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25 juillet 2020

USA2020 : La e-débandade de l’U.S. Army


Depuis qu’elle existe comme force constituée disposant d’une énorme influence et des activités de communication (lobbying notamment) à mesure, l’armée US ne manque pas de s’intéresser à toutes les activités du domaine dans la vie civile. Elle domine Hollywood, malgré son progressisme ou à cause de son progressisme, – ça se discute, comme on le verra, – et n’a fait ni une ni deux pour entrer dans le business d’influence sur les réseaux sociaux et les jeux vidéos en ligne.

Mais voilà que ses services de ‘e-sport’ de l’U.S. Army viennent de se retirer précipitamment de la plate-forme Twitch, pour un épisode d’humilité, dit de “paused streaming”, le temps, – qui peut durer longtemps, – de réévaluer ses politiques et ses procédures, selon un porte-parole du Pentagone qui nous expliquait la chose avant-hier. En fait, les rumeurs nous disent que la “pause” pourrait aller jusqu’au printemps 2021, sinon au-delà, dans l’au-delà du retour interrompu et de l’oubli.

L’U.S. Army a simplement décampé en vitesse devant une virulente attaque des réseaux sociaux d’activisme-progressiste, et de tout ce qui concerne l’état d’esprit accusateur de la Grande-Émeute2020. Nebojsa Malic, de RT.com, fait son miel de cette décision du Pentagone, de ce que Trump, toujours aussi superficiellement informé, nomme encore (la semaine dernière) « la plus incroyable puissance militaire » [de tous les temps, sans doute], pour caractériser les forces armées US, qui évolue avec « les meilleurs chars, les meilleurs navires, les meilleurs missiles, les meilleures fusées. Nous avons le meilleur de tout ».

Là-dessus, Malic ricane et nous conte l’aventure :

« Pourtant cette formidable armada a été éjectée de Twitch, non par la Chine, la Russie, l’Iran ou la Corée du Nord, mais par l'ennemi le plus terrible et redouté de tous : les militants américains pour la justice sociale et les médias. La poussée semble avoir été menée par Jordan Uhl, un journaliste et un activiste se décrivant lui-même comme progressiste.
» Uhl était scandalisé par le fait que l'armée utilisait Twitch pour recruter “des enfants en situation instable et/ou défavorisée” et répandait “l’agitprop hyper-belliciste jour après jour”. Il a donc commencé à évoquer l’“histoire des atrocités commises aux États-Unis dans le monde”, – et s’est fait éjecter de Twitch. Il s’est naturellement rendu à l’Union Américaine des Libertés Civiques [ACLU] et à l’Institut Knight du Premier Amendement de l’Université de Columbia, pour se plaindre de la violation de son droit à la liberté d'expression [Premier Amendement]. Uhl a également expliqué sa campagne dans ‘The Nation’, l’hebdomadaire progressiste, d’où proviennent les citations ci-dessus.
» Moins d’un jour après la publication de l'article de Uhl par ‘The Nation’, Twitch demandait à l'armée de retirer les liens vers un concours de cadeaux pour les contrôleurs de Xbox. Uhl avait qualifié ce concours d'illégal, car il ne répertoriait pas toutes les informations requises par la loi et servait essentiellement à récolter des adresses à des fins de recrutement. L’U.S. Army s’est pliée avec empressement à l’injonction de Twitch.
» Humant l’odeur du sang, la députée new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez s'est jointe à la mêlée. Mercredi, la mascotte des démocrates a proposé un projet d’amendement à la loi budgétaire du département de la défense pour 2021, interdisant au Pentagone de maintenir une présence sur “tout jeu vidéo, e-sport ou plateforme de diffusion en streaming [flux continu]”. »

Malic remarque que les démocrates, qui tiennent ainsi en joue l’armée d’un doigt menaçant et selon les prescriptions de BLM, viennent en même temps, à quelques jours près, de voter à une majorité écrasante et démocratique contre le retrait des troupes US d’Afghanistan et d’Allemagne (ainsi collectivement regroupés, comme si l’Afghanistan équivalait à l’Allemagne et vice-versa dans le domaine de l’alliance, de l’équivalence morale, de la stature démocratique, de l’avancement de la civilisation et ainsi de suite, – mais de tout cela, le Congrès s’en indiffère complètement, si seulement il s’avise de l’existence de l’argument). Que Trump ne s’avise pas non plus d’évoquer un “retrait” de Syrie, les démocrates et une bonne partie des républicains réagiront comme l’on menaçait de dissoudre Black Lives Matter, ce qui montre qu’ils soutiennent l’armée et ses aventures avec autant de fermeté.

