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01 décembre 2019

Opération Barkhane : une mise au point nécessaire

Les pertes cruelles que viennent de subir nos Armées -et qui ne seront hélas pas les dernières-, ont donné à certains l’occasion de s’interroger sur le bien-fondé de la présence militaire française au Sahel. Cette démarche est légitime, mais à la condition de ne pas sombrer dans la caricature, les raccourcis ou l’idéologie.

J’ai longuement exposé l’état de la question sur ce blog, notamment dans mon communiqué en date du 7 novembre 2019 intitulé « Sahel : et maintenant quoi faire ?» , ainsi que dans les colonnes de l’Afrique Réelle et dans mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours qui replace la question dans sa longue durée historique et dans son environnement géographique. Je n’y reviens donc pas. Cependant, trois points doivent être soulignés :

1) Dupliquées d’un logiciel datant des années 1960-1970, les accusations de néocolonialisme faites à la France sont totalement décalées, inacceptables et même indignes. Au Sahel, nos Armées ne mènent en effet pas la guerre pour des intérêts économiques. En effet :

- La zone CFA dans sa totalité, pays du Sahel inclus, représente à peine plus de 1% de tout le commerce extérieur de la France, les pays du Sahel totalisant au maximum le quart de ce 1%. Autant dire que le Sahel n’existe pas pour l’économie française.
- Quant à l’uranium du Niger, que de fadaises et de contre-vérités entendues à son sujet puisqu’en réalité, il ne nous est pas indispensable. Sur 63.000 tonnes extraites de par le monde, le Niger n’en produit en effet que 2900…C’est à meilleur compte, et sans nous poser des problèmes de sécurité que nous pouvons nous fournir au Kazakhstan qui en extrait 22.000 tonnes, soit presque dix fois plus, au Canada (7000 t.), en Namibie (5500 t.), en Russie (3000 t.), en Ouzbékistan (2400 t.), ou encore en Ukraine (1200 t.) etc..
- Pour ce qui est de l’or du Burkina Faso et du Mali, la réalité est qu’il est très majoritairement extrait par des sociétés canadiennes, australiennes et turques.

2) Militairement, et avec des moyens qui ne lui permettront jamais de pacifier les immensités sahéliennes, mais là n’était pas sa mission, Barkhane a réussi à empêcher la reformation d’unités jihadistes constituées. Voilà pourquoi, pariant sur notre lassitude, les islamistes attaquent les cadres civils et les armées locales, leur objectif étant de déstructurer administrativement des régions entières dans l’attente de notre départ éventuel, ce qui leur permettrait de créer autant de califats. Notre présence qui ne peut naturellement empêcher les actions des terroristes, interdit donc à ces derniers de prendre le contrôle effectif de vastes zones.

3) Nous sommes en réalité en présence de deux guerres :

- Celle du nord ne pourra pas être réglée sans de véritables concessions politiques faites aux Touareg par les autorités de Bamako. Également sans une implication de l’Algérie, ce qui, dans le contexte actuel semble difficile. Si ce point était réglé, et si les forces du général Haftar ou de son futur successeur tenaient effectivement le Fezzan, les voies libyennes de ravitaillement des jihadistes auxquelles Misrata et la Turquie ne sont pas étrangères, seraient alors coupées. Resterait à dissocier les trafiquants des jihadistes, ce qui serait une autre affaire…
- Au sud du fleuve Niger les jihadistes puisent dans le vivier peul et dans celui de leurs anciens tributaires. Leur but est de pousser vers le sud afin de déstabiliser la Côte d’Ivoire. Voilà pourquoi notre effort doit porter sur le soutien au bloc ethnique mossi. Aujourd’hui comme à l’époque des grands jihad peul du XIXe siècle ( là encore, voir mon livre sur les guerres du Sahel), il constitue en effet un môle de résistance. Le renforcement des défenses du bastion mossi implique d’engager à ses côtés les ethnies vivant sur son glacis et qui ont tout à craindre de la résurgence d’un certain expansionnisme peul abrité derrière le paravent du jihadisme. Cependant, si les jihadistes régionaux sont majoritairement Peul, tous les Peul ne sont pas jihadistes. Ceci fait que, là encore, il sera nécessaire de « tordre le bras » aux autorités politiques locales pour que des assurances soient données aux Peul afin d’éviter un basculement généralisé de ces derniers aux côtés des jihadistes. Car, et comme je l’ai écrit dans un ancien numéro de l’Afrique Réelle « Quand le monde peul s’éveillera, le Sahel s’embrasera ». Il y a donc urgence.

