20 janvier 2020

Contre-réforme


Réforme ?

Mais c’est de contre-réforme qu’il s’agit, Sire.

Venu s’encanailler dans un théâtre d’un quartier populaire, Monarc Premier ne s’attendait pas à être interpelé sur sa plus récente intervention de casse du système de protection sociale et du système public français. Des protestataires sont venu perturber sa soirée, débordant le cordon de police médusé dépassé par la détermination de la petite trentaine de personne venues le chercher. Qu’ils viennent tempêtait-il au plus fort de la crise Benalla. Ils sont donc venus !

Partout, là où se produisent les représentants d’un pouvoir obscène d’obséquiosité devant la finance, des Français en colère organisent des happening. Cette expression populaire est une nouvelle forme de guérilla qui perturbe le déroulement convenu des mises en scène où la parole revient exclusivement à des représentants qui jouent depuis plus de trente ans la cause du néolibéralisme. Où qu’ils apparaissent, ils sont hués et sommés de revenir sur la volonté de l’exécutif de faire céder l’une des dernières digues de la Sécurité Sociale.

La branche vieillesse de cette vieille Dame, la Sécu, née dans un pays délabré par la guerre de 39-45 est alimentée par les cotisations sur les salaires des travailleurs. Sa gestion a été confiée d’abord aux syndicats des travailleurs et au patronat, indépendamment de l’Etat. Les réformes successives ont progressivement érodé le pouvoir d’intervention des travailleurs sur ces caisses par une double manœuvre perverse de l’Etat.

La création d’un premier impôt, la CSG en 1990, d’un second en 1996 la CRDS pour combler un déficit né mécaniquement du déclin du nombre de cotisants, le chômage structurel est installé durablement comme antidote à l’inflation. Il légitime l’intervention de l’exécutif comme régulateur des caisses puisqu’il participe à leur financement.

La deuxième action, elle aussi initiée par des gouvernements ‘socialistes’ a consisté à favoriser l’emploi en exonérant certaines entreprises des ‘charges patronales’. Dans le jargon communicationnel, ce qui fait partie intégrante du salaire dit brut, à savoir les diverses cotisations qui sont du salaire différé, a été transformé en ‘charges’, et l’Etat a alors amputé les salaires bruts des emplois les moins qualifiés et les plus précaires de cette part qui devait aller à la caisse commune redistributive. De 1991 à 2008, le montant cumulé des exonérations représente 260,6 milliards dont 221 ont été compensés par l’impôt, les 40 milliards non compensés participent du déficit de la Sécurité Sociale. Or le déficit de la branche ‘vieillesse’ atteindrait 6,6 milliards d’euros en 2023.

L’Etat organise le déficit en réduisant les cotisations patronales puis veut engager des contre-réformes qui pénalisent les travailleurs en les culpabilisant de vivre trop longtemps, ce qui n’est vrai que pour les classes les plus aisées, moyennes supérieures et au-delà. Les réformes entreprises sous Reagan, augmenter les cotisations, ont largement équilibré un système de retraite par répartition des pensionnés de l’Etat fédéral durablement alors que les retraites par capitalisation des Etats, gérées selon le principe de la capitalisation connaissent un déficit abyssal qui préfigure d’une faillite.

Pourquoi ne pas s’en inspirer et préférer d’adopter l’arbitraire 14% du PIB à consacrer aux retraités ?

Qui rédige le programme ?

La réponse est presque évidente. La baisse des remboursements des médicaments, la revalorisation timorée des honoraires des actes médicaux remboursés (obligeant de nombreux médecins à faire des dépassements sur les tarifs conventionnés) ont contraint les assurés à souscrire à des mutuelles ou des assurances privées complémentaires. Cette option est devenue obligatoire par la loi depuis 2016 pour les salariés. Ainsi est confiée aux privés la manne des cotisations qui ne vont plus aller au système de solidarité dont les frais de gestion sont très bas (5%) versus les assurances (15%).

C’est exactement par le même mécanisme que l’Etat français veut régler les effets de son pillage de la caisse des retraites de la Sécurité Sociale. Faire transiter par la case ‘banques et assurances’ une épargne afin de leur assurer d’abord une survie car nul n’ignore la fragilité financière réelle des too big to fail et des profits par une spéculation démente confiée à des algorithmes. Tout a été préparé en amont, la loi du 22 mai 2019 puis les textes d’application, ordonnance du 24 juillet 2019 et décret du 30 juillet 2019, favorisent les ‘Plan Epargne Retraite’ qui vont rentrer dans le circuit aspirant des activités boursières et appauvrir les pauvres et les moins pauvres pour enrichir un nombre de plus en plus réduit de nantis et de gros actionnaires.

