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26 novembre 2019

Enfance, pauvreté, justice, prisons : le gouvernement est en train de supprimer tous ses observatoires

Devanture du ministère des Solidarités et de la Santé à Paris © Maxppp / Riccardo milani / Hans Lucas

Après l’observatoire de la pauvreté, de la délinquance, des prisons et des sectes, une nouvelle instance indépendante alerte sur sa disparition programmée. Le Conseil national de la protection de l’enfance serait voué à disparaître dès l’hiver 2020. 

Lundi 11 novembre, un tweet partagé près de 10 000 fois déplorait la disparition de plusieurs institutions : l'Observatoire de la pauvreté, celui de la délinquance, des prisons, la mission contre les sectes et l'institut sur la sécurité et la justice, ainsi que le Conseil national de la protection de l'enfance. Ce tweet est signé Lyes Louffok, ancien enfant placé, auteur du livre Dans l'enfer des foyers et membre du CNPE, le Conseil national de la protection de l'enfance.

Qu'en est-il vraiment ? France Inter a détaillé l'état de ces six instances indépendantes, placées sous tutelle ministérielle.
Le Conseil national de la protection de l'enfance, "une coquille vide pour le gouvernement"

“Nous venons d’apprendre que nous disparaîtrons l’année prochaine.” Le tweet est signé, lundi 11 novembre, de ce même Lyes Louffok, porte-voix de cette cause dans les médias. Selon lui, le gouvernement compte supprimer prochainement le CNPE, le Conseil national de la protection de l’enfance, dont il est membre. Crée fin 2016, le CNPE est rattaché au ministère des Solidarités et de la Santé. Regroupant des spécialistes de la question (enfants placés, avocats, médecins, éducateurs spécialisés), il conseille le gouvernement sur la protection de l’enfance.

Son rôle est donc majeur, d’autant que le gouvernement a récemment annoncé, mi-octobre, une stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, pilotée par le secrétaire d’État Adrien Taquet.

“Nos mandats sont renouvelés pour un an au lieu des trois prévus par les textes, puis nous disparaîtrons fin 2020. La vice-présidente Michèle Creoff est virée, ses fonctions prennent fin le 26 novembre 2019. Notre secrétaire générale Marie Derain retourne au ministère de la Justice. Elle ne sera pas remplacée non plus”, alerte-t-il.

“En aucun cas n’a été annoncée une disparition pure et simple du CNPE”, se défend-on au ministère qui parle d'un regroupement entre le CNPE et les autres instances de protection de l’enfance (GIPED, Groupement d’intérêt public enfance en danger, et l’AFA, agence française de l’adoption), plutôt que de suppression. “Le but est de repenser cette gouvernance et probablement aller vers une instance unique avec plus de poids”, nous explique-t-on.

"Le constat est unanime concernant la politique publique de protection de l’enfance. Elle souffre d’une gouvernance insuffisante, tant au niveau national que local ce qui explique l’hétérogénéité des pratiques et le manque de vision globale, partagée par les acteurs", précise un communiqué. L’Igas, l’Inspection générale des affaires sociales, a été saisie et devrait rendre ses recommandations en début d’année 2020. “À l’approche d’une réforme de l’ensemble des instances, nommer une nouvelle vice-présidente n’aurait pas vraiment de sens”, ajoute le ministère. Explication loin d’être satisfaisante pour Lyes Louffok.

“En vérité, Adrien Taquet considère que le CNPE est une coquille vide et que la vice-présidente Michèle Creoff est 'trop clivante', alors qu’elle fait un boulot remarquable. Le secrétaire d’État n’a jamais pu supporter sa liberté de ton et de parole.”

Il s’inquiète aussi pour la prolongation de mandat. Le gouvernement l’explique par l’arrivée future de la réforme. Mais “le sujet est éminemment technique”, note Lyes Louffok, et “s’il y a réforme, il faudra qu’elle passe par le parlement : ça prendra bien plus d’un an”. Si la réforme n’est pas actée d’ici là et que le mandat du CNPE s’achève, qu’adviendra-t-il ? Pour Lyes Louffok, le Conseil court à sa perte. Et il ne s’agirait pas d’une première parmi les instances sociales.
L'Observatoire des prisons "en danger" faute de subventions

Le 6 novembre dernier, l'OIP, l'Observatoire international des prisons, lançait un cri d'alarme : en cinq ans, il a perdu les deux tiers de ses subventions publiques. "Pour nous c'est le reflet du peu de considération qu'on porte aux personnes incarcérées et à l'état des prisons en France", regrettait Cécile Marcel, directrice de l'OIP, au micro de France Inter.