Malic revient alors à ses moutons en évoquant l’incroyable palinodie du Pentagone, du Secrétaire à la défense Esper, du général Milley, tout ce beau monde roulant des épaules, bardé de missiles et d’uniformes camouflés, tenant de hâtives et empressées conférences de presse début juin pour démentir que l’armée pourrait un jour s’opposer aux manifestations et autres initiatives de la ‘woke mob’ haïssant le racisme et le suprémacisme blanc, – plutôt ne pas obéir au président des États-Unis, fit comprendre le général Milley. (« Milley s’est excusé d'avoir soi-disant politisé l’armée [au service de Trump], – politisant ainsi l’armée au service des détracteurs de Trump. »)

La trouille considérable du Pentagone, apparatchiks du Complexe en complet-veston comme la pléthore de généraux aux vingt-cinq uniformes camouflés pour tous les théâtre d’opération possibles, doit déboucher sur d’importantes décisions du point de vue de la “politique de la diversité” des armées. La décision de renommer les bases portant le nom de généraux confédérés est déjà prise par Esper et les généraux, soutenue sinon ordonnée par le Congrès, – mais toujours avec l’opposition de Trump qui, selon les circonstances favorables ou non pour lui et notamment s’il est réélu, pourrait se manifester brutalement 1) par un veto contre la loi budgétaire, 2) par une purge sévère de la direction civile et militaire du Pentagone.

En attendant, continue à ricaner Malic...

« Le Pentagone a alors été soumis à une attaque totale sur le front de sa politique DIE (‘Diversité, Inclusion et Équité), avec les demandes de renommer les bases militaires en l’honneur des généraux confédérés il y a un siècle, et l’interdiction de l’affichage du drapeau confédéré comme “symbole de haine”.
» L’interdiction du drapeau [interdiction de tous les drapeaux qui ne soient pas celui des États-Unis d’Amérique], mise en place la semaine dernière, a ensuite été critiquée pour avoir, de facto par son libellé, rendu illégaux les drapeaux Black Lives Matter et LGBT. Le secrétaire à la défense Mark Esper abordera sans doute ce point lors de la prochaine réunion du conseil du DOD sur la diversité et l'inclusion, dès qu’il aura fini de revoir “les politiques de coiffure et de toilettage en fonction des préjugés raciaux”.
» La puissance militaire US représentant 1 000 $milliards par an, est déployée dans des centaines de bases militaires et d'avant-postes dans le monde entier ; elle veut faire de l'espace un domaine de combat ; elle veut établir une “domination totale du spectre du combat” afin d’intimider la Russie, la Chine et d’autres pays pour les soumettre. Là-dessus, elle s’effrite comme du papier de soie mouillé devant les critiques des médias et l’activisme ‘woke’ dans les rues des villes US et n’ose même pas se défendre sur une plateforme de diffusion de jeux vidéo en continu.
» Après tout, laissons courir ces couleurs.. »

Déstructurée comme tout le monde

La dernière phrase de l’antiSystème Malic (« Turns out these colors do run, after all »), se référant aussi bien aux couleurs du drapeau LGTBQ qu’à la ‘couleur’ des révolutions de la même qualification, pourrait aussi bien se traduire de façon plus explicite : “Il s’avère après tout que cet activisme de différentes couleurs a du bon ; laissons-le s’activer...” Il signifie par là qu’il s’agit d’une parfaite interprétation du “faire aïkido”, de retourner contre l’ennemi sa propre force : retourner contre le Système sa puissance de subversion, sous la forme des poussées subversives de type sociétal, contre ses propres autres types de puissance, dans ce cas l’U.S. Army. Il s’agit d’une utilisation inédite de la guerre asymétrique, ou guerre de 4ème Génération (G4G), justement dans le sens inverti qui est une autre forme d’asymétrie.