Par-delà les prestations médiatiques des « experts », une chose est donc claire : la paix au nord dépend des Touareg, la paix au sud dépend des Peul. Tout le reste découle de cette réalité. Dans ces conditions, comment contraindre les gouvernements concernés à prendre en compte cette double donnée qui est la seule voie pouvant conduire à la paix ?

Bernard Lugan
 
Commentaire :

Le 27 novembre 2019, la France a annoncé la mort de 13 de ses soldats qui seraient décédés la veille au Mali, au cours d’une mission de combat. Si elle a bien communiqué sur l’identité des soldats morts (photos, carrière, vie conjugale, voire fils de …Jean Marie BOCKEL), elle a été très nulle sur tous les autres plans et n’a convaincu personne.
Commençons par examiner les circonstances. Les autorités françaises parlent de mission de reconnaissance déployée pour surveiller un pick-up terroriste et des motos, puis de combat alors qu’elles reconnaissent en même temps qu’aucun combat n’a été engagé et qu’aucun terroriste n’a été tué . Elles ont aussi laissé entendre qu’une unité de forces spéciales étaient au sol et observait le pick-up terroriste, et que des avions sont arrivés en renfort, dont une escadrille de Mirage du Tchad, un hélicoptère Cougar, deux hélicoptères de combat Tigre, et qu’au cours du survol de la zone d’opération, le Cougar et un Tigre ont fait une collision. En conclusion, les militaires français ont déployé des avions Mirage, deux hélicoptères de combat Tigre, un hélicoptère Cougar et des hommes au sol pour traquer un seul véhicule terroriste. Un tel scénario ne sera jamais accepté à Hollywood.
Examinons les images des épaves d’aéronefs. Les Français se sont arrangés à ne pas fournir de plan d’images laissant voir les deux hélicoptères accidentés. Mais, ce qu’ils ont fourni est déjà suffisant. On voit la soi-disante épave du Tigre pourtant blindé et plus robuste, complètement calciné. Il ne reste qu’un châssis et le train d’atterrissage. Quant au Cougar, il est intact, juste un hublot troué. Ensuite, observez le sol des deux photos, la couleur du sable, l’ombre des épaves (on dirait 11 heures sur une image et 16 h 30 sur l’autre), le relief et faites-vous une idée sur la saison de chaque photo. Vous conviendrez avec moi que les photos n’ont pas été prises dans le même pays. Ensuite, observez les trains d’atterrissage d’un hélicoptère Tigre sur internet, comparez-le à ceux de l’épave. En réalité, la photo de l’épave est celle d’un avion de ligne moyen courrier et non celle d’un hélicoptère de combat.
Sur le nombre de soldats français tombés au Mali, il y en avait officiellement 28 avant l’accident. Mais les autorités françaises diront qu’avec les 13 morts du 26 novembre, le total est passé officiellement à 38, au lieu de 41.
Au cours de la conférence de presse, le lieu précis de l’accident est resté tabou. La Ministre Florence PARLY et son chef d’état-major des armées n’ont cessé de répéter « entre Gao et Ménaka » deux localités pourtant distantes de 315 km, « le Liptako malien ». La Ministre Florence PARLY d’ajouter que le combat s’est déroulé là « où l’obscurité était totale, ce qui a complexifié l’opération », comme si les soldats français n’ont pas de vison nocturne.
Par ailleurs, il est à noter que Madame PARLY n’a montré aucun signe de compassion envers les morts, contrairement à François HOLLANDE dont la voix et les mains tremblaient à la suite de l’attaque du 13 novembre.
La partie questions réponses ressemblait au Parlement du rire de Mahamane. Il y avait toutes sortes de questions sans intérêt venant de journalistes briefés à l’avance. Questions du genre « Comment vous ressentez la disparition des 13 soldats » ; « Quel sera le délai d’exploitation des boites noires ». Apparemment une journaliste à l’accent anglophone non briefée à l’avance pose une question pas difficile, mais à laquelle le duo PARLY-LECOINTRE ne s’attendait pas : « Quel est le groupe terroriste à bord du pick-up ». Le général François LECOINTRE va tâtonner avant de dire : « C’est la zone d’évolution de l’état islamique ». Dans la foulée, la Ministre PARLY enchaine : « On va mettre un terme à ce premier échange, il y aura d’autres occasions de revenir là-dessus ».
La Ministre PARLY ment une fois de plus. Elle l’avait fait le 23 novembre 2018 .
Qu'en pense notre africaniste Bernard LUGAN?

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