Six des huit régions qui finançaient l'OIP en 2014 ont supprimé leurs subventions : Île-de-France, Rhône-Alpes-Auvergne, Hauts-de-France, Paca, Grand-Est et Nouvelle-Aquitaine. Les conseils généraux de Seine-Maritime et du Pas-de-Calais ont supprimé leurs subventions en 2015 et 2016. Un tournant à mettre sur le compte du virage politique, à droite, de nombreuses régions. "Jusque là, on avait 180 000 euros des régions et des collectivités locales. Aujourd'hui nous percevons 53 000 euros", déplorait Cécile Marcel sur France Inter, mercredi 6 novembre. 
 
Lutte contre les sectes : la dissolution annoncée de la Miviludes

Le 1er octobre, France Inter vous révélait en exclusivité la disparition prochaine de la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Le 1er janvier 2020, elle sera réorganisée différemment au sein de son ministère de tutelle, l’Intérieur.

Depuis 17 ans, la Miviludes publie des rapports annuels sur les dérives sectaires (théories du complot, scientologie, médecins charlatans…). En mai 2017, un rapport de la Cour des comptes s'interrogeait déjà sur les "fragilités" de la Miviludes et estimait que son "caractère opérationnel pourrait être renforcé par un rattachement au ministre de l’Intérieur." La décision de ce rattachement aurait été prise par souci d'économie et d'efficacité.
Sécurité, justice et délinquance : deux instances, l'INHESJ et l'ONDRP, supprimées dans un an

Le 8 octobre, Matignon confirmait une information du journal L'Opinion : la suppression de l'INHESJ, l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, et, de fait, de l'ONDRP, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, qui dépend de l'INHESJ.

Cet institut, créé en 1989 et baptisé INHESJ en 2010, visait à former des cadres et acteurs de la société civile sur "les différentes politiques publiques en matière de sécurité et de justice, d'intelligence et de sécurité économique, ou encore de gestion des risques et des crises". L'explication de Matignon faite à l'AFP : "Il s'agit du travail de simplification de l'État et de suppression des agences qui a commencé."

À noter que l'ONDRP produit entre autres des statistiques sur l'évolution de la délinquance. Et notamment sur le viol : en 2017, l'Observatoire expliquait qu'à peine 10 % des femmes victimes de viol portaient plainte. La disparition programmée de cet Observatoire fait donc craindre aux associations féministes un recul sur la question. "Je crains que sans ces données on ne puisse plus déclencher des politiques publiques et mesurer leur impact", expliquait alors la militante Caroline de Haas à Checknews. 

L'Observatoire de la pauvreté en sursis ?

Enfin, l'ONPES, l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, serait lui aussi sur la sellette. Le 21 octobre, une tribune publiée dans Libération alertait sur le projet du gouvernement de supprimer l'ONPES, pour le rattacher à un autre organisme. Les signataires - économistes, sociologues - rappellent l'importance des travaux de cette instance indépendante.

"L'ONPES a [notamment] lancé la publication des «budgets de référence» qui [...] ont permis d’évaluer les besoins des ménages pour participer pleinement à la vie sociale. Il a ainsi montré qu’il n’était pas possible de vivre décemment en dessous d’un seuil de revenu fixé par les personnes elles-mêmes (avec l’aide d’experts) à 1 500 euros pour une personne seule, pour ne prendre que ce cas."

"L'objectif recherché est-il de 'casser le thermomètre' pour ne plus voir le malade ?" se demandent les signataires. Le 30 octobre, la chroniqueuse-humoriste Nicole Ferroni y consacrait également un billet sur France Inter.

"Ce n'est pas exactement une suppression. C'est une fusion", précise à franceinfo Jérôme Vignon, président de l'Observatoire. "L'ONPES se retrouve transféré au sein du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), lui-même en pleine transformation." 

Source : https://www.franceinter.fr/societe/enfance-pauvrete-justice-prisons-le-gouvernement-est-il-en-train-de-supprimer-tous-ses-observatoires

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