Plus largement, cet épisode, tout comme celui du porte-avions USS Theodore Roosevelt par rapport à la question de la lutte contre l’épidémie Covid19, montre que le Pentagone et les forces armées US sont complètement déstabilisés face aux diverses crises sociétales et sanitaire aux USA, crises où le Système joue pourtant un rôle central. Dans le cas que nous décrit Malic, le Pentagone est paniqué devant la poussée BLM & le reste, qui est pourtant pour l’essentiel soutenue aussi bien par les démocrates que par le Corporate Power, c’est-à-dire des forces complètement intégrée au Système et soutenant la politique militariste. Le Pentagone est paniqué parce qu’il se trouve, comme nombre de centres de pouvoir au cœur du système de l’américanisme et correspondant empressés du Système, confronté à des situations extraordinairement contradictoires :

• Il s’incline devant un mouvement effectivement soutenu par le Système contre Trump, mais également symbolisé et utilisé par le citoyen-révolutionnaire Uhl, qui dénonce par ailleurs les “atrocités” des forces armées US dans ses diverses et nombreuses ‘guerres extérieures’ (Irak, Afghanistan, Syrie, etc.). Ces ‘guerres extérieures’ sont pourtant une activité essentielle pour le Système, et cette activité soutenue avec enthousiasme par le parti démocrate et le Congrès, pro-BLM et antiTrump. Il n’est nullement évident que BLM & consorts tiennent à dénoncer les ‘guerres extérieures’ tant vantées par le Congrès et les démocrates, et adorées par l’armée US, mais la logique soi-disant et dans tous les cas implicitement anti-impérialiste et anti-guerre de l’affichage du mouvement est extrêmement exigeante à cet égard. La situation est compliquée...

• Mais le Pentagone craint une contagion du mouvement au sein des forces armées, qui est composé à 47% de minorités représentant la tant-aimée ‘diversité’. Par conséquent, il évite de s’impliquer contre BLM & consorts, et se place dans une position d’insubordination vis-à-vis de son commandant-en-chef (le président). S’il sauve sa peau et sa tranquillité pour le temps courant, il continue par contre à dégrader d’une manière bien inquiétante ce qui lui reste de légitimité, voire tout simplement et encore plus dramatiquement sa légalité même. Selon la tournure des événements, on peut imaginer un colonel des Marines refusant un ordre ou décidant de soutenir Trump, sans qu’on puisse absolument le juger ‘séditieux’ puisque le Pentagone s’est déjà placé en état implicite de ‘sédition’... La situation est extrêmement compliquée (bis).

• L’attitude du Pentagone et des militaires constitue une complète contradiction de ce qu’on perçoit des forces armées US dans leur présentation officielle au travers des divers canaux et moyens de communication. Il n’est nullement assuré que cette situation aurait pu exister il y a vingt ou trente ans d’ici, bien que plusieurs occasions aient laissé voir la profonde fragilité de l’armée US (en 1945, lors de la démobilisation, à la fin de la guerre du Vietnam). Aujourd’hui, l’appréciation qui doit dominer, c’est la très forte délégitimation de l’armée, au travers d’une politique belliciste illégale et cruelle ; d’une gestion anarchique d’un budget monstrueux, mêlant la corruption, l’incompétence et le gaspillage ; d’une corruption psychologique des cadres et des chefs militaires, soutenant une politiqueSystème absurde et déstructurante, et s’abîmant dans la corruption psychologique et vénale des réseaux de la communication. L’armée US conserve une grande popularité dans la population, mais cette popularité ne l’assure de rien, et pourrait même justifier des mouvements de sédation dans son sein, par rapport à des mouvements collectifs de cette population.

D’une façon encore plus générale, on peut observer que ces divers événements affectant l’armée des États-Unis participent de l’actuelle dynamique déstructurante affectant l’ensemble du système de l’américanisme. Derrière l’apparence de la puissance et de la discipline, les forces armées US sont elles aussi le reflet des fragilités des USA, aujourd’hui mises en évidence, et par conséquent la question de la légitimité est constamment posée.

(Rien ne met plus en évidence cette fragilité intrinsèque des forces armées que l’épisode immédiatement avant le conflit, de la position du général Lee durant la Guerre de Sécession. Le 18 avril 1861, Lincoln offrait le commandement de l’armée fédérale au général Lee. Le lendemain, Lee refusait, préférant son État natal [la Virginie du Nord] à l’Union, et il devenait commandant en chef de l’Armée de Virginie du Nord [en fait de l’armée sudiste].)

Ce qui apparaît, et qui est sans doute d’une réelle importance, c’est qu’en aucun cas l’armée US ne peut prétendre être un instrument de cohésion et de rassemblement, comme certains pourraient le penser, ou dans tous les cas auraient pu le penser, notamment à la lumière d’hypothèses sur une prise de pouvoir par la force en cas de troubles. L’armée US fait partie de la crise US et de la GCES par conséquent, elle n’est pas l’élément stabilisateur ni la solution de la crise. Il ne faut certainement pas trop envisager une solution ‘militaire’ à la crise (le pouvoir civil, n’importe lequel, soutenu et imposé par l’armée) ; de plus en plus la crise US est sans issue sinon le pire...

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