Il importe de souligner que l’introduction de l’impôt fondé sur toutes sortes de revenus en dehors des revenus salariaux a permis une révision constitutionnelle en février 1996, soit un mois après la création de la CRDS. La gestion de la caisse n’est plus entre les mains des seuls partenaires sociaux, elle passe sous la tutelle de l’Etat qui ne contribue qu’à peine pour 25% aux ressources de la Sécurité Sociale, toutes branches confondues.

La loi sur le financement de la Sécurité Sociale votée donc depuis 1996 par le Parlement a opéré un changement de paradigme. L’intermédiation de l’Etat entre les salariés et les employeurs ne pouvait donner lieu qu’à des arbitrages en faveur du patronat, lequel a des relais puissants dans l’exécutif depuis que le régime défini par la Constitution de 1958 ne donne plus qu’un rôle mineur au Parlement. La modification du calendrier électoral en 2002, les présidentielles se tiennent quelques semaines avant les législatives, a transformé un mode institutionnel déjà fortement présidentiel en quasi-monarchie. Les propositions de lois s’élaborent à l’Elysée par quelques conseillers puis elles se font approuver à l’Assemblée Nationale par des députés qui peuvent aussi bien être absents ou endormis car de toutes les façons la majorité, de la même famille que l’exécutif, ne doit ses sièges qu’au champion qui a reçu l’aval des propriétaires des mass medias. Michel Pébereau, ancien inspecteur des finances, Président d’honneur de la BNP était la dernière personne à voir chaque soir Sarkozy dans son bureau élyséen. Axa, l’une des plus grosses sociétés d’assurance du monde, fondée par Claude Bébéar, est actionnaire majoritaire de la BNP. Claude Bébéar a fondé également l’institut Montaigne, caisse de résonnance idéologique du néo-libéralisme français, au sens où ce think tank a toujours recommandé moins de dépenses publiques et moins d’impôts pour les entreprises. A partir d’avril 2016, Laurent Bigorgne, président de l’institut, contribue à la campagne de Macron. En particulier, il livre son analyse des programmes des candidats en critiquant sévèrement ceux de Mélenchon et de Hamon au journal les Echos, tout en congratulant celui qui allait transcrire dans les lois et les révisions institutionnelles ses recommandations. Il est vrai que ce groupe d’influence rédige les programmes pour des partis qui n’en ont plus et fournit les hommes qui les appliqueront ensuite.

La réussite de Macron

Depuis le 5 décembre 2019, la grève des travailleurs de la RATP et de la SNCF a formulé de manière visible et forcément dérangeante le refus de la majorité des Français de la contre-réforme de la retraite confiée à Macron par ses agents traitants.

Pas un secteur d’activité n’y a pas adhéré, des cheminots jusqu‘aux professionnels de la culture qui contestent de plus leur précarité et la faiblesse de leurs rémunérations. Musées, bibliothèques, Radio France, Opéras de Paris, Etablissements du Mobilier national et des Manufactures, tous se plaignent de sous-effectifs et des licenciements programmés qui vont aggraver la souffrance au travail en plus de l’offense faite par la contre-réforme de la retraite. Des concerts annulés et des programmes radio non diffusés font certes moins de bruit que des lignes de métro ou de train fermées. Le secteur privé n’est pas de reste puisque les travailleurs du bâtiment qui comptent une mort par jour travaillé due à un accident de travail demandent un 43ème régime spécial ou spécifique. On ne compte plus les jeter de robe d’avocats, de cartables, de blouses de médecins dans les tribunaux, les rectorats et les hôpitaux.

Il se dit que l’exécutif songe faire passer sa contre-réforme grâce au recours du 49-3 afin d’éviter des débats à ‘Assemblée qui risquent de se pérenniser jusqu’à la veille des municipales. La reprise temporaire du travail lundi à la RATP ne signifie pas la fin de la contestation sociale. Elle n’est pas une défaite. La plus longue grève de ce siècle a asséché les réserves des travailleurs sans paie depuis un mois et demi.

D’autres formes de lutte ont déjà vu le jour et se poursuivront.

Un premier effet de cette grève est la prise en mains par eux-mêmes des travailleurs de leur combat qu’ils ne délèguent plus aux bureaucrates de leur hiérarchie syndicale. Le cadre habituel des manifestations rituelles (quand elles étaient organisées) a été explosé. Les syndiqués CFDT n’ont pas suivi la consigne de leur président tandis que ceux des autres centrales ont infléchi les positions de leurs directions. Les Assemblées générales intersyndicales agrégeant également des non syndiqués sont seules souveraines pour se prononcer sur la poursuite de la grève.

