à elle, est loin derrière avec un peu plus de 10 % des voix...

» “Une élection contestée l’année dernière a abouti à un coup d'État qui a conduit à l’éviction de Morales, qui a fui au Mexique pour demander l’asile. L’armée bolivienne a imposé la démission de Morales et s'est rangée du côté de l'opposition, qui a également reçu le soutien des USA et de l'Organisation des États américains (OEA), un bloc régional latino-américain basé à Washington DC et fortement financé par le gouvernement américain.
» “Largement composée de partisans d’Anez et de Mesa, l’opposition a insisté sur le fait que l’élection d’octobre 2019 était frauduleuse, encouragée par un rapport de l'OEA qui prétendait trouver de “graves irrégularités”. Cependant, de nombreuses études menées depuis, dont une par le Massachusetts Institute of Technology (MIT), ont révélé que les allégations de fraude ne pouvaient être étayées. »
» .... Certes, on insistera sur ce dernier détail, qui réhabilite l’élection de 2019 au profit de Morales. On mesure le degré de déliquescence de l’entité mercantilisatrice lorsqu’on apprend que ce rapport est effectivement venu (en février) d’une des sources académiques les plus prestigieuses aux USA, le Massachusetts Institute of Technology. Depuis quand le MIT contredit-il le département d’État et toutes les autres bonnes sources de la bureaucratie de sécurité nationale sur une matière aussi sensible ? Et cela, alors que le pays concerné est dans la mécanique d’une très-prochaine élection présidentielle destinée à acter la liquidation sans retour du diabolique Morales et de ses soutiens. »

Comment en est-on arrivé à cet échec US ? Car il s’agit bien d’un échec, c’est le moins qu’on puisse en dire pour décrire la situation... C’est bien Elon Musk, référencé par MoA, qui s’exprimait avec la joyeuse impudence et la suffisante arrogances propres aux nouveaux génies-trilliardaires de l’économie-simulacre type GAFAM et le reste, – par tweets, bien entendu, puisque c’est par Tweeter que s’expriment et se diffusent les grandes pensées du millenium :

« Le 24 juillet 2020, Elon Musk de Tesla a écrit sur Twitter qu'un deuxième plan de relance du gouvernement américain “n’est pas dans l'intérêt du peuple” Quelqu'un a répondu à Musk : “Vous savez ce qui n'était pas dans le meilleur intérêt des peuples ? Le gouvernement américain qui organise un coup d'État contre Evo Morales en Bolivie pour que vous puissiez obtenir le lithium là-bas”. Musk a alors écrit : “Nous faisons un coup d’État contre qui nous voulons et où nous voulons ! Il faudra que vous fassiez avec”. »

Car enfin nous “faisons avec” et il s’agit bien d’un échec US, et quel échec avec une élection du candidat pro-Morales au premier tour, et en plus élection saluée par celle qu’on croyait être la future appointée de la CIA/Pompeo. Comment tirer une autre conclusion que l’échec, sinon en envisageant des hypothèses abracadabrantesques comme celle de la corruption du candidat de Morales, voire du parti de Morales, voire de Morales lui-même (mais alors, le coup initial était-il bien utile ?). Ces hypothèses sont pour l’instant bien inutiles et il y a sûrement mieux à faire que de songer à régler des comptes avec ceux qui ont servi les desseins d’une opposition à Morales évidemment soutenue par les USA. Ceux-là doivent être également abasourdis de l’échec de leur tentative, qui suppose bien des faiblesses du côté US, et sans doute devraient-ils plutôt songer à se désengager de tuteurs aussi maladroits.

En effet, s’il et puisqu’il s’agit bien d’un échec, déjà annoncé le mois dernier et qui n’a pu être en rien contenu mais qui au contraire s’est aggravé, on trouve là une démonstration atterrante de l’état de délabrement et d’inefficacité de la machine de subversion et de puissance des USA. Ce ne sont évidemment pas les moyens, ni les capacités de corruption, d’élimination, etc., qui manquent aux USA, bien au contraire, et pas le moindre scrupule ni d’embarras de légalité pour en freiner l’usage. C’est la finesse de jugement, l’art des nuances, l’intelligence d’exécution, etc., qui font complètement défaut. L’interventionnisme US n’a d’ailleurs jamais brillé par cette sorte de capacités. Mais aujourd’hui, tout est étouffé, y compris la pression vers l’extérieur de la puissance et de l’influence, sous le poids d’une bureaucratie washingtonienne écrasante et d’un désordre politique sans aucun précédent, avec toutes les conséquences aux niveaux du commandement, du respect des priorités, etc.

Les USA sont aujourd’hui une énorme machine qui tourne folle. On pensait que c’était essentiellement le pouvoir politique et la cohésion civique qui étaient touchés, ce qui aurait laissé les mains libres pour les pouvoirs de la puissance brute. Il n’en est rien. Comme certains signes l’ont déjà montré au niveau structurel interne, la puissance de sécurité nationale US est également touchée par le délitement extraordinairement rapide de la cohésion des USA. Au reste, on pouvait déjà distinguer cette faiblesse interventionniste extérieure, avec le choix catastrophique de Guaino pour attaquer le pouvoir vénézuélien, et l’incohérence stratégique qui a suivi. A part les sanctions et les actes financiers totalement illégaux, qui devraient d’ailleurs réserver des surprises contre-productives désagréables, la puissance US n’est plus productrice d’aucune efficacité dans son action.

Ce qui est marquant dans ce processus, bien entendu, c’est sa vitesse. Cela ne fait pas grand’bruit, parce que tout cela évolue dans le confinement du “secret de sécurité nationale”, et que les moyens officiels (presseSystème et le reste) se gardent bien d’en parler à voix trop haute. La surprise est d’autant plus forte lorsque les effets du processus se font sentir en plein jour, en pleine lumière.

Il s’agit d’un problème d’une très grande importance et d’une gravité extrême. Pour le meilleur et pour le pire, – et l’on sait bien dans quel sens il faut incliner, – la machine de sécurité nationale US contrôle les principales structures de sécurité des relations internationales. Son délitement constitue une inconnue nouvelle d’une immense importance, affectant tous les domaines de l'évolution à venir des affaires. Il faudrait que des théoriciens, des experts, tiens même des hommes politiques, aient l’audace d’y songer : que faire des relations internationales sans la puissance de contrainte armée des États-Unis ? C’est, comme disent la gouaille populaire-bobo, la chanson et le dialogue de plusieurs films, « une putain de bonne question ».

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