Une réorganisation de la représentation des travailleurs est sans doute à prévoir dans les suites de ce mouvement inédit par sa durée.

Le second et pas le moindre est la recomposition d’un peuple français fragmenté pendants des décennies par des manœuvres communautaristes émanant des partis soucieux de dévier le discours politique vers des problématiques non économiques. Les associations antiracistes, certaines naïves et sincères, d’autres aux ressources puisées dans des officines telles l’Open Society de Georges Soros peu avouables, qui vivent de cet ingrédient ‘racialiste’ ont renforcé, aidées par leur médiatisation inversement proportionnelle à leur poids représentatif, la fragmentation du champ politique.

Ni Sarkozy ni Hollande n’ont été réélus, méprisés après leurs quinquennats calamiteux.

Macron a réussi pour sa part a coaguler une haine profonde chez la majorité des Français que sa désinvolture et son arrogance revendiquées ont suscitée.

Sur les murs de Paris, en jaune, pouvait se lire ‘Ils ont les nasses’, nous avons l’Anasse’ en référence au syndicaliste proche du mouvement trotskiste ‘Révolution Permanente’ régulièrement invité sur les plateaux télé pour donner le point de vue des grévistes. Brillant, Anasse Kazibe désarçonne les débatteurs habituels piliers du régime néolibéral car il développe ses arguments depuis sa position de classe sans jamais adopter celle du dominant. Il domine son sujet alors que les défenseurs de la Macronie manquent pitoyablement de culture politique et historique. Même formés à parler pour ne rien dire, il est leur est difficile de contrer l’évidence majeure que cette contre-réforme allonge la durée des cotisations et réduit les prestations versées aux futurs retraités.

Le mouvement des Gilets jaunes avait déjà largement amorcé cette reconstitution, la cohésion formidable du peuple français opposé à cette contre-réforme est en train de s’affermir contre la classe des dominants économiques. Macron a contribué au terme d’un long processus de désagrégation d’une société fait d’incantations pour l’individualisme et de persuasion d’un clash de civilisations inventé pour justifier des guerres sans fin à unifier le peuple-classe français, celui qui ne peut pratiquer ni évasion ni optimisation fiscale.

Psychologiser le refus par le peuple des travailleurs pour qu’on lui fasse les poches comme le fait Daniel Cohen qui parle d’anxiété et d’inquiétude ou encore estimer que les concernés n’ont pas compris la contre-réforme est une insulte supplémentaire à ceux qui risquent de la subir. La Révolution de 1789 a eu lieu pour un grand nombre de raisons. L’une d’elle est l’élévation du niveau d’instruction de la population, elle-même permise par un gain de productivité dans l’agriculture. Le paysan envoyait à l’école paroissiale plus facilement ses enfants car il pouvait se dispenser de leurs bras. En 1790, 60% des Français mâles résidant au Nord d’une ligne Saint-Malo-Genève pouvaient apposer leur signature sur le registre paroissial lors de leur mariage contre 30% en 1690. La législation royale qui a obligé en effet depuis 1667 les jeunes mariés à signer ou tracer un signe sur les registres a permis ce recensement. Une masse critique de paysans alphabétisés était disponible pour récuser le droit divin de la monarchie.

Les gueux, les sans-dents, les fainéants et les ‘rien’ rencontrés dans une gare savent compter et comprennent très bien que les cadeaux fiscaux faits aux riches sans contrepartie c’est autant de moins dans les caisses de l’Etat pour les services publics et pour les cotisations des caisses de protection sociale. Ils savent aussi très bien qu’une retraite calculée sur les salaires des meilleures 25 dernières années est supérieure à celle évaluée sur une carrière entière. Ils ne peuvent ignorer qu’avec un pivot ou non, l’équilibre sans augmentation des cotisations exigera de rallonger la durée des cotisations. Les travailleurs sont d’une certaine manière devenus experts en comptabilité publique et ne s’en laisseront pas conter.

La jeunesse-étudiante et lycéenne- va entrer dans la danse.

D’autres formes d’intervention de blocage du système vont s’épanouir, la guerre sociale sera asymétrique, une véritable guérilla. Les porteurs du Gilet jaune le disent, ils veulent vivre pleinement une vie, pas survivre. Cela implique des démissions et des dissolutions et de nouvelles constructions.

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